Un drone satanique : Der Freischütz à Strasbourg

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Une première sans doute à l’opéra : un drone y a un rôle à jouer. Et cela dans « Der Freischütz », un opéra romantique allemand créé en 1821 !

De quoi s’agit-il ? C’est l’histoire de Max, un jeune homme qui, s’il ne remporte pas un concours de tir, risque à la fois de perdre une promotion enviable – devenir le garde-chasse du Prince – et la main d’Agathe, la fille du garde-chasse en place, qui « fait valoir ses droits à la retraite ». Inquiétude : lors d’un concours préparatoire, le pauvre Max a eu la main tremblante et s’est même fait battre par un simple paysan. Mais voilà que surgit son ami Kaspar, un forestier, aux abois : il a vendu son âme au diabolique Samiel. Une solution pour lui, trouver un « remplaçant ». Ce sera Max. Dans la terrible Gorge-au-Loup, Kaspar lui prépare sept balles magiques. Ce que Max ignore, c’est que la septième sera guidée par Samiel. Il l’emploie pour tirer sur une colombe, Agathe s’écroule… Morte ? Miraculeusement non. Un moine survenant fort à propos a détourné le projectile, qui a abattu Kaspar. Tout est bien qui finit bien ? Presque. Le Prince accorde Agathe à Max, mais avec un sursis d’un an.

Voilà qui justifie – avec les développements de sa partition évidemment - que l’on considère cet opéra de von Weber comme l’un des premiers opéras romantiques allemands.

Mais le drone ? Pour les deux metteurs en scène – Jossi Wieler et Sergio Morabito – cet engin, dans sa version guerrière - manipulé à très longue distance, frappant un ennemi sans aucun contact avec son adversaire, et en toute certitude – est une incarnation du mal absolu d’aujourd’hui. Cela nous vaudra une extraordinaire séquence de la Gorge-au-Loup : au son d’un orchestre en furie, un magnifique jeu de lumières focalise l’attention sur Kaspar coulant les balles alors qu’en surimpression des images-vidéo illustrent une attaque par drone. On en a plein les yeux et plein les oreilles

Certes, mais encore ? Et c’est là que le problème se pose une fois de plus : pareille approche conceptuelle se révèle vite incapable d’apporter pertinence et cohérence à une lecture renouvelée du livret.

D’autant plus que s’y ajoute une attitude trop souvent répandue, celle de contester radicalement les principes, l’atmosphère et les climats d’une œuvre, ce qui a fait sa spécificité. Répétons-le, et son livret le prouve à suffisance, « Der Freischütz » est une œuvre romantique. Mais aux yeux de certains dramaturges et metteurs en scène, le premier degré – même inventif – n’est plus possible. Le duo de metteurs en scène se distancie de ce romantisme, fait tout pour s’en désolidariser. Ainsi, les paysans et chasseurs, déguisés en soldats, se livrent à une séance de mise en condition physique-salle de fitness. Les petites maisons du décor renvoient à l’univers des contes de fées, mais elles sont de guingois. Les décors sont « en papier mâché ». Cela peut être beau, mais cela ne rencontre pas l’œuvre.

Un autre élément-clé de la distanciation est que les parties parlées de ce singspiel, de cette oeuvre où les sentiments sont si intensément bouleversés, sont dites recto tono, sans aucune expression, à plat.

Le problème de cette « glaciation » est qu’elle a des conséquences sur le chant : à Strasbourg, l’autre soir, les chanteurs – quelles que soient leurs qualités – et exceptés le Kaspar de David Steffens et le Kuno de Frank van Hove – ont été en demi-teinte dans leurs incarnations vocales, ne profitant pas des « rampes de lancement » de leurs textes préalables. Patrick Lange, à la tête de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, n’a pas pu inverser la tendance.

Opéra National du Rhin Strasbourg – 18 avril 2019

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques :  Klara Beck

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