Yannick Nézet-Séguin triomphe dans la Huitième de Mahler

par
Nezet-Seguin

En raison des effectifs colossaux à mobiliser -masse orchestrale et chorale, huit solistes du chant- la Huitième symphonie de Mahler est une rareté dans les salles de concert, et ce Gala européen -organisé conjointement par le Klarafestival et Bozar- avait rempli la salle Henry Le Boeuf d’une foule de mélomanes désireux d’assister à cet événement exceptionnel à plus d’un titre: non seulement par l’occasion offerte d’entendre l’oeuvre, mais aussi par la qualité de l’interprétation qu’en offrirent le chef Yannick Nézet-Séguin, l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam (qui signa la premier enregistrement commercial de l’oeuvre en 1954) et l’énorme phalange vocale constituée par trois formations néerlandaises (Groot Omroepkoor, Nationaal Kinderkoor et Rotterdam Symphony Chorus) auxquels se joignait l’illustre Orfeón Donostiarra basque.
Si la nature hybride de cette oeuvre en deux parties-l’hymne Veni Creator suivi de la scène finale du Faust de Goethe- fait qu’on peut se demander s’il s’agit vraiment d’une symphonie, il est incontestable qu’on est face à un réel chef-d’oeuvre qui va bien au-delà du surnom barnumesque de Symphonie des Mille dont on l’a parfois affublée. En tout cas, l’approche du chef canadien -coupe bagnard, costume de scène constitué d’un pantalon noir et d’un bizarre hybride entre une chemise blanche et un veston dans une matière indéterminée qui lui donnait un look de maître d’hôtel branché- fut d’une rare subtilité et intelligence. Dès le début, dans le jaillissement de la puissance jubilatoire et panthéiste du Veni Creator, Nézet-Séguin -qui dirigeait sans baguette- plutôt que de rechercher l’effet rouleau compresseur que pourrait permettre un si impressionnant effectif (et on ne vous a pas encore parlé de l’impressionnante partie d’orgue), misa sur une légèreté et une transparence qui mettait étonnamment en évidence ce que Mahler doit ici à Berlioz dans cette façon de doser avec subtilité les plus impressionnants effectifs et de toujours accorder la priorité à la poésie, même dans les plus violents déchaînements orchestraux et choraux. Cette approche allait se révéler tout aussi fertile dans la deuxième partie, marquée elle aussi par un soin remarquable apporté au détail orchestral et où, à nouveau, la poésie l’emportait de loin sur le grandiose (on songe ici à l’ineffable beauté des interludes orchestraux séparant les parties vocales). Ceci ne fit que confirmer que, dans cette interprétation solaire et optimiste, l’option interprétative du chef en faveur d’un Mahler filtré par une sensibilité latine, marquée par le bon goût, la délicatesse, la mesure et la transparence à mille lieues de la névrose et des excès qu’y mettait -souvent avec bonheur- un Leonard Bernstein.
Il est vrai que Nézet-Séguin put compter sur un orchestre en pleine forme, désireux de servir l’oeuvre et son directeur musical de son mieux. On se demande cependant si, compte tenu de l’imposante masse chorale, il n’eût pas été judicieux de renforcer certains pupitres de cordes - mais restait-il seulement de la place sur la scène? Si tous les musiciens méritent des louanges, on s’attardera volontiers sur l’excellente contribution de la première violon solo, de la trompette solo, d’un ensemble de trombones d’un inhabituel soyeux et d’un aérien pupitre de flûtes magnifiquement emmené par Juliette Hurel. Les choeurs surent se montrer à la fois vaillants ou délicats selon le nécessités de la partition (on n’oubliera pas de sitôt les impalpables pp du Chorus mysticus final).
Quant à la belle brochette de solistes du chant, elle fut largement à la hauteur de la tâche. Irréprochables sopranos Angela Meade, Erin Wall et surtout Erin Morley, dont la brève intervention en Mater Gloriosa fut un moment de pure grâce. Parmi les mezzos, Mihoko Fujimura fur simplement excellente, alors que si Michelle DeYoung (remplaçant Sarah Connolly au pied levé) demeure une interprète magnétique au timbre splendide, son vibrato fut par moments excessif. Chez les hommes, on retiendra surtout l’élégant baryton Markus Werba. Même si la basse Christoph Fischesser n’avait pas le timbre noir qu’on souhaiterait en Pater Profundus, il assura vaillamment sa partie. On en dira autant du ténor Michael Schade, dont l’implication dramatique en Doctor Marianus compensa pour bonne part un timbre assez ingrat.
Mais ne boudons pas notre plaisir, ce fut une magnifique soirée où Mahler fut servi comme il mérite de l’être.
Patrice Lieberman
Bruxelles, Bozar, le 24 mars 2018

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