A Genève, l’OSR rend hommage à Armin Jordan    

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Il y a quinze ans disparaissait, le 20 septembre 2006, Armin Jordan, le chef le plus emblématique de l’Orchestre de la Suisse Romande après son fondateur, Ernest Ansermet. Titulaire de la direction artistique et musicale de 1985 à 1997, il laisse le souvenir d’un musicien au répertoire immense, s’ingéniant à faire découvrir nombre de créations contemporaines et d’œuvres françaises, germaniques ou russes oubliées. 

Pour lui rendre hommage, l’Orchestre de la Suisse Romande a organisé, au Victoria Hall le 23 septembre, un concert qui a été pris d’assaut par tous les auditeurs genevois qui ont gardé en mémoire tant l’artiste que l’homme simple à la générosité proverbiale qu’il s’ingéniait à pimenter d’un humour souvent caustique. 

L’on a donc fait appel au chef bernois Stefan Blunier qui, depuis 1992, a œuvré dans les théâtres de Mayence, Augsbourg et Darmstadt avant de devenir Generalmusikdirektor à Bonn de 2008 à 2016. Le Grand-Théâtre de Genève l’a applaudi dans les productions de Wozzeck et de Der Zigeunerbaron.

Son programme débute par la page la plus célèbre d’Arthur Honegger, Pacific 231, évoquant la mise en marche d’une locomotive effarante qui accélère progressivement comme un ‘pas d’acier’ que se partagent bois et cuivres et que ponctuent sèchement les cordes. Puis le ralentissement s’étale en un diminuendo de valeurs longues…

Intervient ensuite le pianiste français David Fray, soliste du bien curieux Concerto pour piano et orchestre de Francis Poulenc. Ecrit en 1949 à la demande du Boston Symphony Orchestra et de son chef, Charles Munch, cet ouvrage composite juxtapose les états d’âme les plus contrastés sans les inscrire dans un cadre formel rigoureux. Abordé comme un ‘andante commodo’, il est irradié par un piano à la sonorité claire qui dessine soigneusement tout segment mélodique avant de se laisser emporter par la houle des vents. L’Andante con moto est empreint d’une nostalgie profonde qui s’effrite sous les soubresauts tragiques, alors que le Final tient de la toccata au rythme endiablé, épinglant le spiritual, la samba ou le french-cancan. Face au succès que recueille l’exécution, David Fray propose en bis la sublime "Aria" qui ouvre les Variations Goldberg de Bach, en recherchant la profondeur de sonorité qui produit naturellement l’émotion…

En seconde partie, Stefan Blunier inscrit une œuvre qu’affectionnait Armin Jordan, la Schéhérazade de Nikolai Rimsky-Korsakov. Profitant du large effectif à sa disposition et de la luxuriance de l’orchestration, il la développe comme une fresque cinématographique MGM années soixante, avec un art du phrasé qui ménage la progression jusqu’aux déferlements entraînant le vaisseau de Sindbad dans la tempête. Le violon de Bogdan Zvoristeanu à la sonorité pulpeuse use de ses ressources techniques pour narrer, voire commenter les épisodes successifs, alors que le basson puis la clarinette chantent le récit du Prince Kalender, vite assombri par les cuivres batailleurs. Quel contraste produit l’évocation du jeune couple princier grâce à ce rubato des cordes et ce cantabile expressif du violoncelle qui introduit chaque solo des vents en lui laissant le temps de la libre improvisation. Par les tutti à l’arraché, Bagdad prend véritablement l’apparence de la fête débridée qui atteint son paroxysme alors que la mer en furie engloutit le navire de Sindbad. Tandis que se diluent les éléments, l’extrême aigu du violon a le dernier mot… avant que les spectateurs ne bondissent de leurs sièges pour manifester bruyamment leur enthousiasme.

Genève, Victoria Hall, le 23 septembre 2021

Crédits photographiques : Thilo Beu

 

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