Cecilia Bartoli, hommage à Farinelli : un enregistrement idéal

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« Farinelli ».  Airs de PORPORA, HASSE, R. BROSCHI, GIACOMELLI, CALDARA. Cecilia BARTOLI, mezzo-soprano ; Il Giardino Armonici. 2019-75’30-présentation en anglais, français, allemand- textes en allemand, italien, anglais, français-chanté en italien-DECCA 485 0214

En réunissant certains des compositeurs favoris du célèbre Farinelli (1705-1782) -Porpora, Hasse Riccardo Broschi, Giacomelli ou Caldara- Cecilia Bartoli en son zénith, propose un « enregistrement-joyau » aussi remarquablement conçu, présenté que réalisé. En orfèvre du son, elle cisèle le moindre affect, éclaire ou assombrit son timbre en nuances infinitésimales, se prête magistralement à la délicieuse conversation en musique, enlacements de voix et d’instruments, propre au belcanto. L’air d’Aci (« Polifemo » de Porpora) Lusingato dalla speme, enregistré en première mondiale, en offre un exemple ravissant de fraîcheur et de tendresse avec le dialogue hautbois solo (Pier Luigi Fabretti)/voix. La virtuosité ultra maîtrisée, à la fois aérienne et charnelle, les ornements aussi précis qu’impalpables (Come nave in ria tempesta du même Porpora) alternent avec des phases calmes voire majestueuses (Farnaspe de Giacomelli, Mancare o Dio mi sento) ou empreintes de délicatesse (mort de Cléopâtre). Les sonorités chaudes du célèbre Alto Giove (Porpora) déploient leurs moirures en guise de conclusion. En scène, le format vocal des émules mezzo ou haute-contre de Farinelli et autres castrats sonne souvent un peu étriqué même avec des formations instrumentales ultra réduites dans les salles les plus complaisantes. Ici, le disque efface et sublime cet inconvénient. Bien plus, il installe un espace sonore généreux équilibré, d’une grande finesse, si bien que la prise de son frôle l’idéal ; et les quelques stridences, claquements de cordes côté orchestral (Riccardo Broschi Si, traditor tu sei ), les émissions parfois engorgées, nasalisées ou les tentations « roccoco » (Morte col fiero aspetto, Hasse) viennent en aiguiser l’intérêt. Et le résultat final de l’objet sonore mérite tous les éloges. 

Certes, la photo de couverture peut laisser dubitatif. D’abord en ce qu’elle sous-entend une ambiguïté relative aux castrats et au plus illustre d’entre eux, Farinelli, dont se revendique l’album. Car factuellement, la voix d’un castrat est toujours sexuée ; c’est celle non muée d’un jeune garçon, propulsée par la cage thoracique d’un adulte et forgée par une sensibilité et une intelligence musicale travaillées à l’extrême. Indubitablement masculine à l’origine, son timbre est celui de l’enfance ; son volume et son art, ceux d’un chanteur adulte et puissant comme le soulignait Philippe Jaroussky dans un récent entretien commenté sur le site de Crescendo. Que le castrat interprète un héros féminin ou masculin -l’un « ou » l’autre, mais jamais l’un « et » l’autre- , ce sont l’instrument vocal et sa musicalité qui sollicitent les compositeurs et subjuguent les auditeurs. Pour essayer d’apparaître comme de l’un « et » l’autre sexe, l’image barbue de Cecilia Bartoli frôle le contresens. En outre, pétrifiant cette image syncrétique, elle interdit le passage de l’un à l’autre. Elle fige ainsi le processus même de l’art baroque précisément fondé sur le mouvement.

Enfin, la pilosité féminine n’est-elle pas ici complètement hors sujet (Baba la turque apparaît chez Stravinski en 1951) ? Nul besoin de provocation : cet enregistrement ouvragé de main de maître suffit en lui-même à combler de joie l’auditeur.

 Bénédicte Palaux Simonnet

 

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