Pour une série de trois concerts (deux à Genève, un à Lausanne), l’Orchestre de la Suisse Romande sollicite le concours de Tugan Sokhiev, l’ex-directeur musical de l’Orchestre du Capitole de Toulouse, qui devient ainsi l’un de ses invités réguliers depuis deux ou trois saisons. Bien lui en prend tant le contact entre le chef et les musiciens semble se développer en une harmonie qui incite chacun à se dépasser !
Le programme commence par une brève page de Lili Boulanger (1893-1918), D’un matinde printemps, datant du printemps de 1917. Pour la première fois dans son histoire, l’Orchestre de la Suisse Romande présente une oeuvre de cette compositrice, sœur de Nadia Boulanger, la célèbre Mademoiselle, pédagogue révérée par un Stravinsky, un Bernstein. Victime d’un état de santé déficient, Lili disparaîtra à l’âge de vingt-cinq ans, ce qui ne l’empêchera pas de produire un catalogue important d’œuvres vocales et instrumentales. D’un matin de printemps fut d’abord composé pour violon et piano avant d’être orchestré par Lili elle-même, deux mois avant sa mort. Tugan Sokhiev l’aborde en lui prêtant le côté nonchalant d’une promenade qu’irisent les bois, avant de laisser au tutti le soin d’exalter la beauté d’une journée avec une élégance raffinée.
Les concerts du Philharmonique de Monte-Carlo se succèdent à un rythme soutenu, sans jamais se ressembler. Ce soir, retour au grand répertoire russe avec deux musiciens très chers au public monégasque : le chef Stanislav Kochanovsky et le pianiste Simon Trpčeski.
Le programme, entièrement consacré à Chostakovitch et Tchaïkovski, offrait deux œuvres rarement jouées et présentées pour la première fois à Monte-Carlo : le poème symphonique Octobre et la Symphonie n°12 de Chostakovitch.
Le concert s’ouvre avec Octobre, unique incursion du compositeur dans le genre du poème symphonique, écrit en 1967 pour célébrer le cinquantième anniversaire de la Révolution d’Octobre. On y retrouve la fougue et la ferveur révolutionnaire typiques de ses grandes pages orchestrales. Kochanovsky, chef d’une précision exemplaire, dirige l’orchestre avec une intensité enivrante. Sous sa baguette, les pupitres s’embrasent, les sonorités éclatent, et la tension dramatique ne faiblit jamais. Une interprétation palpitante, d’une énergie presque cinématographique.
On ne s’ennuie jamais quand Simon Trpčeski est de passage. Le public monégasque l’adore, et il le lui rend bien avec une lecture saisissante du Concerto n°1 pour piano de Tchaïkovski. Tour à tour majestueux, rêveur ou flamboyant, le pianiste mêle virtuosité et émotion avec une intensité rare. Dans les terrifiants passages à doubles octaves, son piano tonne avec puissance, sans jamais sacrifier la clarté. Son legato, d’une souplesse caressante, fait chanter les grandes lignes mélodiques du compositeur.
Son jeu se distingue aussi par une palette de couleurs fines, une imagination musicale subtile, et un dialogue raffiné avec l’orchestre – notamment dans l’Andantino, d’un lyrisme pur. Le final, mené tambour battant, déclenche l’enthousiasme du public. En bis, Trpčeski offre un moment suspendu : un extrait du Trio de Tchaïkovski, qu’il partage avec Liza Kerob (violon) et Thierry Amadi (violoncelle).
La pianiste Elisabeth Leonskaja va célébrer, ses 80 ans, en novembre prochain. La légendaire pianiste sera en concerts à travers l’Europe pour des récitals et de la musique de chambre. Dans le même temps, elle met une touche finale à des enregistrements très attendus qui vont compléter sa très vaste discographie, l’une des plus considérables de notre temps, en termes de qualité. Crescendo Magazine est particulièrement heureux de s’entretenir avec l’une des musiciennes préférées des mélomanes.
