Benoît Mernier, César Franck et la composition 

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Le compositeur Benoît Mernier propose une nouvelle orchestration du Choral n°2 en si mineur de César Franck. Cette orchestration pour orgue et orchestre, rencontre de deux musiciens belges, est une commande du Théâtre Royal de La Monnaie. A cette occasion, le compositeur nous parle de César Franck mais aussi de son ressenti d’artiste et d’enseignant par rapport au confinement.

Le milieu musical a été ébranlé par la soudaine disparition du chef d'orchestre Patrick Davin. C’est un musicien que vous connaissiez très bien, n'avait-il pas souvent dirigé votre musique ?

Je connaissais Patrick depuis près de 35 ans, nous étions alors étudiants au Conservatoire Royal de Liège. Il était pour moi comme un grand frère. Il a accompagné ma musique à des moments charnières de mon développement de compositeur : il a dirigé ma première pièce pour ensemble instrumental au pupitre de l'ensemble Synonymes qu’il avait fondé avec des étudiants liégeois ; il était également à la baguette de l’Orchestre de La Monnaie pour la création de ma première pièce pour orchestre. Pour un compositeur, ce sont des moments 

importants et il m’avait épaulé et conseillé avec bienveillance. Il avait également dirigé la création de mon deuxième opéra La Dispute, il avait cet art de dépasser les problèmes inhérents à toutes productions lyriques. 

Il disait les choses avec tellement d'humanité et toujours accompagné d’un grand sourire qu'il pouvait transcender les artistes à passer au dessus de questions  d'égo ou d’émotions. Je suis immensément triste face à si soudaine disparition et je pense à ses proches, à son épouse et à ses deux filles. Aussi à tous ses amis musiciens qu’il a marqués. Par la variété des musiques qu'il dirigeait, par son engagement dans la défense de la création, son inoxydable enthousiasme et amour de la musique, il laisse un immense vide dans la vie artistique.

Que représente César Franck pour vous  ? 

Il occupe une place importante car c’est l’un des grands compositeurs pour notre instrument. J’ai découvert sa musique progressivement quand j’étudiais l’orgue. Mais l’un de mes premiers souvenirs, avant même que je ne commence l’étude de la musique, est d’avoir entendu le Choral n°3 de Franck joué par l’organiste de l’église où mes parents m’emmenaient enfant le dimanche. Cette musique me fascinait. J’ai par la suite été marqué par l’intégrale gravée par Marie-Claire Alain pour Erato sur le Cavaillé-Coll de Saint François de Lyon, un des plus beaux instruments qui soient. César Franck n’est certes pas un révolutionnaire dans l’histoire de la musique comme peuvent l’être Beethoven, Liszt ou Wagner (compositeurs que Franck admirait énormément d’ailleurs), mais sa musique accompagne un tournant dans l’évolution et dans l’histoire de l’instrument. Il a imposé un style original et neuf en parfaite adéquation avec les instruments du génial facteur d’orgue Cavaillé-Coll et il a été à l’origine d’un courant musical extrêmement fécond et riche : le style symphonique français.

Son art est une prolongation du style romantique, mais sa richesse contrapuntique, son originalité dans l’approche des thèmes et des modulations en font une figure majeure. C’est un compositeur dont la musique se prête à de multiples possibilités d’interprétations et qui offre une palette infinie à la subjectivité de l'interprète, beaucoup plus que d’autres compositeurs-organistes de l’époque tels que Widor, Guilmant ou Vierne, quelles que soient leurs qualités. Ainsi, bien qu’il soit absolument génial et formateur, c’est un compositeur que je déconseille à mes étudiants qui préparent des concours internationaux car la multitude des portes ouvertes par sa musique peut parfois déconcerter les membres des jurys. Chacun a sa propre idée de ce qu’il faut faire avec cette musique. Ce compositeur offre énormément de possibilités interprétatives, ne fût-ce que pour la question du tempo sur laquelle il y a beaucoup de divergences de vue.

Quels sont les défis à relever pour une orchestration ? 

Il y a deux options en matière d’orchestration ! Soit, prendre l’exemple d’un Webern quand il orchestre par exemple le “Ricercare” de l’Offrande musicale de Bach, c’est à dire projeter sa propre palette compositionnelle sur la partition, faisant fi de son essence originelle (avec sa technique de Klangbarbenmelodie, par laquelle les lignes sont distribuées, voire éclatées, dans l’espace), ou bien tenter de s’imaginer ce que le compositeur aurait pu faire. Dans le cas qui nous occupe ici, il faut bien admettre qu’il n’y a pas de modèle d’une composition de la main de Franck pour orgue et orchestre ! Il y a certes des exemples de grandes œuvres de son époque pour orgue et orchestre comme la célèbre Symphonie n°3 de Saint-Saëns, mais elle est assez éloignée de l’esprit de César Franck.

