A Genève, un Concert de l’An inégal 

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Au cours des premiers jours de l’an, les Amis de l’Orchestre de la Suisse Romande organisent un Concert de l’An qui est donné le premier soir au Victoria Hall de Genève, le second soir au Théâtre de Beaulieu à Lausanne. Pour cette année, le choix s’est porté sur un programme lyrique que devaient interpréter Sonya Yoncheva et Dmitry Korchak sous la direction de Jonathan Nott. Mais confrontée à de graves problèmes de santé, la soprano bulgare a dû annuler sa participation et au dernier moment, accourt depuis l’Arménie Juliana Grigoryan qui, le temps d’une seule répétition et d’un raccord, respecte en grande partie le programme prévu.

Y figure une page célèbre, l’Ouverture que Rossini composa en 1829 pour son dernier ouvrage, Guillaume Tell. Le jeune violoncelliste Léonard Frey-Maibach livre un solo empreint d’une extrême sensibilité que soutient le canevas en demi-teintes tissé par ses collègues de pupitre. Un pianissimo presque imperceptible (presque inouï sous cette baguette !) amène subrepticement l’orage qui déferle sur les trombones menaçants, avant que le cor anglais n’imprègne le ranz des vaches d’une mélancolie que pour une fois ( !), les bois pimentent de suaves inflexions. Hélas ! quelques couacs inopportuns gâchent l’attaque du célèbre galop qui s’en remet rapidement pour sacrifier à l’effet cavalerie lourde !

Intervient ensuite le ténor russe Dmitry Korchak que j’ai entendu régulièrement à Pesaro depuis 2006. Aujourd’hui, à quarante-cinq ans, ce Rossini qu’il a abondamment interprété convient beaucoup moins à sa morphologie vocale en pleine mutation. Et la scena ed aria de Rodrigo au deuxième acte d’Otello, « Che ascolto !... Ah ! come mai non senti pietà » le pousse à livrer en un curieux fortissimo le declamato et à pousser l’aigu dominant une coloratura grossièrement savonnée. Au deuxième acte de La Fille du Régiment, la scène de Tonio, « Ah mes amis, quel jour de fête », limitée à quelques mesures, laisse une impression tout aussi peu convaincante  que confirme la série de contre-ut étranglés dans  la redoutable stretta « Pour mon âme ». Mais le public, composé en grande partie d’invités et de sponsors non connaisseurs,  n’y prête guère attention en applaudissant à tout rompre ! Quant à Juliana Grigoryan, elle propose d’abord la Romance à la lune tirée du premier acte de la Rusalka d’Antonin Dvorak, en irisant son timbre sombre aux aspérités gutturales d’une ligne de chant qui lui permet de négocier piano son second couplet. Puis elle joue la carte du grand lyrisme dans le si rabâché « O mio babbino caro » de Gianni Schicchi en s’armant d’une naïveté toute ingénue. Puis avec la volonté de respecter le programme annoncé, elle s’attaque à la seule « Casta diva » de Norma en déployant une ampleur de phrasé qui se durcit avec la réitération des la bécarre 4 appuyés et des gruppetti d’ornementation.

Comme si un rideau avait été tiré sur cette première partie bien inégale, la seconde s’avère de bien meilleure qualité. Jonathan Nott présente d’abord ce grand tableau de genre qu’est l’Introduction symphonique au troisième acte de Madama Butterfly, en se laissant emporter par l’exaltation lyrique des cordes graves qu’il agrémente des quelques pépites orientalisantes fournies par une fabuleuse orchestration. Juliana Grigoryan en profite  pour insérer le fameux « Un bel dì vedremo » qu’elle développe comme un véritable récit tout en nuances. Reparaît un Dmitry Korchak métamorphosé et sûr de ses moyens dans une page du premier acte des Pêcheurs de Perles de Georges Bizet, le récit de Nadir « A cette voix quel trouble agitait tout mon être ? » dont il a l’éloquence tragique avant de négocier la romance « Je crois entendre encore »sur une tenue de souffle qui lui concède pianissimi et fil di voce sur les aigus minutieusement ciselés. Dans la même veine, Jonathan Nott enchaîne avec le Preludio au premier acte de La Traviata en rendant translucide le legato des cordes, ce qui oblige pour une fois les bois à se confiner dans la nuance piano. Main dans la main, les deux solistes proposent le duetto de l’acte III « Parigi, o cara » en s’armant d’une touchante sincérité qui incite le ténor à une expansion un peu exagérée. Par contre, les deux voix trouvent le juste équilibre dans le célébrissime « Libiamo » qui déclenche l’enthousiasme des spectateurs. Pour répondre à ce succès délirant, s’enchaînent trois bis, une Habanera de Carmen où la soprano se veut virago aguicheuse, une « Donna è mobile » de Rigoletto dont le ténor privilégie l’éclat factice, alors que tous deux  s’épaulent en une touchante complicité dans le suave « Tornami a dir che m’ami » au troisième acte de Don Pasquale. Restée seule devant l’orchestre, Juliana Grigoryan s’adresse au public pour une présenter une berceuse du prêtre arménien Komitas qu’elle chante a cappella avec une émotion sincère qui touche la corde sensible avant de quitter la scène sur la pointe des pieds…

En résumé, un concert véritablement festif !

Genève, Victoria Hall, 8 janvier 2025

Crédits photographiques :   Dougados Magali - OSR

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