Carlo Rizzi, chef d’orchestre de convictions

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C’est l’un des chefs d’orchestre les plus demandés des scènes lyriques mondiales, mais il fréquente également avec assiduité les concerts symphoniques. Alors qu’il dirige l’Antwerp Symphony Orchestra dans Wagner et Berlioz, le maestro Carlo Rizzi répond aux questions de Crescendo Magazine. 

Vous êtes un chef d'orchestre très actif depuis vos débuts, tant à l'opéra qu’au concert. Par cette alternance, il semble que vous menez votre carrière comme les grands chefs d'orchestre du passé. Il s'agit d'un équilibre devenu maintenant plutôt rare et les chefs préfèrent soit le symphonique, soit l'opéra. Revendiquez-vous ce concept à l’ancienne dans votre carrière ?

Je pense que chaque chef d'orchestre devrait faire ce qu'il fait le mieux. Pour moi personnellement, il est important de diriger à la fois le répertoire symphonique et le répertoire lyrique pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il y a des chefs-d'œuvre symphoniques et opératiques que j'ai vraiment envie de diriger. En ce qui me concerne, le choix du répertoire n'est pas le fruit d’une pensée abstraite, il est dicté par l'intérêt musical, la curiosité et le désir d'explorer une partition qui est sortie de l'esprit et de la plume d'un génie. Deuxièmement, je pense qu'en tant que chef d'orchestre, l'expérience du travail dans les deux domaines est mutuellement bénéfique. Du répertoire symphonique, je peux faire prendre conscience qu’un opéra est une somme ! Il n’y a pas seulement les voix qui contribuent à l'opéra, mais l’ensemble, avec l'orchestration même si cette dernière peut s’avérer très simple. Et mon expérience de l'opéra me permet de mieux gérer la capacité de “respirer” dans les phrases orchestrales et de donner plus de “flexibilité” à la musique symphonique.

Vous avez été nommé directeur artistique du label Opera Rara qui oeuvre à la redécouverte des opéras rares. Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter ce poste ?

Le concept et la mission d'Opera Rara sont de proposer au public contemporain des œuvres qui ont été oubliées au fil des ans. Cela semble assez simple mais c'est un travail très difficile et important par la masse d’aspects à prendre en considération. Très souvent, les opéras que nous proposons à Opera Rara sont des oeuvres qui ont eu un grand succès à leur époque et qui ont ensuite glissé hors du champ du répertoire. Le travail d'Opera Rara est de les exécuter et de les enregistrer en proposant ces partitions sous leur meilleur éclairage. Il y a tellement de travail en amont ! Cela repose sur des travaux scientifiques qui analysent les différentes sources et parfois (comme pour Il furioso all'Isola di San Domingo de Donizetti) il faut ajouter des recherches très approfondies pour localiser les manuscrits originaux ou les sources écrites qui sont aussi proches que possible de l'original. Cette addition de recherches est essentielle pour la crédibilité des interprétations et des enregistrements de ces opéras oubliés ou moins connus.

En tant que directeur artistique, je considère que mon travail ne se limite pas à la direction musicale, à la sélection du casting et aux choix interprétatifs et je m’implique dans la supervision et le processus de recherche (évidemment sans outrepasser le travail des musicologues). Ces différents aspects, du déchiffrage de l'écriture des compositeurs sur le manuscrit à la direction de la dernière portée de l’opéra lors d’un concert constituent ce qui rend ce travail attrayant, intéressant et stimulant pour moi.

Votre premier projet pour Opera Rara sera Il furioso all'Isola di San Domingo de Gaetano Donizetti. Donizetti est un compositeur qui vous accompagne depuis vos débuts (j'ai lu sur Internet que vous avez dirigé Ajo Nell'imbarazzo de Donizetti en 1982). Qu’est-ce qui vous séduit dans la musique de Donizetti ? Dans les opéras de Donizetti, il y a une tendance à considérer le "rôle" de l'orchestre comme secondaire. Est-ce qu’il y a un "son" Donizetti pour l'orchestre ?

J'ai en effet beaucoup dirigé Donizetti ! Aujourd'hui, j'ai tendance à faire moins de belcanto, pour la raison même qu'il est très difficile de réunir tous les ingrédients pour le réussir. Comme Bellini, Donizetti est parfois considéré, à tort, comme un compositeur seulement réservé aux chanteurs, pour montrer leur capacité vocale. Comme chef d'orchestre, je dois veiller à ne pas enfermer le bel canto dans le seul festival vocal.

Évidemment, je suis le premier à admettre que l'orchestre de Donizetti est très différent de l'orchestre de Strauss ou même de Verdi et de Puccini, mais cela ne signifie pas que nous pouvons réduire le rôle de l'orchestre de Donizetti à un aspect secondaire. C'est là que réside la difficulté de cette musique ! Le rôle de l'orchestre chez Donizetti est essentiel pour faire avancer la musique et l'élan dramatique. Diriger Donizetti avec léthargie tuera même la prestation du meilleur des chanteurs. Pour une interprétation de Donizetti réussie, il est très important que l'orchestre et le chanteur soient entrelacés dans la formation du phrasé musical. Parfois l'orchestre soutient le chanteur, mais il est le moteur de la musique, même à l'opéra. Si le moteur décroche ou s'arrête, les interprétations en pâtissent. Bien sûr, il est important de respecter le style. On ne dirige pas Lucia di Lammermoor comme Brahms, et c'est là que la sensibilité et les compétences du chef d'orchestre sont importantes pour tirer le bon son de l'orchestre.

Vous dirigerez à Anvers un programme Wagner/Berlioz. Est-ce que c’est un défi de passer de Puccini, Rossini à Wagner et Berlioz ?

Ce n'est pas un défi, c'est très intéressant et passionnant ! Comme je l'ai déjà dit, les différences entre les différents types de musique sur lesquelles je travaille est ce qui rend le travail d'un chef d'orchestre plus complet pour moi. De plus, n'oublions pas que Wagner et Berlioz étaient tous deux des compositeurs qui écrivaient toujours en pensant au théâtre. Les oeuvres que nous jouerons avec l’Antwerp Symphony Orchestra sont inspirées par des histoires et des accents dramatiques, donc ce n'est pas très loin de l'Opéra…  

Vous êtes un chef d'orchestre expérimenté. Quel conseil donneriez-vous à un jeune chef d'orchestre ? Comment doit-il travailler sur son répertoire ?

La première chose que je recommande est d'étudier la partition en profondeur. Ce n'est pas de la science pure. Le jeune chef se retrouve en face de 70 personnes qui ont étudié leur instrument pendant 10 ans et qui ont souvent une plus longue expérience que lui ! Il est important de savoir ce qu’on va leur dire et cela ne vient que par l'étude de la partition. Alors je lui conseille d'être libre et d'éviter d'être ralenti par des éléments techniques. La partie technique doit évidemment être résolue : c'est le moyen de communiquer l'intention du chef à l'orchestre. Mais être chef d'orchestre va au-delà de ces aspects. Atteindre un niveau plus élevé de communication avec l'orchestre et le public à travers la créativité, la fantaisie et les émotions donne un sens réel à notre travail et à notre métier.

Le site de Carlo Rizzi : http://www.carlorizzi.com/

Le site d’Opera Rara : https://opera-rara.com/

Crédits photographiques : Tessa Traeger

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot 

 

 

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