Un West-Side Story trop classique de Barrie Kosky au Komische Oper

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Créée en 2013, cette production du chef d’œuvre de Leonard Bernstein était très attendue. En effet, le Directeur Artistique maison (Intendent) de la Komische Oper Berlin est un des grands noms actuels de la mise en scène lyrique. On l’avait remarqué notamment dans ses opéras et oratorios baroques :  Saul à Glydebourne en 2015, et deux opéras de Rameau à Dijon Castor et Pollux en 2014 et des Boréades toutes récentes en Mars dernier. Place aujourd’hui au « musical » West-Side Story, qui est avant tout un chef d’œuvre du XXe siècle, un vrai de vrai.

La scène s’ouvre sur un plateau vide, où les Jets et les Sharks s’affrontent autour d'un ballon de basket. Le théâtre est comme mis en abîme, puisque l’on aperçoit en fond de scène des éléments de machinerie mis à nus. Cet aspect brut colle bien avec ce que Kosky développe dans certaines de ses interviews : Ce dernier n’est pas dans l’optique de réinventer le théâtre, mais de le transcender lui-même, d’en faire sentir la chair et le sang. Il y a en effet un côté brut, animal, dans cette version du West-Side de Bernstein et Sondheim, donné notamment grâce aux muscles saillants et aux tatouages des Sharks. L'onirisime pointe aussi, au moment où des dizaines de boules à facettes descendent sur scène lors du Mambo, mais illuminant surtout le Cha-Cha qui suit, figurant la rencontre entre Maria et Tony.

Ceci dit, abordons un point qui nous aura véritablement troublé : On sait qu’il peut être difficile de s’éloigner d’un exemple tutélaire, dans toutes formes d’art. Mais pourquoi diable Barrie Kosky s’est-il senti obligé de réutiliser entre 70 et 80% des chorégraphies originales de Jerome Robbins ? Les danses sont superbes soit (et magnifiquement exécutées), mais on aura trouvé dommage d’assister à cette production en reconnaissant nombre d’éléments présents dans la version originale ainsi que dans le film à succès de 1961. De plus, lorsque des passages de chants solistes arrivent, le jeu demandé aux acteurs/chanteurs est souvent frontal, immobile, spot lumineux braqué sur eux, « à l’ancienne » (dès le premier air de Tony Who Know’s). Vraiment dommage, lorsque la direction d'acteurs est quant à elle, incroyablement forte. Les personnages sont tous superbement incarnés, jusqu'aux "petits" rôles des bandes rivales, le tout formant une mosaïque de personnalités théâtrales et musicales furieusement vivante.

Des personnalités mais surtout des voix : Le timbre rond, plein et brillant de la Maria de Jasmina Sakr rivalise avec l'aspect cabaret de celle beaucoup plus droite de l'Anita de Sigalit Feig. Côté masculin, Tansel Akzeybek en Tony renforce l'aspect tendre du personnage avec sa vraie voix de haute-contre aux aigus faciles et cristallins, mais aux graves inexistants. Toutefois, la mention spéciale de la soirée revient au Riff de Daniel Therrien. Usant d'une voix ni trop pop ni trop lyrique, Therrien offre une fantastique performance, vocale, de théâtre, et physique (on ne pense jamais assez à chanter en étant en suspension à 45°).

Dans la fosse, l'orchestre "maison" dirigé par Koen Shoots fait preuve d'une belle énergie et d'un investissement certain, dans une partition explosive qui fait également la part belle aux instruments. Remarquons pour finir que l'amplification de l'orchestre et des voix était idéale. La sonorisation "musique classique" d'un orchestre et de voix est parfois hasardeuse, et souvent mal réalisée. Ce soir l'équilibre était toujours correct, sans surcharge, même dans les fortissimo. Agréable cerise sur le gâteau musical.

Komische Oper, Berlin, le 27 avril 2019.

Crédits photographiques : Komische Oper Berlin

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