Barbara Hannigan sublime Gérard Grisey 

par

La Passionne. Luigi Nono (1924-1990) : Djamila Boupacha pour soprano solo ; Franz Joseph Haydn (1732-1809) : Symphonie n°49 en fa mineur, Hob:I:49 “La Passione” ; Gérard Grisey (1946-1988) : Quatre chants pour franchir le seuil. Barbara Hannigan, soprano et direction ; Ludwig Orchestra. 2019-Livret en français, anglais et allemand. 72’43. Alpha 586 

Chanteuse improvisée cheffe d’orchestre, Barbara Hannigan est l’un des phénomènes médiatiques du moment ! Soprano virtuose, elle n’hésite pas à affronter les oeuvres les plus démesurées, parfois en les dirigeant tout en chantant ! Pour son deuxième album chez Alpha au pupitre de son Ludwig Orchestra hollandais elle fait sauter les frontières temporelles, mais avec un résultat mitigé qui alterne le fabuleux et le médiocre. Comme toujours avec cette musicienne, on est assez loin dans le concept et l’éditorialisation avec une thématique centrale : La Passione déclinée en trois temps. 

Les Quatre chants pour franchir le seuil de Gérard Grisey, génial compositeur décédé prématurément, sont l’un des grands chefs d’oeuvres du XXe siècle finissant. Composés pour soprano et quinze instruments, ils furent créés à titre posthume. Ces quatre chants sont tirés de paroles du christianisme (ange), de l'Égypte ancienne (civilisation), de la Grèce antique (voix) et enfin de la Mésopotamie (humanité). Moins radicale que d’autres oeuvres du compositeur, elles mettent en avant une méditation coulée dans une temporalité élastique qui subjugue. L’instrumentation à l’économie requiert un ensemble rarement utilisé dans son entièreté mais dont les percussions scandent la narration. Tout est presque chuchoté dans un temps qui se ferait espace en ouvrant sur l’infini. Barbara Hannigan fréquente cette oeuvre depuis plus de 10 ans et elle sait en rendre toutes les facettes et la complexité. Envoûtés par ce chant, les musiciens du Ludwig Orchestra sont d’une concentration magique. Cette interprétation se hisse au niveau de celle, pionnière, de Catherine Dubosc et du Klangforum Wien sous la baguette hautement experte de Sylvain Cambreling (Kairos). 

En introduction du disque, Barbara Hannigan propose Djamila Boupacha de Luigi Nono sur un poème de Jesús López Pacheco en hommage à cette combattante indépendantiste algérienne. Barbara Hannigan est encore épatante par son incarnation et sa compréhension de cette musique. 

Hélas, l’album est complété par une interprétation complètement ratée de la Symphonie n°49 de Joseph Haydn. Les symphonies de ce compositeur sont de redoutables examens de passage pour chef d’orchestre au point que nombre d’entre eux s’enfuient en courant quand on leur propose d’en diriger. Il faut dire qu’au-delà du pur aspect rythmique, habiter ces partitions en combinant sens de la respiration, de la danse, des dynamiques et l’énergie relève de la quadrature du cercle ! Dès lors, cette interprétation raide comme la justice ne convainc pas du tout ! La rapidité et la rigidité en sont les seules caractéristiques : une horreur ! Retour à l’indépassable Christopher Hogwood (Decca/L’oiseau Lyre) dans cette partition. 

Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10 pour Grisey et Nono /3 pour Haydn 

Pierre-Jean Tribot

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