A la découverte du flageolet français, avec Hugo Reyne et La Simphonie du Marais

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Les Amours d’un Rossignol. Musique pour le flageolet français. Œuvres de Greeting, Banister, Hills, Freillon-Poncein, Hotteterre, Haendel, Toulan, Yost, Pfeilsticker, Heinel, Berlioz, Collinet père, Roy, Jullien, Musard, Carnaud, Bousquet et Damaré. La Simphonie du Marais, Hugo Reyne, flageolet et direction. 2020. Livret en français et en anglais. Deux CD (62.50 et 65.20) + un DVD (35.00). HugoVox 002.

Lorsque cette insolite production a été mise en début d’année sur le marché, il y était précisé que La Simphonie du Marais donnerait son dernier concert au Logis de la Chabotterie, en Vendée, en septembre prochain et que Hugo Reyne, après une aventure dont il a été l’initiateur en 1987 et le directeur musical pendant 33 ans, reprendrait alors sa carrière de musicien en solo. Les événements sanitaires étant ce qu’ils sont, les mesures mises en place permettront-elles à ce concert d’avoir lieu à la date prévue, c’est-à-dire le 19 septembre ? Le site de La Simphonie du Marais annonce le report ou l’annulation de certains concerts d’été, mais ne donne pas de précision quant à ce « concert d’adieu », dont on ne peut qu’espérer qu’il puisse avoir lieu.  

Né en 1961 à Paris, Hugo Reyne étudie la flûte à bec puis le hautbois. Entre autres récompenses, il remporte en 1984 le premier prix de musique de chambre du Concours International de Bruges. Il entame une carrière de soliste, enregistre Corelli, Bach, Haendel, Vivaldi et bien d’autres, participe à l’aventure baroque avec Brüggen, Herreweghe, Leonhardt ou Savall, est musicien d’orchestre et effectue des tournées dans le monde entier. Il fonde son propre ensemble en 1987, la Simphonie du Marais, avec laquelle il enregistre une cinquantaine de disques salués par la critique (on se souviendra notamment de la formidable intégrale des Symphonies pour les soupers du Roy de Michel-Richard de Lalande en 1990). Cet hyperactif devient aussi directeur musical de plusieurs festivals, il enseigne dans de nombreux lieux, il dirige d’autres formations. Il nourrit en plus une passion pour l’édition de partitions anciennes et la recherche musicologique. C’est dans ce dernier contexte que le présent album, insolite et original, va voir le jour. Il s’agit en effet du premier enregistrement entièrement dédié au flageolet français du XVIIe au XIXe siècle et à son répertoire. Dans la notice qu’il signe lui-même, Hugo Reyne explique qu’il a fait connaissance avec cette petite flûte à sifflet en 1980 à l’occasion d’une visite au Musée des instruments de musique du Conservatoire National de Musique de Paris, et qu’il a été tout de suite fasciné « par ces sortes de flûtes à bec pour la plupart munies de clefs ». Avant toute audition, on lira les quatre pages que Hugo Reyne consacre, avec un sens de la synthèse aiguisé, à ce flageolet français spécifique et à son historique. Et puis, avant de se lancer dans le parcours des deux CD, on visionnera le passionnant DVD d’une durée de trente-cinq minutes qui est joint : Hugo Reyne y fait une présentation, chaleureuse et enjouée, des treize flageolets utilisés, avec des extraits de concerts et d’enregistrements. Un nécessaire régal préparatoire à l’enchantement que sera ensuite la découverte du programme, intitulé Les Amours d’un Rossignol. Le titre ce cet enregistrement m’a été suggéré par une œuvre d’Eugène Damaré qui est d’ailleurs l’un des derniers compositeurs à avoir écrit pour le flageolet. Le rossignol étant le roi des oiseaux chanteurs, le flageolet ayant été utilisé pour « instruire » les oiseaux domestiques, les différents morceaux du répertoire portant pour titre le nom de cet oiseau, tout m’a incité à adopter ce titre, précise encore Hugo Reyne. Le moment est venu de se plonger dans deux bonnes heures de délices musicaux. 

