Beethoven autour du monde avec le Quatuor Ebène 

par

Dans le cadre de l’année Beethoven, le Quatuor Ebène propose la parution d’une intégrale des quatuors enregistrée à l’occasion des étapes d’une tournée à travers les continents. A cette occasion, Crescendo Magazine rencontre Gabriel Le Magadure, second violon et membre fondateur du quatuor.  

Ma première question est liée à l’actualité. Comme beaucoup d’Européens, vous devez vivre au rythme du confinement. Cependant, comment cela se passe-t-il pour les membres d’un quatuor à cordes ? Est-ce que vous travaillez ensemble via vidéo-conférence ? 

Cette situation exceptionnelle nous a imposé une réflexion fondamentale ainsi qu’une réorganisation profonde de nos emplois du temps et de nos vies. Répéter via des plateformes numériques semblait inconcevable compte tenu des connexions parfois hasardeuses, des décalages qui peuvent en découler, mais aussi des qualités sonores souvent exécrables. Il nous manquerait l’essentiel : la vibration des cordes, l’alchimie des sons, le sentiment d’être réels.

Donc pour le moment ces rendez-vous Skype ou FaceTime nous servent surtout à évoquer le futur plus ou moins proche et à planifier un agenda de déconfinement (enregistrer des disques par exemple, puisque la reprise des concerts est encore trop floue).

Le quatuor Ebène fait partie des top formations mondiales, des top teams comme on dirait en Formule 1. Quels sont les secrets pour maintenir un tel niveau artistique et musical ? Est-ce qu’il y a des rituels dans votre manière de travailler et de répéter ?

Nous ne cessons de répéter depuis des années qu’il y a trois secrets pour maintenir un niveau d’exigence : le travail, le travail… et le travail. Plus sérieusement, chaque groupe a ses propres secrets ou rituels, et ils sont probablement tous valables.

Nous avons pour habitude, depuis nos débuts, de répéter énormément car nous avons besoin de temps et d’expérience pour mûrir les choses, de travailler très lentement pour façonner l’équilibre, la justesse, l’homogénéité. Nous sommes passionnés d’harmonie et le fait de jouer les œuvres « au ralenti » constitue un véritable bain de jouvence pour nos oreilles. 

Vous avez mené ce projet Beethoven Around The World : quarante concerts, dix-huit pays visités. Est-ce que les différentes étapes ont influencé votre manière d’interpréter les quatuors à cordes ? 

Les rencontres et les moments forts passés dans chaque pays visité ont forcément un rayonnement sur notre état. Notre histoire, notre langage, la manière de raconter la musique sont influencés ou du moins renouvelés par l’environnement dans lequel nous nous trouvons ; les différentes cultures enrichissent beaucoup notre expérience de vie et donc notre discours.

Est-ce que vous avez ressenti des différences dans la perception par les différents publics mondiaux ? 

Notre rêve était sans cesse alimenté par notre curiosité : partir à la rencontre de publics éclectiques, les confronter à Beethoven et attendre leurs retours. Ce rêve a été exaucé ! Jouer Beethoven en Allemagne, en Autriche ou même en France est plutôt chose commune. Le jouer devant des jeunes Maoris en Nouvelle-Zélande, une salle remplie d’enfants de 6 à 16 ans en Corée ou devant des enfants au Kenya furent des expériences tout autres. Leur pureté et leur candeur face à cette musique donnait lieu à des réactions totalement inédites et nous sommes revenus de ce tour du monde pleins de souvenirs inoubliables. 

Est-ce qu’il y a un souvenir particulier qui vous fortement marqués pendant cette tournée ? 

Pour faire suite à la question précédente, nous avons été profondément marqués par notre expérience kényane à Nairobi où nous avons passé deux journées dans le plus grand bidonville du pays. Là-bas, une organisation (Ghetto Classics) a fondé une école permettant de sauver, par l’apprentissage de la musique, des enfants issus de la pauvreté la plus totale. Cette petite parcelle d’espoir est une lumière divine au milieu d’un quotidien fait d’horreur et de misère. Les élèves se réunissent de manière assidue, pour partager leur amour de la musique, pour s’abandonner et s’élever dans le bonheur. Nous n’oublierons jamais leurs yeux remplis d’étoiles lorsqu’ils évoquent ce que représente la musique dans leur quotidien et dans leurs rêves. Elle est pour eux source de survie, échappatoire à la violence humaine, accès direct à la beauté et à l’émerveillement.

