Une intégrale intéressante mais inégale

par

Dmitri CHOSTAKOVITCH
(1906 - 1975)
Intégrale des concertos
Lukas Geniusas (piano 1), Dmitry Masleyev (piano 2), Sergey Dogadin (violon 1), Pavel Milyukov (violon 2), Alexander Buzlov (violoncelle 1), Alexander Ramm (violoncelle 2), Orchestre Symphonique National du Tatarstan, dir.: Alexander SLADKOVSKY
2017-Album 3 CD 39' 45'', 71' 16'' et 65' 41''-Livret en russe et en anglais-Melodiya MEL CD 10 02465

Les six concertos de Chostakovitch sont bien connus et souvent enregistrés, sauf le deuxième pour violon, un peu en retrait, peut-être. La notice ne tarit pas d'éloges sur la qualité fabuleuse des solistes, tous lauréats de nombreux prix, et qu'elle encense un peu trop. Voyons cela de plus près. Si le même chef dirige toute l'entreprise, chaque concerto se voit attribuer un soliste différent. Bien contrepointé par la trompette de Dmitri Trubakov, Lukas Geniusas livre un Premier concerto pour piano (1933) puissant et sonore, virtuose à souhait, mais aux effets parfois un peu appuyés. Les cordes manquent un peu de présence dans le mouvement central, défaut de la prise de son sans doute. Ce même défaut se retrouve tout au long du Deuxième concerto pour piano (1957) : l'orchestre, confiné à l'arrière, sonne comme à travers un brouillard. Le célèbre "andante" central est pris bien trop lentement, et le mouvement s'étire jusqu'à l'indifférence :  l'ennui gagne l'auditeur. Dommage, car Dmitry Mesleyev est un pianiste sensible. Passons au violon. Très familier aux assidus du Concours Reine Elisabeth, le Premier concerto pour violon (1948, créé en 1955) est en passe de devenir le concerto pour violon le plus joué du vingtième siècle (avec celui de Sibelius). L'ensemble est un peu lourd et manque de nerf, ce qui handicape le "scherzo", lu plus que joué, ainsi que le "Burleske" final. Heureusement, Sergey Dogadin sauve la mise. Violoniste discret mais délicat, il s'investit totalement dans la "passacaille", et s'intègre bien à l'orchestre. La cadence est parfaitement amenée et dominée de doigts de maître. Assez austère, le Deuxième concerto pour violon (1967), plutôt méditatif, typique du Chostakovitch tardif, a besoin d'un interprète de premier plan. Pavel Milyukov le sera , par un jeu pur et rayonnant, qui démontre, presque avec facilité, le lyrisme intense d'une partition difficile. Il entraîne avec lui un orchestre à la couleur sombre, qui le suit avec grandeur. Notons que la notice mentionne les noms des solistes de l'orchestre qui interviennent en solo. Ici, il faut féliciter le corniste Sergey Antonov, et son poétique appel après la mini-cadence amenant au final. La réussite de ce concerto, semble fouetter l'inspiration du chef, lequel livre un magnifique troisième CD. Très célèbre, le Premier concerto pour violoncelle (1959), grand favori de la première édition du Concours Reine Elisabeth de violoncelle, cette année, se caractérise par un aspect assez dansant, rare dans la série des concertos. Alexander Buzlov l'a bien compris, et rend à la perfection cet élément plaisant. Son instrument a beaucoup de présence et d'allure. Le "moderato" central chante avec toute la poésie requise, jusqu'à cette belle coda avec célesta. Après la cadence, l'oeuvre se termine par un "allegro con moto" exubérant et virtuose. Le Deuxième concerto, pour violoncelle (1966), passe parfois comme le plus poignant des six. Alexander Ramm s'y investit totalement, tout comme l'orchestre, et parvient à soutenir l'attention d'une partition assez ardue, "ruminative" pour imiter nos amis anglais. Le cor s'y illustre à nouveau, cette fois celui de Dmitri Babintsev, lors de la grandiose introduction du finale (début de la plage 7). Et, dans le second allegretto, les cordes du Tatarstan  enveloppent avec une grande tendresse cette "formule cadentielle purement classique, apaisante, qui revient à plusieurs reprises, comme un refrain" (André Lischké). Après une envolée soudaine et colérique, tout se calme : la fin est mystérieuse, presque féerique, et rappelle celle de la quatrième symphonie, tout en anticipant celle de la quinzième. Au total, une entreprise intéressante, handicapée par une direction et une prise de son inégales (ah ces timbales au premier plan !), mais qui révèle six solistes remarquables. A moins que le mélomane ne souhaite posséder les six concertos en un seul album, conseillons-lui de revenir aux références suprêmes que sont Chostakovitch lui-même, Oïstrakh et Rostropovitch sans oublier les plus jeunes : Hamelin, Ehnes, Zimmerman ou Mork.
Bruno Peeters

Son 7 - Livret 7 - Répertoire 10 - Interprétation 7

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