Les English Baroque Soloists et Le Monteverdi Choir avec Christophe Rousset : Un Messie cosmopolite

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Dans la longue file qui menait à l’église Saint-Roch à Paris, il valait mieux parler anglais pour discuter avec ses voisins. C’est en effet peu dire que la venue du Monteverdi Choir et des English Baroque Soloists dans l’œuvre la plus emblématique du répertoire britannique est un événement pour tout amateur de musique anglaise.

Le mythique ensemble et chœur fondé il y a près de 60 ans par John Eliot Gardiner s’adjoint désormais les services de différents chefs invités depuis que leur directeur musical a été poussé vers la sortie l’année dernière. Pour lui succéder, les musiciens ont jeté leur dévolu sur le chef et claveciniste Christophe Rousset. Après la sortie récente d’un magnifique disque autour de La Messe de Minuit de Marc-Antoine Charpentier, le Monteverdi Choir, les English Baroque Soloists et le chef français sont actuellement en tournée avec Le Messie de Georg Friederich Haendel.

Créé à Dublin en 1742 et composé en seulement 3 semaines, cet oratorio, dont Haendel renouvelle le genre en important cette forme musicale d’Italie, n’est pas le plus dramatique des oratorios sacrés du compositeur. L’intériorité et la subtilité de cette œuvre complexe, tirée des textes bibliques, nécessite une direction musicale des plus fines et Christophe Rousset est l’homme idoine.

Dès les premières mesures, on comprend aisément que le spécialiste de musique baroque épouse totalement cette vision de ce chef-d'œuvre. 

Dans l’ouverture, marquée Symphonie, les cordes semblent arriver du lointain de l’église. La finesse et l’élégance des violons, emmenés par le premier violon Jane Gordon, sont une belle promesse.

La jeunesse à l’honneur à Bozar avec l’Orchestre Français des Jeunes et Kristiina Poska

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Bozar accueille ce mercredi 10 décembre l’Orchestre Français des Jeunes pour un concert consacré aux talents de la nouvelle génération. La formation, parmi les plus réputées d’Europe, a pour mission d’accompagner de jeunes musiciens vers les métiers d’orchestre, sous la tutelle de membres issus des plus grands ensembles français. À la baguette, Kristiina Poska, leur nouvelle directrice musicale depuis janvier 2025. Trois œuvres sont au programme : Recto de Yan Maresz, le Concerto pour piano n° 2 en fa majeur de Chostakovitch et, pour conclure la soirée, la suite symphonique Schéhérazade de Rimski-Korsakov. Le pianiste français Alexandre Tharaud est le soliste invité.

Le concert s’ouvre avec Recto de Yan Maresz. Commandé et créé en 2003 par les Ballets de Monte-Carlo, il constitue le premier mouvement d’une œuvre pour orchestre et électronique intitulée D’une rive à l’autre. Cette pièce, qui suscite l’intérêt manifeste de la cheffe estonienne, explore différents niveaux de polyrythmie ainsi que la perception du temps musical, jouant également sur l’alternance équilibre/déséquilibre. L’OFJ se distingue par une exécution ciselée et précise, nourrie d’effets marquants : pizzicatos Bartók, glissandi puissants des trombones… Kristiina Poska dirige avec clarté et rigueur, offrant une mise en bouche solide pour cette ouverture de soirée. Le compositeur Yan Maresz, présent dans la salle, monte sur scène pour recevoir les applaudissements du public et féliciter les musiciens et leur cheffe.

Brahms par le COE : Veronika Eberle et Jean-Guihen Queyras admirables, Yannick Nézet-Séguin contestable

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C’est un concert exclusivement consacré à Brahms que nous propose l’Orchestre de Chambre d'Europe, sous la direction de l’un de ses membres honoraires, le chef canadien Yannick Nézet-Séguin. Comme son nom peut le laisser entendre (en version originale : Chamber Orchestra of Europe, souvent siglée « COE »), ce n’est pas une formation permanente attachée à une ville ou à un pays, mais des musiciens de toute l’Europe qui, depuis 1981, se retrouvent pour des sessions de concerts. Il n’a ni directeur musical ni chef d'orchestre titulaire. Si, à ses débuts, Claudio Abbado et à Nikolhaus Harnoncourt ont grandement contribué à fabriquer son identité artistique, de nos jours c’est bien Yannick Nézet-Séguin, star internationale de la direction d’orchestre, qui le fait briller aux quatre coins du monde.

