Un Octuor de Schubert d’une fine subtilité poétique 

par

Franz SCHUBERT (1797-1828) : Octuor en fa majeur D. 803. Quatuor Modigliani (Amaury Coetaux et Loic Rio, violons ; Laurent Marfaing, alto ; François Kieffer, violoncelle) ; Sabine Meyer, clarinette ; Bruno Schneider, cor ; Dag Jensen, basson ; Knut Erik Sundquist, contrebasse. 2020. Livret en français, en anglais et en allemand. 62.00. Mirare MIR438.

L’intendant de l’Archiduc Rodolphe, le comte Ferdinand Troyer, organisait chez lui des séances de musique au cours desquelles il ne négligeait pas de jouer de la clarinette dont il était, paraît-il, un interprète à prendre en considération. Brigitte Massin, dans sa biographie Franz Schubert (Paris, Fayard, 1977, p. 1051), raconte : « C’est pour le répertoire de ces séances que l’Octuor est commandé à Schubert. Mais la commande devait être très précise : réaliser une œuvre dans l’esprit du populaire Septuor de Beethoven, favori des séances de musique des maisons viennoises. On ne peut imaginer en effet que Schubert ait aussi délibérément démarqué le Septuor sans que cet exercice lui ait été proposé, sans doute dans l’esprit d’un divertissement amical et amusé. » Schubert va ajouter un violon et conservera les mêmes vents : clarinette, basson, cor ; il maintiendra aussi la structure des mouvements. Il achève sa partition pendant le mois de février 1824, la clôture le 1er mars et une exécution en privé est donnée dans la résidence du Comte Troyer au printemps. Le public ne la découvrira que trois ans plus tard, en avril 1827. 

A l’époque de l’écriture de ce chef-d’œuvre absolu qu’est son Octuor, Schubert vit des moments difficiles : difficultés financières, échec dans le domaine de l’opéra et surtout aggravation de son état de santé ne l’épargnent pas. Il va toutefois composer une partition d’une absolue fraîcheur et d’une imagination spontanée dont le charme poétique ne cesse de s’exercer sur l’auditeur. L’esprit de la partition s’inscrit dans la ligne du divertimento classique, encore bien présent, et l’hommage à Beethoven est éloquent dans sa juvénilité. De multiples enregistrements discographiques en ont souligné la transparence et le naturel, mais aussi l’élégance. On peut remonter jusqu’à la version légendaire des solistes de la Philharmonie de Vienne des années 1950, qui a tenu longtemps la dragée haute, ou à celle de l’Octuor de Vienne de 1990, toutes deux chez Decca, mais on a connu plus récemment celle d’Isabelle Faust avec sept complices en 2017 (Harmonia Mundi) ou celle d’Anima Eterna Brugge en 2018 (Alpha), couplée avec le Septuor (1828) d’un autre Franz, Berwald.

On aurait tort d’oublier la gravure éblouissante de Gidon Kremer avec, entre autres, Isabelle van Keulen, Tabea Zimmermann ou Klaus Thunemann à la fin des années 1980 (Deutsche Grammophon). C’est cette démarche dynamique, à l’élan rythmique constant, avec des nuances subtiles et une saveur à la fois douce et veloutée que l’on retrouve dans le CD Mirare qui nous est proposé aujourd’hui. Le Quatuor Modigliani, fondé à Paris en 2003, s’est fait remarquer par de belles gravures consacrées notamment à Schumann, Brahms, Mendelssohn, ou Schubert déjà. Leurs accointances avec ce dernier se concrétisent par des phrasés efficaces et équilibrés, et leur partenariat avec les quatre autres solistes n’est jamais pris en défaut. Parmi ceux-ci, il y a la clarinette de Sabine Meyer, magique et chantante, qui, dans l’Adagio, atteint des sommets de tendresse. Il y a encore le basson raffiné de Dag Jensen, le cor de Bruno Schneider qui apporte sa sonorité chaude et rêveuse, et la contrebasse nostalgique de Karl Erik Sundquist. Tout cela baigne dans un perpétuel renouvellement de timbres à la fois fondus et bien diversifiés, comme dans un tableau qui esquisserait avec délicatesse un paysage gonflé de lyrisme, où la joie de vivre serait la comparse d’une tristesse sous-jacente. Un mariage qui ne peut, dans le cas de Schubert, qu’être celui de la permission de toucher l’éternité du bout des doigts.

Cette magnifique version a été enregistrée en septembre 2018 en Allemagne, à l’August Everding Saal de Grünwald, non loin de Munich. La prise de son est d’une limpidité qui magnifie cette approche lumineuse. L’idée originale de reproduire les portraits au crayon des interprètes, sur la pochette comme à l’intérieur du livret, s’inscrit dans la même ligne de finesse. Ce CD est à placer parmi les références modernes de cet admirable Octuor.  

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

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