Vous avez partagé la scène avec le jeune pianiste Mihály Berecz lors d'un concert au festival Piano aux Jacobins. Que pensez-vous de la nouvelle génération de pianistes ? Est-il important de les soutenir de cette manière, en partageant la scène avec eux ?
L'amitié musicale entre les générations est indispensable et fait partie intégrante de la vie de presque tous les artistes. Il en a été de même dans ma vie - un véritable miracle - avec Sviatoslav Richter. C'est un sentiment merveilleux et bienfaisant de confiance, de respect, de convivialité et de musique, enrichissant pour les deux côtés.
Vous avez enregistré les trois dernières sonates de Beethoven en concert à Cologne. L'expérience du concert est-elle essentielle pourenregistrer ces immenses chefs-d'œuvre ?
Le concert à Cologne a eu lieu et j'espère que le disque sortira bientôt. Quand on a un enregistrement en studio, on essaie d'imaginer l'atmosphère du concert. Dans un concert, où l'on est entouré par le public, la perfection de l'enregistrement est à nouveau importante. Les deux situations sont intéressantes et passionnantes.
Dans vos programmes de récital, vous mettez très souvent Schubert à l'honneur. Schubert est-il une référence incontournable à laquelle vous devez revenir régulièrement ?
Les textes des grands compositeurs exigent une grande attention et une grande profondeur. Je suis toujours étonnée de découvrir autant de nouvelles choses à chaque fois que je revisite le même morceau.
Mozart, Beethoven, Schubert et Schumann me semblent être des compositeurs auxquels vous accordez une grande importance dans vos programmes, peut-être plus qu'à Chopin ou Tchaïkovski, dont vous êtes pourtant un grand interprète. Est-ce que je me trompe ?
Quelle chance ! Je me demande combien de vies les pianistes doivent vivre pour maîtriser tout le répertoire. J'ai beaucoup joué Chopin et je reviens toujours à ce poète unique du piano. Tchaïkovski n'a écrit qu'une seule sonate, que je joue sans cesse. Schubert, lui, en a écrit 20 ! C'est pourquoi on a l'impression que je laisse Chopin et Tchaïkovski « entre eux ».
Le jeune compositeur Charly Mandon est l’un des talents majeurs de sa génération. Sa Danse de prométhée sera prochainement au programme d’une série de concerts de l’Orchestre philharmonique de Nice sous la baguette de Lionel Bringuier, artiste associé de la phalange azuréenne. Mais Charly Mandon est un artiste avec de nombreuses cordes à son arc, également passionné par la vidéo et le numérique. Crescendo Magazine s’entretient avec ce jeune homme bien dans son temps.
L'Orchestre Philharmonique de Nice, sous la direction de Lionel Bringuier, va prochainement interpréter votre Danse de Prométhée. Pouvez-vous nous parler de cette œuvre ?
La Danse de Prométhée est ma première partition symphonique. Avant elle je n’avais fait qu’orchestrer des extraits d’œuvres du répertoire en classe d’orchestration, « dans le style de ». Pour la première fois j’ai eu l’opportunité de conjuguer orchestration et création, et ça a été quelque chose de profondément libérateur et jouissif. J’ai depuis une appétence constante pour l’écriture symphonique et chaque commande d’orchestre m’enthousiasme énormément.
Bien que la Danse de Prométhée ait été écrite il y a bientôt 10 ans, c’est ma seule partition symphonique qui n’avait pas été donnée par un orchestre professionnel, je suis donc très heureux que Lionel Bringuier et l’Orchestre philharmonique de Nice s’en emparent pour ces quatre concerts début novembre.
Au même programme, il y aura des œuvres de Tchaïkovski dont Francesca da Rimini d'après Dante. La musique de Tchaïkovski est éminemment narrative, est-ce qu'elle est pour vous un modèle ?