Au programme, la traditionnelle trilogie ouverture-concerto-symphonie. Pour commencer, l’Ouverture tragique (des deux ouvertures écrites par Brahms, c’est « celle qui pleure », selon le compositeur – l’Ouverture pour une fête académique étant « celle qui rit »). Yannick Nézet-Séguin en donne une interprétation énergique et spectaculaire. Il y a beaucoup d’effets certes efficaces, mais le mystère et la poésie peinent à prendre leur place.

Superbe résurrection du Judgment of Paris de John Weldon

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John Weldon (1676-1736) : The Judgment of Paris. Anna Dennis, Anna Cavaliero, soprano. Helen Charlston, Kitty Whately, mezzo-soprano. Thomas Walker, ténor. Jonathan Brown, Aksel Rykkvin, baryton. Julian Perkins, clavecin, direction. Chœur et orchestre de l’Academy of Ancient Music. Octobre-novembre 2023. Livret en anglais. 75’25’’. AAM046

Le chef d'orchestre Bas Wiegers à Metz

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Ce vendredi 5 décembre l’orchestre national de Metz Grand Est était placé sous la direction du chef d’orchestre néerlandais Bas Wiegers pour un concert mettant ses pupitres sous les feux de la rampe. 

Il commençait par la brève œuvre de la compositrice contemporaine canadienne Cassandra Miller Swim.  Cette composition tenant durant ses dix-sept minutes de Jean Sibelius pour son atmosphère neutre, de John Williams pour ses aspects quelques fois cinématographiques, et de György Ligeti  pour son statisme, était sans doute la plus difficilement abordable de ce concert à un public profane, mais restait nonobstant très intéressante dans ses variations autour d’un thème simple, presque blanc, par les différents pupitres et sa progression parfois sur une note par un instrument. Elle permet à l’orchestre de commencer à montrer la qualité des pupitres sous une lumière glacée, lactescente et quasi hypnotique. Outre les cordes, les pupitres des vents, et notamment des cuivres purent ici faire exposer déjà leurs techniques.

Les grâces de Mozart et de Bizet, de Mitsuko Uchida et de Klaus Mäkelä

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La plus grande partie du public venait sans doute pour écouter la grande, très grande Mitsuko Uchida. D’autant qu’elle jouait un Concerto de Mozart, compositeur qu’elle incarne comme personne. Elle avait choisi le N° 17, en sol majeur, de 1784, le premier d’une série de onze chefs-d’œuvre absolus, que l’on peut considérer comme la quintessence du génie de Mozart. Deux autres œuvres, d’époques très différentes, étaient au programme de ce concert de l’Orchestre de Paris dirigé par son directeur musical Klaus Mäkelä : la création française de Hell Mountain d’Anders Hillborg (créé en 2024), et la Symphonie en ut majeur de Georges Bizet, un véritable bijou écrit en 1855, alors qu’il avait tout juste dix-sept ans, et qui, d’une certaine manière, fait écho au Mozart entendu en première partie. Disons-le ici, pour ne pas y revenir : la pièce centrale ne dégageait pas le même éblouissement.

Mitsuko Uchida et le Dix-Septième Concerto de Mozart, donc. Dans son excellent enregistrement de 1992, avec l'English Chamber Orchestra et Jeffrey Tate, Mitsuko Uchida a eu la très pertinente idée de le faire précéder par le Quintette pour piano et vents. Outre qu'ils sont exactement contemporains, leur écoute successive agit comme un exhausteur de goût pour ce qui fait la saveur si particulière des œuvres concertantes de Mozart : les dialogues entre le piano et les vents.

Biber par Gunar Letzbor, réédition d’une sage intégrale des Sonatæ violono solo

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Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Sonatæ violono solo en la majeur, ré mineur, fa majeur, ré majeur, mi mineur, do mineur, sol mineur, sol majeur C. 138-145 [Nuremberg, 1681]. Sonata Representativa C. 146. Ars Antiqua Austria. Gunar Letzbor, violon. Lorenz Duftschmid, viole de gambe, violone. Michael Oman, viole de gambe. Roberto Sensi, violone. Axel Wolf, théorbe, luth. Wolfgang Zerer, orgue, clavecin. Juin 1994, rééd. 2025. Livret en allemand, anglais. Deux CDs 53’10 + 47’03. Christophorus CHE 0236-2

Seong-Jin Cho et Kazuki Yamada à Monte-Carlo

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Les concerts du Philharmonique de Monte-Carlo se succèdent sans répit, chacun avec sa couleur propre. Pour son dernier concert de l’année, Kazuki Yamada proposait un retour aux grandes pages du répertoire russe, avec trois chefs-d’œuvre de Prokofiev, Rachmaninov et Chostakovitch. Le programme, remanié à la dernière minute, abandonnait Le Chant des forêts — trop exigeant en renforts vocaux — au profit de la Symphonie n°9 de Chostakovitch. Un changement qui n’a en rien altéré l’élan de la soirée.