Ce fut pour nous la plus grande leçon : nous avions devant nous des enfants désarmants de vérité qui nous faisaient réaliser pourquoi nous faisons ce métier. 

Les différents volumes de votre intégrale discographique sont le reflet de certaines étapes. Pourquoi avoir choisi ce mode d’enregistrement et non pas une session studio au terme de votre périple ? 

Nous voulions par cette expérience être au plus près de ce que représente Beethoven à nos yeux : une musique faite de chocs, de contrastes immédiats, passant de la violence à la tendresse, de l’euphorie à la solitude, de l’irréel à l’humain.

Le studio aurait probablement diminué et amoindri la spontanéité de notre interprétation. Il était pour nous vital de garder cet élan et ce souffle, cette atmosphère magique, ce lien intime tissé entre l’artiste et l’auditeur au moment du concert.

 Est-ce qu’il y a des interprétations du passé ou du présent, par d’autres confrères, qui vous marquent particulièrement ? 

À l’heure de fêter nos 20 ans, nous avons une pensée très forte pour le Quatuor Alban Berg qui enregistrait, il y a tout juste 30 ans, l’intégrale des quatuors de Beethoven en live à Vienne. Ils restent une référence absolue ! Nous avons aussi eu la chance d’assister à quelques concerts mémorables du Quatuor Lindsay, un son d’ensemble absolument unique. Ils étaient exceptionnels d’engagement et de sincérité. Nous n’oublions pas les Amadeus, les Italiano, les Vegh, les Guarneri ou encore les Hagen ou le Quatuor Mosaïques… il y en a tant ! Pour parler au présent nous avons un immense respect pour nos collègues et amis du Quatuor Belcea ; raffinement, classe et intégrité. 

Depuis la fondation du Quatuor en 1999, vous avez à plusieurs reprises changé l’un des membres. Comment se passe la sélection et l’intégration ?

Changer un membre n’est jamais chose aisée, que cela vienne d’un commun accord ou d’une fracture irrémédiable. C’est difficile pour le nouvel entrant est de devoir s’affirmer en « faisant avec » le passé et l’ADN du groupe. Pour ceux qui l’accueillent, il faut savoir faire preuve d’intelligence et de bienveillance, accepter les idées nouvelles qui sont source de réinvention. Ces périodes fondatrices rendent le groupe plus solide à long terme.

Il y a 21 ans, est-ce que vous vous projetiez plus de 20 ans plus tard ? Est-ce que vous pouvez envisager de jouer avec vos confrères dans 20 ans ? 

On dit souvent qu’entrer dans un quatuor, c’est entrer en religion ou adopter une nouvelle famille. Dès nos débuts, nous avons choisi de dédier notre vie à ce métier de quartettiste, sans bien sûr en connaître tous les rouages. Cette vie trépidante et passionnante est aussi faite de sacrifices ; tant sur le plan humain que sur le plan musical, il faut savoir écouter sa propre identité et la rendre bénéfique au groupe. C’est une véritable école de vie et de démocratie ! Nous sommes liés par quelque chose qui nous dépasse, qui est parfois difficile à décrire… mais qui maintient intacte notre soif d’être ensemble.

Vous avez bénéficié de l’enseignement de grands musiciens comme Gábor Takács ou Eberhard Feltz. Est-ce que vous pratiquez l’enseignement avec de jeunes quatuors ou est-ce que vous l’envisagez ? 

Ces mentors, de même que György Kurtág ou le Quatuor Ysaÿe, ont été fondateurs dans notre identité. La transmission est essentielle à la pérennisation de la musique. Nous n’avons pas encore de poste fixe en quatuor mais sommes actuellement professeurs en résidence au CNSM de Paris. Par le passé nous avons aussi fait beaucoup de master classes en Europe et nous avons été en résidence à la Colburn School de Los Angeles. Actuellement nous avons plusieurs projets en cours d’élaboration et il est possible que nous ayons bientôt de belles nouvelles côté enseignement.

Le site du quatuor Ebène : www.quatuorebene.com

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Julien Mignot

 

Un commentaire

  1. Ping : Beethoven et le Quatuor Ébène : une histoire d’amour partagée | Crescendo Magazine

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.