Tout dépend des œuvres. Je n’ai pas un modèle en particulier parmi les grands compositeurs mais un ensemble de grandes œuvres de divers compositeurs qui me guident. Francesca da Rimini et le Concerto pour violon en font partie, pour ce qui est de Tchaïkovski. Je suis toujours scotché par sa capacité à aller au paroxysme de l’expression, à dépasser notre attente pour frapper encore plus fort que ce que l’on imaginait, en déployant des moyens simples mais d’une exceptionnelle efficacité. Et il y a son génie mélodique, une capacité à inventer des « tubes » qui est phénoménale. Ça c’est vraiment un des sujets centraux pour moi, trouver les mélodies les plus « tubesques » possible. Mais ça dépend tellement de l’inspiration d’un instant et tellement peu du savoir-faire…
Pour répondre sur l’autre aspect de votre question, la dimension narrative de la musique n’est pas ce qui m’intéresse le plus, au sens programmatique du moins. J’aime la structuration purement musicale et les conceptions architecturales ; c’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que la composition de musique de film ne m’a jamais trop attiré jusqu’à maintenant.
Sur votre site, dans votre biographie, vous vous présentez comme “postmoderne de facto” ; si on comprend bien le terme de “postmoderne”, pourquoi “de facto” ?
La postmodernité définit dans son acception courante une forme de réintroduction distancée des langages (voire même de fragments d’œuvres) du passé, pensée comme un « après » aux avant-gardes de la deuxième moitié du XXème siècle, qui restent elles plus ou moins labellisées « modernes » de nos jours, dans un sens où la modernité deviendrait le nom propre de cette période de rupture dans l’histoire de la musique.
Dans notre présent où la modernité s’appelle postmodernité, je me dis donc postmoderne « de facto » car la distance volontaire est très rare chez moi, je ne crois pas à une dialectique consciente entre signe et référent. Je ne crois qu’en la recherche de la sincérité la plus absolue dans l’expression, en maximisant les moyens techniques et structurels pour y parvenir. Ce qui fait que ma musique n’est pas une musique du passé mais une musique du XXIème siècle ne m’appartient pas, ça résulte du fait que je suis vivant et en activité. Le simple fait qu’en 2025 un compositeur puisse utiliser le langage tonal après Boulez, Stockhausen ou Xenakis EST postmoderne.
L’acte contemporain est là : ce que la civilisation actuelle, avec son urbanisme, son architecture, ses modes de communication, ses technologies, sa science, apporte dans la synthèse alchimique entre un langage séculier et le temps présent, ce n’est selon moi pas aux créateurs d’en débattre. J’avais été interpellé par ces mots de la musicologue Marianne Pernoo à mon sujet : « Cette musique me renvoie aux architectures cinétiques qui sont aujourd’hui le propre des grands architectes des villes nouvelles. C’est une musique qui colle parfaitement avec le mouvement urbain, on est toujours en train de courir dans un paysage extrêmement architecturé, très carré, fait de matériaux à la fois brillants, scintillants, superposés… on monte, on descend… c’est ça que j’ai vu, c’est ce labyrinthe affairé, très moderne. »
Une soirée, trois ballets : Thème et Variations de Balanchine, Rhapsodies de November et enfin Corybantic Games de Wheeldon ; avec pour point commun justifiant la programmation le renvoi à trois « univers » distincts : la Russie, l’Afrique et la Grèce. L’occasion, également, de voir que, si le Ballet de l’Opéra national de Paris continue d’exceller dans son répertoire historique, la sortie de cette zone de confort n’est pas toujours étincelante.
La soirée s’ouvrait donc sur Thème et Variations de Balanchine, créé en 1947 pour le Ballet Theatre de New York. Point de surprise ici : tous les marqueurs habituels du néoclassique balanchinien sont bien présents. Plateau nu à l’exception de deux lustres, costumes académiques mais pas moins somptueux pour autant… Sur scène, Bleuenn Battistoni étincelle jusque dans la moindre gargouillade, nonobstant les aspects himalayens de la chorégraphie. À ses côtés, Thomas Docquir semble par moments plus timide, si ce n’est hésitant, dans ce nouvel ajout à son répertoire, mais n’hypothèque pas pour autant son statut d’ultra-favori pour la prochaine nomination d’étoile masculine. Soulignons également, si un rappel était de rigueur, que les pas de quatre, malgré quelques décalages, ainsi que le corps de ballet dans sa globalité, se distinguent toujours par leur remarquable maîtrise technique dans ce répertoire, avec une mention toute particulière pour Messieurs Enzo Saugar et Shale Wagman pour leur présence scénique particulièrement remarquée.
