A Genève, L’ORFEO  selon Ivan Fischer  

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Pour deux uniques représentations, le Grand-Théâtre de Genève invite le grand chef hongrois Ivan Fischer et son Opera Company à présenter leur production de L’Orfeo de Claudio Monteverdi qui se propose de reconstituer le finale tragique de la première version perdue. A ce sujet, le chef cite Carl Kerenyi, érudit en mythologie grecque qui, dans un article de 1958 intitulé Orfeo simbolo dionisiaco, écrivait : « La scène finale d’Alessandro Striggio (le librettiste) contient l’essentiel de la fête dionysiaque qui combinait la tragédie avec le drame satyrique qui venait ensuite. Mais même cette combinaison s’avéra insupportable pour le public du XVIIe siècle. Monteverdi a dû abandonner son concept original qui était de présenter Orphée comme symbole dionysiaque. L’Orfeo fut ainsi privé de son sens tragique ». Ceci expliquerait donc le remaniement édulcoré qui fut présenté au Palais Ducal de Mantoue le 24 février 1607, montrant le dieu Apollon entraînant le chanteur-poète dans les étoiles où il peut contempler éternellement Eurydice. Mais l’on n’a jamais pu établir si Monteverdi avait mis en musique ou non le dénouement avec les Bacchantes démembrant le corps d’Orphée.  Ivan Fischer recourt donc à des séquences dansées avec chœur pour constituer une orgie bachique dont le protagoniste est rapidement chassé du plateau en cédant la place à un bouc lascif atteint de priapisme que nymphes et bergers avinés célèbrent bruyamment sans nous faire assister véritablement à une tragédie. 

Mais finalement qu’importe quand l’ensemble de la production s’avère fascinante avec une scénographie épurée d’Andrea Tocchio consistant en un terrain herbeux  et de faibles monticules entourant la lyre d’Orphée que surplombent des surfaces plastifiées où le vidéaste Vince Varga projette le frontispice du Teatro Olimpico de Palladio à Vicenza. Sous de beaux éclairages conçus par Tamas Banyai, les costumes, de coupe classique, reflètent une Grèce antique idéalisée où les tuniques pastel des bergers se mêlent aux robes sombres de Pluton et Charon, quand celle d’Eurydice est azurée, celle du chanteur, immaculée sous de longs cheveux soyeux qui le font ressembler beaucoup plus à un Christ sulpicien qu’à un aède. Avec l’aide d’Hannah Gelesz, la mise en scène d’Ivan Fischer est fonctionnelle en se contentant de narrer l’essentiel ; comme élément dynamique, elle recourt aux danseurs, en reléguant le chœur d’excellente qualité dans la fosse d’orchestre. Quant à sa direction, elle est continuellement effervescente et captivante à la tête du Budapest Festival Orchestra jouant sur des instruments historiques sa version remaniée qui bénéficie d’un large instrumentarium produisant un coloris innovateur, ce que révèle la toccata initiale, avec un flageolet soutenu par un tambour de scène qui est ensuite amplifiée par les vents.

Sur le plateau, les feux sont braqués sur le magnifique Orfeo du ténor Valerio Contaldo, continuellement expressif grâce à une musicalité sans faille et une déclamation soignée qu’il sait rendre palpitante. Par la fraîcheur du timbre, la soprano Emöke Barath est aussi convaincante en Eurydice qu’en allégorie de la Musique, alors que Luciana Mancini affiche le grain sombre de la Messagère porteuse de funeste nouvelle. La basse Antonio Abete sonne d’abord engorgée pour un Charon qui, peu à peu, retrouve sa stature de redoutable nocher des Enfers, se pliant aux injonctions péremptoires du Pluton de Peter Harvey et de la Proserpine de Nuria Rial. Le contre-ténor Michal Czerniawski confère éclat à la personnification de l’Espérance, tandis que Cyril Auvity et Francisco Fernandez-Rueda donnent une couleur primesautière à un berger puis à un esprit. Au terme de ce spectacle émoustillant présenté sans entracte, le public enthousiaste acclame l’ensemble de la production.                                       

 Paul-André Demierre

Genève, Grand-Théâtre, le 28 octobre 2019

Crédits photographiques : Judith Horvath

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