Bernard Herrmann, l’un des tout grands de la musique de film

par

Bernard Herrmann - Intégrale des enregistrements de musique de film pour Decca Phase 4 Stéréo. Bernard Herrmann (1911-1975) : Sélections de Psycho, Marnie, North by Northwest, Vertigo, The Trouble with Harry, Jane Eyre, The Snows of Kilimanjaro, Citizen Kane, The Devil and Daniel Webster, Journey to the Centre of the Earth, The Seventh Voyage of Sinbad, The Day the Earth Stood Still, Fahrenheit 451, Mysterious Island, Jason and the Argonauts, The Three Worlds of Gulliver, Obsession. Arnold Bax (1883-1953): Oliver Twist (Fagin’s romp, Finale). Arthur Benjamin (1893-1960) : An Ideal Husband (Waltz, Hyde Park Galop). Arthur Bliss (1891-1975) : Things to Come, suite. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Hamlet, sélection. Constant Lambert (1905-1951) : Anna Karenina, suite. Miklós Rózsa (1907-1995) : Julius Caesar, suite. Ralph Vaughan Williams (1872-1958) : The Invaders (from 49th Parallel). William Walton (1902-1983): Richard III (Prelude) ; Escape Me Never (Ballet Sequence). London Philharmonic Orchestra, National Philharmonic Orchestra, direction : Bernard Herrmann. Enregistré entre le 11 décembre 1968 et le 6 novembre 1975 aux Studio 3 West Hampstead et Kingsway Hall, à l’Église St Giles Cripplegate, Londres. Édition 2021. Livret en anglais. 1 coffret 7 CD Decca 4851585.

Enfin ! Pour honorer le 110e anniversaire de la naissance du compositeur et chef d’orchestre Bernard Herrmann, Decca publie en un beau petit coffret l’intégrale de ses enregistrements Phase 4 Stéréo de musique de film. Fort bien ! Mais pourquoi donc s’être limité au seul cinéma, alors que Bernard Herrmann lui-même se considérait d’abord comme chef d’orchestre, puis et seulement ensuite comme compositeur de musique de concert et de film ? Car pour cette même série Phase 4 Stéréo de Decca, il a aussi enregistré des œuvres de Debussy, Dukas, Fauré, Gershwin, Holst, Honegger, Ives, Liszt, Milhaud, Ravel, Saint-Saëns, Satie, Sibelius, Stravinsky, Weill ! Occasion ratée, donc… Contentons-nous de ce que nous avons…

Nous devons au chef d’orchestre et producteur américain Charles Gerhardt (1927-1999) la renaissance au disque et au concert de la musique de film, essentiellement symphonique, de l’Âge d’Or d’Hollywood, grâce à sa superbe série de 14 microsillons chez RCA enregistrés dans les années 70. À ce moment, trois compositeurs honorés dans cette série étaient encore en vie et ont participé aux sessions : Dimitri Tiomkin (1894-1979), Miklós Rózsa (1907-1995) et Bernard Herrmann (1911-1975). La relève serait assurée par après avec John Williams, parmi d’autres.

La carrière de Bernard Herrmann en tant que compositeur pour films s’étale sur 35 années, depuis Citizen Kane (Orson Welles, 1941) jusqu’à Taxi Driver (Martin Scorsese, 1975), deux études sombres et brillantes de solitaires mégalomanes. Artiste sensible et hautement cultivé, le compositeur lui-même, n’acceptant aucun compromis, était un être tourmenté, hanté par la solitude et la mélancolie qu’il a sublimées dans sa musique.

Pour Decca Phase 4, Bernard Herrmann nous a légué sept microsillons dédiés à la musique de film, respectivement intitulés un tantinet à l’américaine Music from the Great Movie Thrillers (d’Alfred Hitchcock, 11-12 décembre 1968), Music from the Great Film Classics (16 février 1970), The Fantasy Film World of Bernard Herrmann (28-30 novembre 1973), Music from the Great Shakespearean Films (28 mars 1974), The Mysterious Film World of Bernard Herrmann (6-7 février 1975), Obsession (de Brian De Palma, 15 août 1975) et Great British Film Music (5-6 novembre 1975). Cinq de ces LPs sont consacrés à sa propre musique ; les deux autres, Great Shakespearean Films et Great British Film Music, honorent des collègues compositeurs, respectivement Chostakovitch, Walton, Rósza d’une part, et Lambert, Bax, Benjamin, Walton, Vaughan Williams, Bliss d’autre part.

Ces enregistrements témoignent du génie musical et dramatique, au langage reconnaissable entre tous, de Bernard Herrmann compositeur, aussi à l’aise dans sa musique de mélodrame gothique ou de science-fiction, de mythologie grecque ou de thrillers policiers : il utilise souvent de petites cellules thématiques répétitives en ostinato ou soumises à des marches harmoniques ascendantes ou descendantes, telles qu’on les trouve dans Psychose (Alfred Hitchcock, 1960) ou Voyage au centre de la Terre (Henry Levin, 1959), avec des orchestrations originales ou inusitées, s’adaptant aux besoins des films, privilégiant les cuivres ou allant, comme dans le dernier film précité, jusqu’à utiliser cinq orgues dont un d’église, sans compter un serpent (!) également utilisé dans White Witch Doctor (Henry Hathaway, 1953) alors que dans Psychose, il se limite à un orchestre à cordes, associant le noir et blanc musical à celui de l’image.

Bernard Herrmann refuse donc de se cantonner à un seul ensemble : il pouvait écrire brillamment pour orchestre symphonique -The Devil and Daniel Webster (William Dieterle, 1941), par exemple, ce qui lui a valu son deuxième Academy Award, ou Les Voyages de Gulliver (Jack Sher, 1960)- mais il cherchait toujours d’autres options. Pour le film de science-fiction Le Jour où la Terre s’arrêta (Robert Wise, 1951), Herrmann déploie un orchestre insolite évoquant l’origine du visiteur d’un autre monde : deux thérémines, trois instruments à cordes électriques (violon, violoncelle et contrebasse), deux pianos, deux harpes, trois vibraphones, un célesta, deux glockenspiels, trois orgues dont deux Hammond, cuivres et percussions ; tandis que Fahrenheit 451 (François Truffaut, 1966) voit Herrmann opter pour « une musique d’une grande élégance et simplicité », véritable élégie sur le déclin de la civilisation pour orchestre à cordes, harpes et percussions, plutôt que l’habituelle utilisation de musique électronique d’avant-garde pour un sujet futuriste.

Cette nouvelle édition à l’identique scrupuleux des microsillons originaux (jusqu’aux textes des versos de LP, à lire impérativement avec une loupe !) répare une omission de Eloquence Australie qui avait déjà mis à disposition l’ensemble de ces enregistrements en trois doubles CD, à la curieuse exception de Obsession (Brian De Palma, 1975), d’autant plus regrettable que l’on est en présence du testament musical du compositeur, et l’une de ses meilleures œuvres : le film est un hommage de Brian de Palma au Vertigo d’Hitchcock, et comme Vertigo, cette méditation lyrique, pour chœur, orgue et orchestre, sur l’amour, la perte et la mémoire, implique un homme obsédé par le sosie de sa bien-aimée décédée. Cela devait particulièrement résonner avec la sensibilité tragique de Bernard Herrmann.

Son : 9 - Livret : 9 - Répertoire : 9 - Interprétation : 9

Michel Tibbaut

Un commentaire

  1. Ping : Premier souvenir de cinéma | Cin'Eiffel

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.