An Atlas of Deep Time : l’humain, ce minuscule
An Atlas of Deep Time. John Luther Adams (1953-) ; South Dakota Symphony Orchestra, Delta David Gier. 41’57" – 2024 – Livret : anglais. Cantaloupe Music. CA21199.
Son territoire, le nord de l’Alaska, dans lequel il s’incruste depuis plus de 40 ans, son militantisme écologique durant les décennies de l’adultisme naissant –il pense depuis lors que la musique est mieux placée que la politique pour changer le monde–, sa façon de ramasser un caillou, un corail, une poignée de sable, comme un condensé, spatial et temporel, de l’histoire de la Terre, ses minéraux, ses formes, ses vies, sont autant de matériaux de pensée prompts à façonner le projet musical du compositeur américain, connu pour Become Ocean, la pièce d’orchestre avec laquelle il remporte le Prix Pulitzer de musique 2014 : avec sa nouvelle œuvre, John Luther Adams s’autorise une fresque (grandiose ou grandiloquente), aux calculs d’une humilité édifiante -« la Terre est âgée de 4 milliards 570 millions d’années. An Atlas of Deep Time dure environ 42 minutes, ce qui équivaut à un peu moins de 100 millions d’années par minute. À ce rythme, toute l’histoire de la famille humaine est représentée dans les dernières 25 millisecondes de cette musique. »
Cet atlas du temps profond (le temps géologique) est une plongée dans l’évolution de la planète, bien loin des pérégrinations de nos boulevards encombrés et des préoccupations de nos journaux essoufflés : Adams répartit le South Dakota Symphony Orchestra, dirigé par Delta David Gier, en six groupes instrumentaux disposés autour du public, chacun doté d’une vie sonore propre, au tempo, à la texture, à la densité spécifiques, comme des couches rocheuses qui se rencontrent, se superposent et s’entremêlent, en mouvement constant mais sur une échelle de temps démesurée, constitutives d’une minéralité fondamentale, qui ne s’arrête jamais, qui change mais ne change pas.
De cette musique sourd une puissance aussi libre que brute, qui intimide, coupe le souffle, en même temps qu’elle enveloppe l’auditeur comme sa coquille l’escargot : on y est protégé, on s’y enfonce loin des prédateurs, et on reste ouvert au monde.
Son : 7 – Livret : 7 – Répertoire : 7 – Interprétation : 7
Chronique réalisée sur base de l'édition digitale.
Bernard Vincken