Wolkenstein et le Lied à l’orée de la Renaissance : la fine manière de l’Ensemble Leones

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Oswald von Wolkenstein (c1377-1445) : Do fraig amors Kl 69 ; Stampanie ; Freu dich, du weltlich creatúr Kl 120 ; Durch aubenteuer tal und perg Kl 26 ; Gar wunniklich hat si mein herz besessen Kl 64 ; Es seusst dort her von orient Kl 20 ; Ach senliches leiden Kl 51 ; Wes mich mein búl ie hat erfreut Kl 55 ; Wol auff, wol an Kl 75 ; Ain gút geboren edel man Kl 43 ; Nu rue mit sorgen Kl 121 ; Wer ist, die da durchleuchtet Kl 13 ; Ich klag Kl 108 ; Mit gúnstlichem herzen Kl 71 ; Herz, prich Kl 93 ; Wol auff, wir wellen slauffen Kl 84 ; Bog de primi was dustu da Kl 119. Ensemble Leones. Els Janssens-Vanmunster, chant. Miriam Andersén, chant, harpe, corne, percussion. Tobie Miller, chant, vielle à roue. Baptiste Romain, vielle, cornemuse. Liane Ehlich, traverso médiéval. Marc Lewon, chant, luth, vielle. Avril 2013, réédition 2021. Livret en allemand et anglais. TT 79’36. Christophorus CHE 0223-2

Réédition du quatrième album de l’Ensemble Leones, consacré à une figure majeure du Lied à la charnière du Moyen-âge et de la Renaissance. Sous-titré « le cosmopolite », tant Wolkenstein, originaire du Tyrol, écuyer d’un chevalier errant dès ses dix ans, voyagea beaucoup : d’Écosse à la Turquie, de France à la Géorgie, du Portugal à la Lituanie, au gré de ses activités diplomatiques, des pèlerinages en Terre Sainte, et d’innombrables intrigues politiques auxquelles il participa aux quatre coins de l’Europe, guerroyant au besoin. Une vie d’aventure et mésaventures : elles emplissent six cents pages de la biographie que Dieter Kühn, qui par ailleurs a préfacé la notice du CD, dédia à ce personnage. Rude, opportuniste (poursuivi entre autres pour spoliation), rocambolesque (d’emprisonnements en naufrage en Mer Noire) et néanmoins pieux.

Préservée dans trois manuscrits conservés à Vienne et Innsbrück, son œuvre artistique rassemble environ 130 pièces où l’auteur se raconte en portraits (Durch aubenteuer tal und perg), honore Dieu, le dépaysement (Es seusst dort her von orient, les ébats polyglottes de Do fraig amors), la bonne chère et le libertinage… Le copieux programme d’une heure vingt alterne pièces monophoniques, canoniques ou polyphoniques, a cappella, accompagnées ou purement instrumentales. On s’y régale de quelques-unes des plus célèbres mélodies (Ach senliches leiden Kl 51 ; Wes mich mein búl ie hat erfreut) quand d’autres sont absentes (Es fuegt sich, Der mai mit lieber zal). En revanche, voilà des raretés, ainsi la scène au bain de Wol auff, wir wellen slauffen où l’on apprécie l’exégèse et le travail éditorial mené par l’Ensemble Leones. 

Un corpus qu’avant lui visita une discographie qualitative, initiée par quelques vinyles marquants : le versant contrapuntique avec Othmar Costa, son chœur de chambre et son panel d'instrumentistes chez Telefunken (1974) ; le versant monodique avec Thomas Binkley et son Studio der frühen Musik (Emi, 1972, premier volume de la collection Reflexe) ; l’anthologie du Studio d’Augsbourg (Christophorus, 1987). Dans la notice, Dieter Kühn estime ces enregistrements de 2013 résolument différents de ceux familiers jusqu’alors », dans le sens d’un raffinement qu’accrédite l’écoute. Une manière bien loin des habits de bure, et qui tisserait même des ponts avec l’Ars subtilior, ainsi dans le Ich Klag ou le Herz, prich délicatement ciselés. Notre équipe se distingue par son tact, sa poésie, et emprunte au meilleur de ses devanciers : la douce sophistication du New London Consort de Philip Pickett (L’Oiseau-Lyre, mars 1994), le sens du verbe de l’Ensemble Sequentia (DHM, janvier 1993) qui ramenait l’accompagnement à de sobres vièles et harpe. Exécution de grande classe, émoustillante dans les vives tournures de danse qu’épicent la gouaille des vielle à roue et cornemuse. Le seul et bénin regret concerne des voix masculines un peu insipides. Heureusement le chant échoit principalement aux dames, au timbre fluide et fruité, enjôleuses dans les duos (Ach senliches leiden).

La plus sérieuse objection envers cet album reste qu’il figure dans le coffret Die grossen Minnesänger compilé par le même label, accueillant la fine fleur de la lyrique médiévale germanique : Walther von der Vogelweide, Neidhard von Reuental, Konrad von Würzburg, Mönch von Salzburg… Cette boîte inclut une notice globale (allemand, anglais) par Henry Hope, moins précise que le texte détaillé par Marc Lewon dans le présent disque. Nous laissons l’acheteur trancher ce dilemme, sachant que le site du groupe (https://www.leones.de/oswald_cd.html) propose quelques ressources et liens, dont le texte original des chansons et leur traduction en allemand contemporain.

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

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