Le bas blesse un peu plus quand vient Rhapsodies de Mthuthuzeli November, initialement créé en 2024 pour le Ballet de Zurich. D’un point de vue chorégraphique, les deux principales réserves pourraient peut-être se résumer ainsi : d’une part, la construction même du ballet ; conçu comme une exploration de portraits et une série d’instantanés, il est naturellement bien complexe de trouver un fil directeur au sein de ces 22 minutes de chorégraphie, où bien des passages ont des airs de déjà-vu. D’autre part, les danses observées dans les rues du Cap sont probablement fort éloignées des enseignements prodigués à Nanterre, et le corps de ballet échoue à rendre une copie réellement convaincante dans cet univers trop étranger à la grande majorité de ses membres. Il faut attendre l’andante de la deuxième partie pour voir une partie ces réserves commencer à se lever. Notons tout de même les interprétations d’Isaac Lopez-Gomez, Yvon Demol et, surtout, de Laetitzia Galloni, remarquable de bout en bout, tant dans sa félinité gershwinienne que dans sa justesse d’interprétation.
Vient finalement Corybantic Games de Wheeldon, librement inspiré des danses pyrrhiques des prêtres de Cybèle. Point d’armure ni de distribution purement masculine ici — et qu’importe le glissement civilisationnel de la Phrygie vers la Grèce —, le décor épuré et mouvant signé Jean-Marc Puissant se veut une référence au style dorique des temples helléniques. Sur scène, un quintette se distingue par son énergie scénique et sa virtuosité d’interprétation, flirtant par instants avec la sensualité chez ces dames. Ainsi, aux côtés de la dernièrement étoilée Roxane Stojanov, visiblement tout à fait à son aise dans ce répertoire, notons également les interprétations de Messieurs Enzo Saugar (encore), Lorenzo Lelli, mais également de mesdemoiselles Naïs Dubosq, qui se distingue décidément sur le long terme par la grande qualité de ses interprétations, quel que soit le chorégraphe, et surtout de Lucie Devignes, qui brûle les planches à chacune de ses interventions dans ce kaléidoscope créneleurien.
C’était la fête vendredi soir au Grand Manège de Namur. On célébrait le 20e anniversaire de la Cappella Mediterranea, le fidèle ensemble instrumental qui accompagne Leonardo García Alarcón au gré de ses multiples aventures.
Acis & Galatea, un hit du XVIIIe siècle
Au programme, Acis & Galatea, une pastorale devenue un tube, joué près de 70 fois dans l’Angleterre du XVIIIe siècle. Un thème tiré d’Ovide que le compositeur avait déjà utilisé à Naples en 1708 sous le titre de Acis, Galatea e Poliferno pour une cantate d’une virtuosité très méridionale. Neuf ans plus tard, Haendel, désormais installé en Angleterre goûte les plaisirs de la campagne dans la fastueuse propriété du duc de Chandos. Il y écrivit ses fameux « Chandos anthems », plusieurs concertos et deux opéras. Loin de la turbulence éprouvante des opéras italiens sur la place de Londres, Haendel peut créer dans les jardins du château une délicate pastorale inspirant les sentiments les plus doux et les décisions les plus nobles. En soi, ce chef d’œuvre savamment ouvragé constitue un somptueux « air du catalogue » de ses possibilités d’écriture : influences italiennes et françaises inscrites dans une tradition anglaise qui remonte à Purcell. Il suffit d’y puiser ses affects pour incarner les multiples sentiments qui jalonnent de délicieux parcours amoureux. Grâce ensorcelante des pâturages, délicieux gazouillis des oiseaux, mélancolie inquiète d’Acis face à l’absence de son amoureux, amour éperdu d’Acis qui supporte mal celle de son aimée, insensible aux appels à la raison de son ami Damon, unisson chaleureux des retrouvailles en conjonctions avec la nature.