Le premier CD est consacré à des œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles et donne accès à des pièces de compositeurs peu fréquentés, même si on y trouve une transcription d’une page d’un concerto pour orgue de Haendel. Le tout s’ouvre par la chanson « A la claire fontaine… » dans laquelle on sait qu’« un rossignol chantait ». Cet air enfantin du XVIIe clôturera aussi le second CD. Le parcours, enchanteur et raffiné, passe par Londres sous Charles II, avec des airs de Thomas Greeting (c.1640-1682), John Banister (1630-1679) ou Mr. Hills, né vers 1700, qui les composa « pour être appris aux oiseaux domestiques » !  De façon récurrente, Hugo Reyne annonce lui-même les titres et récite l’un ou l’autre texte de l’époque, éclairant ainsi de manière érudite chaque découverte. Après les Anglais, les Français prennent la place ; parmi eux, Michel Yost (1754-1786), dont deux pages referment le premier disque. Yost est considéré comme l’un des premiers clarinettistes virtuoses et comme le fondateur de l’école de clarinette française. Il a laissé pour son instrument une petite quinzaine de concertos et une trentaine de quatuors. Quatre de ses concertos ont été arrangés pour le flageolet. Celui en mi bémol majeur ici joué est un moment éblouissant, d’un charme irrésistible.  

Tout aussi éblouissant est le Concerto en sol majeur de Nicolas Pfeilsticker (178-1820) qui ouvre le second CD, consacré au XIXe siècle. Hugo Reyne en a trouvé la trace à la Bibliothèque Royale de Madrid. Dans d’autres étapes de sa recherche de musicologue inlassable, Reyne a eu aussi accès au quatuor de Frédéric Heinel (1753-1808), qui fut probablement une compositrice de Bayreuth et prit un nom masculin pour publier à Paris. Le flageolet est lié aux formations destinées à la danse. Les noms de Philippe Musard (1792-1859) et de Louis Jullien (1812-1860) sont de nos jours totalement oubliés, alors qu’en ce temps-là, ils étaient connus dans maints pays, Hugo Reyne précisant même : Nous avions alors la musique de danse la meilleure du monde, et les valses de Vienne, dont on nous rebat les oreilles aujourd’hui, n’en étaient que de pâles imitations…. Une appréciation dont on laissera la liberté à notre flageolettiste, mais on reconnaîtra que la séduction et la vitalité habitent ces valses et galops. Un clin d’œil à Berlioz : un extrait de ses Mémoires est récité ; dans une romance des environs de 1819, Le Dépit de la bergère, apparaît le mot « flageolet ». Bien avant la Symphonie fantastique, Berlioz avait débuté grâce au flageolet, qu’il raillera dans les Grotesques de la musique (Lyon, Symétrie, 2022, p. 44). Ici, le piano accompagne un flageolet Collinet des environs de 1820. On savourera encore des pages avec orchestre bien enlevées de Narcisse Bousquet (c.1800-1869) ou de Eugène Damaré (1840-1919). On y retrouve les parfums des kiosques de la fin du XIXe siècle avec cornets à piston, trombones, ophicléide ou percussions… Hugo Reyne ne manque pas de souligner que toutes ces œuvres, enregistrées dans un son superlatif, en 2015 pour les concertos et en 2019 pour les autres morceaux, sont des premières mondiales.

Voilà un album qui sort tout à fait de l’ordinaire, servi avec ferveur, dévotion et allégresse par un Hugo Reyne des plus enthousiastes, maîtrise absolue des divers flageolets à l’appui, les musiciens de la Simphonie du Marais, dont la composition est différente selon les concertos joués, lui accordant en retour les fruits d’un remarquable travail collectif que l’on saluera pour le plaisir qu’il nous donne. Dans sa notice, Hugo Reyne dit qu’il espère pouvoir « donner un disque de flageolet anglais et un autre d’ocarina ». Le défricheur n’est donc pas encore au bout de ses aventures… Ainsi conçu, cet album apparaît non seulement comme un apport musical de qualité, mais sa conception même, avec la présentation visuelle des instruments par le biais d’un DVD, prend une valeur documentaire, pédagogique et historique qui en fait un bel objet de collection.

Note globale : 10

Jean Lacroix 

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