A Genève, le retour en fanfare de Pinchas Steinberg

par

Durant les trois saisons allant de septembre 2002 à août 2005, Pinchas Steinberg a été le directeur musical de l’Orchestre de la Suisse Romande. Dans le cadre des manifestations du centenaire, il revient donc à Genève et à Lausanne pour être, pour deux soirs, à la tête d’une formation avec laquelle il n’a pas travaillé depuis quatorze ans.

Le programme s’ouvre par le Concerto pour piano et orchestre n.3 SZ.119 de Bela Bartok qui a pour interprète le pianiste hongrois Gabor Csalog. Sur le pianissimo des cordes, le clavier distille d’abord une sonorité claire qui, hélas, se rigidifie dès le développement de l’Allegretto au point de devenir touffue. L’Adagio religioso est totalement dépourvu d’émotion, en se contentant de surnager sur une étouffante morosité. Par chance, le Finale semble mieux calibré rythmiquement avec le double fugato où le trait est plus nerveux. Mais se dégage l’impression que l’orchestre va son bonhomme de chemin pendant que, de son côté, le soliste œuvre besogneusement, ne recueillant, au terme du parcours, que quelques applaudissements de politesse.

Puis Pinchas Steinberg prend la parole afin de présenter  Ma Vlast (Ma Patrie) élaboré par Bedrich Smetana entre 1874 et 1879 ; il insiste sur la prouesse d’écriture d’un musicien qui, dès le début du cycle, doit lutter contre les atteintes d’une surdité qui brouille ses facultés intellectuelles au point de ne lui laisser dans la tête que la stridence d’un mi suraigu, ce qu’il transcrira du reste dans son Premier Quatuor à cordes  intitulé Aus meinem Leben . Lors des répétitions, seule la vue des différents pupitres lui permettra de détecter ce que l’orchestre est en train de jouer et qu’il n’entend pas… Terrible ironie du sort !

Avec un palpable émoi, les deux harpes évoquent le barde Loumir, magnifiant la citadelle de Vysehrad que dessinent les cors et les bois. La houle expressive des cordes proclame les exploits chevaleresques puis la destruction de la forteresse dont la baguette dégage les ruines pour faire place aux cors majestueux reprenant le motif initial. La célèbre Moldau bruit ensuite du dialogue rapide entre la flûte et la clarinette, qui laisse se répandre le fleuve souverain dont chaque segment mélodique traduit l’effervescence, croquant au passage une danse villageoise fort animée, les ébats des naïades dans une eau translucide, les bouillonnements des gorges de Saint-Jean, avant de parvenir triomphalement à Prague. Par de véhéments tutti est dépeinte Sarka, l’amazone attachée à un arbre, attirant par ses plaintes le guerrier Ctirad, chevauchant avec ses troupes. Les violoncelles chantent l’éveil  d’une passion qui les attire irrémédiablement ; mais la fougue avec laquelle se préparent les festivités nuptiales débouchera sur un drame tournant au bain de sang. En total contraste, Par les prés et les bois de Bohême est conçu comme un véritable hymne panthéiste dont les violons irisent les strophes ; leur polyphonie complexe  brosse un cadre champêtre d’où s’échappera un vigoureux furiant. Dans un coloris étrange, les cuivres scandent le Choral des Hussites pour décrire Tabor, l’emplacement de leur camp, en soulignant sa rudesse austère, rudesse qui s’enracinera dans Blanik, la montagne où dorment les guerriers prêts à repartir au combat. Mais les bois en suggèrent les contreforts bucoliques où s’immiscera le martèlement des armées partant  pour défendre la patrie menacée. Et c’est le motif jubilatoire de Vysehrad qui boucle la boucle, suscitant les applaudissements à tout rompre d’un public conquis par cette remarquable interprétation !                                         

Genève, Victoria Hall, 20 II 2019

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : DR

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.