Un livre fascinant consacré à Ettore Bastianini   

par

Maurizio Modugno  Luisella Franchini  Valerio Lopane, Ettore Bastianini,  La più bella voce al mondo,Zecchini Editore à Varèse.  ISBN : 978-88-6540-393-8.
En italien. Traduction pas encore annoncée. 35,00 euros.

Le 24 septembre 1922 naissait à Sienne le grand baryton italien Ettore Bastianini dont Dmitri Hvorostovsky disait : Ettore Bastianini… Probablement la plus belle voix au monde. Et c’est, du reste, le sous-titre qui figure sur la couverture du livre que vient de faire paraître l’Editeur Zecchini à Varèse. En plus de trois cents pages, Maurizio Modugno, collaborant avec les professeurs Luisella Franchini et Valerio Lopane, évoque la vie et la carrière de cet artiste d’exception. Mais un destin cruel en abrégea les jours, puisqu’il mourut d’un cancer du pharynx le 25 janvier 1967, alors qu’il n’avait que 44 ans.

Depuis 1991 où fut publié à Parme l’ouvrage de Marina Boagno et Gilberto Starone intitulé Ettore Bastianni, Una voce di bronzo e di velluto, aucune étude sérieuse de l’art du chanteur n’avait paru. Et le mérite de ce livre est de nous rapprocher de l’homme simple qu’il était, montrant une loyauté irréprochable envers sa mère et ce quartier, cette Contrada della Pantera qui l’avait vu naître, même s’il ne sut jamais qui était son père. Cette illégitimité fragilisera indélébilement sa vie sentimentale puisque, à 21 ans, d’une liaison avec une choriste, naîtra un fils, Jago, qu’il reconnaîtra sans épouser la mère. En janvier 1958, alors qu’il est parvenu au sommet de sa gloire à 35 ans, il rencontrera à la Scala, au cours d’une représentation d’Adriana Lecouvreur où il incarne Michonnet, une ballerine de 17 ans, Emanuela Bianchi Porro, qui campe la déesse Vénus. Il s’en éprendra passionnément malgré la différence d’âge qui les sépare, accumulera lettres et télégrammes, acceptera la continuelle présence d’un chaperon, achètera même une Porsche rouge pour la rejoindre de n’importe où. Mais cette liaison de quatre ans s’achèvera brutalement à Vienne en janvier 1963 où il lui déclarera : «Une jeune fille comme toi ne peut pas rester là à soigner un homme aussi vieux que moi !». Bien plus tard, Manuela apprendra l’horrible vérité : une tumeur diagnostiquée aux Etats-Unis venait d’être certifiée par le professeur Kürsten à Vienne. Durant deux ans, en cachant à tous ce diagnostic, Ettore poursuivra sa carrière en ayant conscience que l’assèchement des muqueuses corrode la qualité du timbre. Après nombre de séances thérapeutiques à Berne et une hospitalisation à Milan, il s’éteindra en présence de celle qu’il a aimée dans sa maison de Sirmione le 25 janvier 1967.

Les répercussions de ce drame seront évidemment ressenties par cette voix, incomparable aux autres par la beauté du timbre. Remarqué par le chanoine en charge du chœur du Dôme de Sienne, formé par la signora Ammannati et son époux dès l’âge de seize ans, Ettore débutera à Ravenne en décembre 1945 en Colline dans La Bohème et entreprendra durant sept ans une modeste carrière de basse jusqu’au jour où le célèbre Gino Bechi lui déclarera : «Pour moi ta véritable tessiture est celle d’un baryton». A Florence, le maestro Flaminio Contini le fait travailler dans ce nouveau registre qui occasionne de seconds débuts au Teatro dei Rinnovati de Sienne le 17 janvier 1952 sous les traits de Giorgio Germont de La Traviata. Immédiatement se profile la grande carrière, car le Teatro Comunale de Florence lui confie le Prince Jeletzky de La Dame de Pique, Enrico dans une Lucia di Lammermoor avec Maria Callas et Giacomo Lauri-Volpi, le Prince Andrey Bolkonsky lors de la création européenne de Guerre et Paix et le rôle-titre de Mazeppa, tandis que la Scala de Milan l’applaudit pour la première fois le 10 mai 1954 lorsqu’il campe Eugène Onéguine face à la Tatiana de Renata Tebaldi. Mais six mois auparavant, il avait été invité par le Met de New York à présenter, dès le début décembre 1953, son Giorgio Germont aussitôt suivi par un Conte di Luna d’Il Trovatore et un Rodrigo de Don Carlo, alors que le Lyric Opera de Chicago l’accueillera avec succès dans I Puritani et  Il Trovatore avec Maria Callas. Et c’est du reste à ses côtés qu’il connaîtra la célébrité à la Scala dans la fameuse Traviata mise en scène par Luchino Visconti et dans Un Ballo In Maschera où son Renato obtiendra un succès plus grand que celui de la diva. Durant cinq ans, il mène tambour battant une fastueuse carrière qui lui fait enchaîner les triomphes : ainsi, en 1958, il est affiché au Festival de Salzbourg dans un Don Carlo dirigé par Herbert von Karajan puis à la Staatsoper de Vienne où il paraît pour la première fois avec Rigoletto. Mais c’est dans ce rôle qu’il se verra contester par le public milanais en avril 1962, au moment où sa mère est sur le point de mourir. Puis, pendant trois ans et demi, il cachera à tous le cancer qui le ronge en dégradant ses moyens. Et c’est au Met qu’il incarnera un ultime Rodrigo le 11 décembre 1965.

Dès les premières pages du livre, Maurizio Modugno caractérise ses rôles majeurs par une image significative : ainsi se profilent un Conte di Luna masquant une passion dévorante sous la retenue distante, un Renato mêlant la suavité de l’accent à un désir de vengeance, un Rigoletto halluciné ployant sous la malédiction, un Rodrigo à l’élégance unique alliée à la noblesse du cœur, un Carlo Gérard donnant libre cours à l’éloquence des sentiments, un Marcello de La Bohème désinvolte parce qu’il est issu de la haute bourgeoisie, un Barnaba de La Gioconda à la grandeur luciférienne. Du reste, la seconde partie du livre analyse en détail chacun de ses personnages, tout en évoquant les quelques incursions dans le répertoire contemporain et dans le domaine du récital. Et la troisième partie comporte une chronologie des spectacles depuis les premières années dans le registre de basse jusqu’à la carrière internationale en tant que baryton. Et le livre est complété  par une discographie et une bibliographie exhaustives. Un ouvrage à se procurer rapidement !

Paul-André Demierre

 

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