Bernard Foccroulle et ses fabuleux tuyaux

par

Pascal Dusapin (1955-), Bernard Foccroulle (1953-), Jonathan Harvey (1939-2012), Toshio Hosokawa (1955-), Betsy Jolas (1926-), Thomas Lacôte (1982-) : 30 Years of New Organ Works (1991-2021). Bernard Foccroulle. 80’14 – 2021 – Livret en : anglais et français. Fuga Libera. FUG 789.

C’est un disque qui sinue le long d’un parcours, celui d’un organiste, compositeur, pédagogue, gestionnaire et acteur culturel engagé qui, nonobstant un investissement dans les multiples voies de ses passions artistiques, toujours revient à l’instrument et sans cesse cherche celui qui, le mieux, répond à chaque écriture : Fantasia trouve sa place à l’orgue Silbermann-Kern de l’église protestante Saint-Thomas à Strasbourg (le seul des treize orgues construits par les Silbermann à Strasbourg à avoir conservé assez de pièces d'origine -il date de 1741- pour mériter encore aujourd’hui le label familial), sur lequel Bernard Foccroulle crée la pièce en 1991 ; Memory est enregistré, treize ans après sa création à la cathédrale de Strasbourg, sur l’orgue Thomas de l’église protestante Saint-Jean à Wissembourg (construit en 2015, son habillage est résolument moderne) et les autres pièces du programme, initialement destinées à l’orgue de Bozar, sont jouées sur celui de la Philharmonie de Paris, après l’incendie (et l’inondation de l’instrument qui en découle) au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

Trente ans séparent le Fantasia de Jonathan Harvey, unique partition pour orgue seul du compositeur anglais, commande du festival Musica de 1991 pour laquelle Harvey se rend spécialement à Strasbourg pendant la phase d’écriture, curieux d’humer le parfum de l’église Saint-Thomas et de s’imprégner de son acoustique large et bienfaisante, morceau au rythme précaire, qui va et vient entre lenteur et rapidité, accumulant les contrastes, et Elegy for Trisha, composé par Foccroulle pour orgue et violoncelle (Sonia Wieder-Atherton -à qui l’œuvre est dédiée) sur base de son propre concerto pour violoncelle de 2018, hommage à la chorégraphe américaine Trisha Brown : le duo d’instruments n’est pas courant et sonne ici avec une richesse désarmante, adoptant la forme d’un tombeau, lent et méditatif, du grave vers le plus aigu -la belle surprise du disque.

Parmi les pierres angulaires de ces trois décennies, Toshio Hosokawa, dans Cloudscape, traite l’orgue comme autant de shō (l’orgue à bouche qui accompagne le gagaku, la musique de cour japonaise), un pour la main droite, un pour la main gauche, un pour la pédale, sources sonores harmonisées ou opposées pour se fondre dans une masse dense qui s’accumule, croît, change lentement de forme et de compacité, disparaît presque et se métamorphose pour revenir, muter et s’évaporer à nouveau -telle le nuage dans le ciel-, alors que Pascal Dusapin, avec Memory, revient à son instrument de jeunesse et à un souvenir musical d’adolescent, le rock psychédélique des Doors, au claviériste duquel il se réfère dans cet Hommage crypté et monomodal à Ray Manzarek (ainsi qu’il sous-titre la la pièce), dont les sonorités de la troisième partie rappellent celles du Vox Continental de l’organiste électronique et chevelu de Light My Fire.

Titulaire du grand orgue de l’église de la Trinité à Paris (sur le siège duquel Olivier Messiaen s’assied pendant soixante ans), Thomas Lacôte compose The Fifth Hammer pour orgue à quatre mains (les deux autres ici sont celles de Yoann Tardivel -qui prête également ses pieds) à partir de phénomènes sonores initiés et glanés à même l’instrument, assemblés pour édifier une sorte de grande arche faite de matériaux plus ou moins bruts, plus ou moins travaillés. Avec son morceau E più corusco il sole, Bernard Foccroulle participe en 2016 au week-end d‘inauguration des 5320 tuyaux du grand-orgue de Radio France, conçu et construit par Gerhard Grenzing, facteur allemand installé à Barcelone (inspiré du Purgatoire, le compositeur y suit le chemin de Dante, entre remords et régénérescence), tandis que Musique d’autres jours se réfère à Musique de jour, que Betsy Jolas écrit quarante-quatre ans plus tôt pour le même Foccroulle, ajoutant cette fois le violoncelle à l’orgue, dans une pièce qui revient sans cesse sur le délicat équilibre entre ces deux couleurs instrumentales.

Son : 7 – Livret : 7 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

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