J’ai tenté de trouver un chemin entre les deux options. C’est à dire garder à l’esprit le style du compositeur tout y en adjoignant une touche personnelle. Mon idée était que cette orchestration soit l’expression d’une interprétation personnelle. En effet, quand je travaille et joue une œuvre, je ne peux m’empêcher de la penser « plus loin », de la transcender par mon imaginaire. Ainsi, quand je joue le 2e Choral de Franck seul, je l’entends avec des sons orchestraux éminemment expressifs. L’orchestration que j’ai réalisée est en quelque sorte l’image musicale que j’aimerais proposer au public quand je la joue en solo, tant d’un point de vue formel -en ce sens, j’ai essayé de travailler de manière « fonctionnelle » pour que l’orchestration puisse en dessiner davantage la forme- que de manière sonore par le choix des timbres orchestraux.

 Le confinement a été une période de repli sur soi. Comment le compositeur Benoît Mernier a-t-il vécu ce moment ? Est-ce qu’il a eu des influences sur votre démarche créatrice ? 

C’était effectivement une période étrange ! Un temps suspendu mais, d’un autre côté, du fait du climat anxiogène et des incertitudes, il m’était difficile de laisser libre cours à mon intuition créatrice. Je peux me considérer comme privilégié par rapport à d’autres confrères car j’ai un poste d’enseignement (et donc des revenus fixes, ce qui n’était pas le cas de musiciens uniquement concertistes) et mon quotidien a été rythmé par la multiplication des heures d’enseignement par vidéo. Je me suis focalisé sur les projets en cours, mais même travailler sur ces œuvres commandées ou planifiées était source d’inquiétude, avec le peu de certitudes que nous avions alors sur les concerts. Fort heureusement, ceux-ci reprennent peu à peu, mais si les limitations du nombre de musiciens sur scène venaient à perdurer, cela influencerait naturellement les perspectives futures en forçant peut-être les compositeurs à favoriser les petits effectifs instrumentaux !

Vous êtes également professeur d’orgue au Conservatoire Royal de Bruxelles. Comment l’enseignement s’est-il déroulé en période de Covid ? 

D’abord, n’oublions pas que l’orgue est un instrument qui vit déjà avec la distanciation sociale ! L’organiste est par nature assez solitaire dans une église ou dans une salle de concert ! Au début du confinement, cela apparaissait comme une suspension temporaire des activités, mais dès que nous avons compris que ce moment allait durer, il a fallu s’organiser. Le vecteur vidéo nous a permis de poursuivre l’enseignement et tous les élèves ont pu aussi avoir accès à un instrument pour pratiquer ! Cependant, je ne vous cache pas que ce n’était pas des plus faciles et encore moins des plus adéquats. De plus, j’ai voulu garder du lien entre les étudiants et je leur ai proposé de poster des œuvres d’art qui leur étaient chères avec, chaque fois, un commentaire. Cela a très bien marché et j’ai même découvert des puits de connaissance et d’intérêts divers chez certains d’entre eux par rapport à certains artistes ou certaines œuvres. En ce sens, à travers cette période trouble, nous avons pu inventer quelque chose de nouveau et de fédérateur. Chaque moment de crise dans les sociétés permet d’inventer et de se renouveler. Nous avons toujours à apprendre même dans des moments difficiles…

  • A écouter : 

Cette nouvelle partition pour orgue et orchestre sera donnée en première mondiale, le dimanche 20 septembre au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

Benoît Mernier sera le soliste à l'orgue de la Salle de concert Henry Le Boeuf  et Alain Altinoglu dirigera l'Orchestre symphonique de La Monnaie. Ce concert de rentrée de La Monnaie sera dédié à la mémoire de Patrick Davin.

Ce concert sera diffusé en direct sur les ondes et les canaux numériques de la RTBF Musiq3 et en différé par la radio belge néerlandophone Klara (13 àctobre à 20h).

Plus d'informations sur ce concert : www.lamonnaie.be 

Plus d'informations sur Benoît Mernier : www.21music-publishing.com/benoit-mernier 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Pierre-Jean Tribot, Rédacteur en chef de Crescendo-Magazine, est co-fondateur et administrateur de XXI Music Publishing éditeur graphique de cette partition.

Crédits photographiques : Yves Gervais

   

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