Anneleen Lenaerts, harpiste
Concertiste et harpiste des Wiener Philharmoniker, notre compatriote Anneleen Lenaerts vole de succès en succès. Après une tournée des Wiener Philharmoniker sous la direction de Mariss Jansons, elle se rendait à Bogota pour une série de concerts. Entre temps, elle répond aux questions de Crescendo-Magazine.
Votre nouvel album pour Warner est consacré à Nino Rota ? Pourquoi avez-vous choisi ce compositeur ?
Mon premier contact avec la musique de Nino Rota fut la “Sarabanda e Toccata” pour harpe solo. C’est une pièce assez connue et importante dans le répertoire de la harpe. Elle est très souvent demandée lors des concours car c’est une très belle pièce qui montre l’instrument sous toutes ses facettes : lyrique, chantant, rythmique et dansant. J’ai découvert ensuite ses pièces de musique de chambre et même un concerto, qui n’est presque jamais joué. Nino Rota est un grand compositeur, mais comme vous le savez sa notoriété repose plus sur ses célèbres musiques de films que sur ses compositions “classiques”. Ces dernières sont pourtant largement majoritaires dans son legs ! Consacrer un album à l’intégrale de sa musique pour et avec harpe m’a semblé être une bonne idée pour le mettre en valeur.
Vous avez complété ce disque avec quelques extraits de ses célèbres musiques de film. Êtes-vous une cinéphile ?
J’aime bien regarder des films, mais le choix de ces extraits était plutôt porté par l’idée de réaliser un portrait complet du compositeur Nino Rota et ne pas montrer seulement son côté “classique”. Les extraits sont des transcriptions pour harpe et cordes qui pourront s’ajouter au répertoire des harpistes. Pour préparer le disque, j’ai naturellement visionné avec grand intérêt The Godfather et d’autres films de Fellini. J’ai même pris un abonnement Netflix, grâce à cet enregistrement.
Vous avez déjà enregistré les concertos pour harpe de Rodrigo, Glière, Jongen et désormais Rota. Pensez-vous un jour enregistrer ceux de Parish-Alvars ?
Pourquoi pas ! Il y a encore beaucoup de belles pièces qui méritent d’être montrées au public !
Il existe une importante “école française de harpe”, est-ce qu’il existe une “école belge de harpe” ?
En général, l’école belge de harpe est très proche de l’école française car nous avons beaucoup de traditions en commun. À la fin du XIXe siècle, il y a eu l’invention de la harpe chromatique, une harpe avec deux rangs de cordes. Cette harpe n’était presque enseignée qu’en Belgique. Les Danses Sacrées et Profanes de Debussy furent écrites spécifiquement pour cet instrument mais on les joue maintenant sur une harpe à pédales (diatonique).
Vous êtes également soliste dans l’orchestre des Wiener Philharmoniker. Comment rentre-on dans cet orchestre ?
Il faut faire une audition pour le Wiener Staatsoper, qui est le même orchestre que le . Normalement, seuls les musiciens qui ont déjà un poste dans un orchestre sont invités pour le “Hauptprobespiel”. Comme, à l’époque, j’étais plutôt active comme soliste, j’ai d’abord dû faire une pré-audition. Cela faisait six ou sept tours de concours sur deux jours. Après cela, les musiciens évidemment doivent prester une période probatoire, mais heureusement après un an, j'étais titularisée.
Le rythme de travail entre la fosse du Staatsoper, les concerts et les nombreuses tournées n’est-il pas trop épuisant ?
C’est beaucoup de travail, surtout dans une maison comme le Staatsoper qui joue chaque soir un opéra différent. Au cours de ma première saison (entre septembre et juin), j’ai joué 45 opéras différents sans répétitions car au Staatsoper, il n’y a pas de répétition pour le répertoire. C’est un rythme de travail très difficile au début, mais avec l’expérience et la connaissance acquise du répertoire, cela devient même désormais chouette. Une journée souvent normale, c’est deux services de répétitions avec les Wiener Philharmoniker et puis un service d’opéra le soir !
Mais d’autre part, même si la masse de travail est importante, tous les musiciens disposent d’une certaine flexibilité ; chaque groupe peut ainsi faire son propre planning et décider qui part en tournée et qui reste à domicile pour jouer dans la fosse car, comme vous le savez, les représentations ne s’arrêtent jamais, même quand les Wiener Philharmoniker sont en tournée. Cette flexibilité dans les plannings nous permet de combiner les impératifs de l’orchestre avec des concerts en solo ou de la musique de chambre. Cela me procure du plaisir et me donne de l’énergie, car ça me permet de développer toutes les facettes d’une carrière de musicienne.
Pendant longtemps, les Viennois ont très fermés, voire hostiles, à l’intégration des femmes. Est-ce qu’être une jeune musicienne dans un orchestre réputé “conservateur” a un sens particulier pour vous ?
On m’a posé déjà cette question à plusieurs reprises mais, à vrai dire, je n’ai jamais voulu y penser. Après avoir gagné le concours, je voulais être respectée comme harpiste, comme musicienne, sans penser que je suis une jeune femme. Je veux faire mon métier selon les plus hauts critères de professionnalisme et c’est tout qui compte pour moi.
Vous êtes également professeur au Conservatoire de Maastricht. L’enseignement est-il important pour vous ?
Oui, c’est très important ! On apprend tellement soi-même en enseignant, par l’analyse du son et les mouvements des doigts chez les étudiants. C’est une très belle voie de pouvoir partager des expériences avec des élèves et de sentir que l’on peut les aider à trouver leur chemin.
Nino Rota : Concerto pour harpe et orchestre ; Sonate pour flûte et harpe ; Sarabanda e Toccata ; The Godfather ; Death on the Nile ; La Dolce Vita ; Romeo and Juliet ; The Taming of the Shrew. Anneleen Lenaerts, harpe ; Emmanuel Pahud, flûte ; Brussels Philharmonic, Adrien Perruchon. Warner Classics.
Le site d’Anneleen Lenaerts : www.anneleenlenaerts.com
Crédits photographiques : Marco Borggreve.
Propos receuillis par : Pierre-Jean Tribot