Le concert s’ouvre sur la Symphonie classique de Prokofiev, hommage malicieusement détourné à l’esprit de Haydn. Sous la direction vive et lumineuse de Yamada, l’O.P.M.C. en offre une lecture étincelante : vivacité ciselée, humour parfaitement assumé, et cette élégance naturelle qui fait respirer chaque motif. Le chef japonais en souligne la grâce juvénile, la précision rythmique et la verve pétillante, donnant à l’ensemble une fraîcheur irrésistible.

Le public monégasque retrouvait avec bonheur Seong-Jin Cho, star coréenne du piano et fidèle invité du Philharmonique. La Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov est d’abord un écrin de virtuosité, un théâtre d’illusions et de prouesses. Cho y déploie un art souverain : une virtuosité ferme et fluide, un sens aigu de la nuance, et un toucher d’une délicatesse argentée. Son jeu, à la fois majestueux et habité, conjugue intensité et raffinement dans un équilibre rare. Les variations s’enchaînent comme autant de tableaux mouvants — tour à tour espiègles, mystérieux, incandescents — jusqu’à une variation finale menée avec un souffle irrésistible, véritable tourbillon de couleurs et d’émotions.

Week-end Berio à Radio France 

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Outre l’intégrale des séquenze proposée la semaine d’avant à la philharmonie, Radio France nous a présenté vendredi et samedi deux des pièces les plus exaltantes du compositeur. Sinfonia et Laborintus II. La programmation a choisi de dispatcher les deux pièces dans des concerts différents, et de les accompagner de compléments de programme en lien plus ou moins étroits avec le compositeur. L’Orchestre Philharmonique de Radio France est dirigé par Pascal Rophé.

Berio, c’est mon mentor de fin d’adolescence. Celui avec qui j’aimais déranger mes semblables ! Lorsque j’ai débarqué en faculté de musicologie, et au conservatoire, les cours d’analyse, composition et d’histoire de la musique se sont révélés être des sources d’énergie nouvelles par le biais de professeurs passionnés. J’étais issu de l’école de musique d’une petite ville, le cœur rempli de piano romantique, de pop-music, d’opéra italien. Jusqu’ici, alors que certaines dissonances de Ravel me faisaient encore grincer des dents, on m’avait présenté la musique dite « contemporaine » comme difficile, bizarre, voire comme une blague ! 

Berio a été le premier à avoir eu mon aval dans la distinction entre “la vraie musique” et “le n’importe quoi”. Enfin un compositeur atonal qui trouvait grâce à mes yeux : il fut le marchepied vers ses camarades de Darmstadt (Boulez, Stockhausen, Xenakis, Ligeti). Pourtant, il n’était pas le plus accessible : sa rigueur structurelle demandait pas mal d’initiation. Mais son influence allait au-delà du langage : il avait cette capacité à intégrer Mahler, le madrigal, les Beatles, le jazz, le folklore, dans un discours d’avant-garde délirant, érudit, politique.

Alors, quand on me propose pour son centenaire deux pièces aussi emblématiques, sur les partitions desquelles j’ai passé pas mal d’heures d’études, je me précipite, avec toutefois, la légère appréhension de sentir sur elles, quelques marques du temps. 

Sur le papier, associer Berio à des créations de jeunes compositeurs.trices semble cohérent. Mais en lisant le programme, je me surprends à regretter de n’avoir pas profité du centenaire pour jouer d’autres de ses opus percutants et rares, comme A-Ronne ou Cries of London, l’ensemble vocal étant déjà là. Ce regret se confirme dès la première pièce : Sea sons seasons de la compositrice islandaise Bára Gísladóttir. Entre l’aspect descriptif de la mer, l’écriture de masse et l’utilisation bruitiste des modes de jeu, je me sens très loin de l’esprit de Berio, qui, malgré son exploration extrême des instruments dans les Séquenze, n’était pas friand d’un tel premier degré.