A Genève, l’OSR à l’heure ouzbèke avec Aziz Shokhakimov et Behzod Abduraimov

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Pour le concert du 9 mars intitulé ‘Les stars ouzbeks’, l’Orchestre de la Suisse Romande invite deux trentenaires, Aziz Shokhakimov, chef titulaire de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et directeur artistique du Tekfen Philharmonic Orchestra en Turquie, ainsi que le pianiste Behzod Abduraimov, 1er Prix du London International Piano Competition en 2009.

Le programme commence par La Procession des fêtes de Khorezm, une page luxuriante due à la plume de Suleiman Yudakov (1916-1990), musicien soviétique d’origine ouzbèke. Jamais donné en Suisse auparavant, percutant comme la ‘Fête à Bagdad’ dans la Schéhérazade de Rimsky Korsakov, ce bref tableau en technicolor voit le hautbois instiller une note folklorique dans un cantabile qui s’étoffe progressivement pour conclure triomphalement par les cuivres éclatants nous rappelant les défilés du Spartacus de Khatchatourian.

Intervient ensuite Behzod Abduraimov, interprète du  Deuxième Concerto en ut mineur op.18 de Sergey Rakhmaninov qui, après les accords initiaux du piano, débute bien mal avec un orchestre vrombissant qui tartine le canevas avec une épaisseur contraignant le soliste à produire un son anguleux qui, néanmoins, reste précis dans l’exécution des traits virtuoses. La volonté d’y faire chanter les séquences méditatives lui permet d’imposer, dans l’Adagio sostenuto subséquent, un jeu plus clair d’une rare éloquence qui se laissera émoustiller par le stringendo amenant le Final. Dans cet Allegro scherzando, les enchaînements de passages brillants alternent avec un legato expansif, avant de conclure par une stretta fulgurante déchaînant les applaudissements. Behzod Abduraimov y répond par le Quatrième des Préludes op.28 de Chopin, instant privilégié de pure poésie…

Le concert s’achève par la dernière des symphonies de Sergey Prokofiev, la Septième  en ut dièse mineur op.131 créée à Moscou le 11 octobre 1952 par l’Orchestre de la Radio de l’URSS dirigé par Samuil Samosud. Dès les premières mesures du Moderato, Aziz Shokhakimov fait montre de son talent en imprégnant la déploration des cordes graves et bassons d’une lancinante douleur qui atteint son paroxysme puis se dilue sous l’influence du hautbois proposant un contre-sujet rasséréné. L’Allegretto souscrit à la même veine en s’assimilant à un scherzo enfiévré devenant suave dans le trio, comme si l’on assistait à la scène du marché dans Roméo et Juliette. L’Andante espressivo baigne dans un lyrisme extatique que rendent émouvantes les cordes dynamisées par les bois. Le Vivace final virevolte avec un brio qui frôle le cynisme, alors que les cuivres attaquent un marziale. Mais l’intervention des cloches, du xylophone et du piano désagrège peu à peu le tourbillon véhément  afin de produire un choral énigmatique s’achevant par un pizzicato de cordes tout aussi surprenant. Le public en reste médusé puis applaudit frénétiquement ce jeune chef aux lendemains qui chantent…

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 9 mars 2022

Crédits photographiques : Jean-Baptiste Millot

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