Au cours de chaque saison, l’Orchestre de Chambre de Genève présente en divers lieux une série de concerts qui attire l’attention d’un vaste public par la singularité de ses choix. La preuve en est donnée par le programme affiché au Bâtiment des Forces Motrices (BFM) de Genève le 7 octobre par l’Orchestre de Chambre de Genève collaborant avec l’Orchestre des Pays de Savoie pour accueillir une troupe de danseurs venus de treize pays d’Afrique afin de représenter Le Sacre du Printemps dans la chorégraphie de Pina Bausch.
Durant deux ans, ce spectacle émanant de la Fondation Pina Bausch, de l’Ecole des Sables et du Sadler’s Wells de Londres a été proposé 120 fois un peu partout dans le monde. Et c’est à Genève qu’a lieu l’ultime reprise.
Le rideau se lève sur un solo que Pina Bausch élabora en 1971 sur une musique électronique de Pierre Henry. Son titre, Philips 836 887 DSY, fait allusion au label et au numéro de catalogue de la première publication en LP de Spirale, une pièce brève de Pierre Henry. Créé par Pina Bausch elle-même, ce solo a été rarement représenté sur scène. Aujourd’hui, la jeune Eva Pageix en est la spécialiste. Sur une musique enregistrée, cette pièce de six minutes est étirement d’un corps se redressant en gestes convulsifs et en volutes vers le ciel dans une lenteur extrême qui finira par figer la silhouette dans une attitude hiératique.
Lui succède sur le plateau Germaine Acogny, danseuse franco-sénégalaise défiant ses quatre-vingt-un ans pour présenter son Homage to the Ancestors qu’elle a créé en 2023. Fondant son premier studio de danse à Dakar en 1968, elle a développé sa propre technique de danse africaine en combinant l’influence des danses héritées de sa grand-mère, prêtresse yoruba, et sa connaissance des danses traditionnelles africaines et occidentales. Sur une musique de Fabrice Bouillon-LaForest comportant une légère percussion et une voix de femme qui psalmodie, Germaine Acogny nous fait assister à un véritable rite funéraire que ponctue la lueur de bougies formant un cercle pour cultiver le souvenir des disparus d’un autre âge.
La cheffe mexicaine Alondra de la Parra est à nouveau l’invitée de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, pour un concert à l’Auditorium Rainier III, avec un programme d’oeuvres latino-espagnoles qui sont sa marque de fabrique. Il serait pourtant de bon ton de l'inviter dans du grand répertoire afin de l’apprécier dans autre chose que ce répertoire de démonstration. Mais bien évidemment, comme à chacune de ses venues, le public monégasque est présent en nombre pour admirer la présence de la musicienne au pupitre et l’énergie communicative et fédérative qu’elle assure dans ces partitions en technicolor.
La mezzo-soprano Gaëlle Arquez, qui avait déjà enchanté le public de l’Opéra de Monte-Carlo en mars dernier dans la double affiche ravélienne L’Heure espagnole et L’Enfant et les sortilèges, était la soliste de la soirée.
La Rapsodie espagnole de Ravel, véritable feu d’artifice orchestral, foisonne d’ingénieuses combinaisons sonores. Alondra de la Parra en offre une interprétation vivante, colorée et éclatante, mettant en valeur la richesse des timbres et la virtuosité de l’orchestre.
Vient ensuite Shéhérazade, l’une des partitions les plus subtiles et les plus exigeantes du compositeur. Gaëlle Arquez y déploie une voix somptueuse, souple et nuancée, d’une rare musicalité. Sa prestation fascine par sa sensualité, son raffinement et sa profondeur émotionnelle : Arquez est Shéhérazade.La complicité musicale entre la mezzo-soprano et la cheffe est parfaite.
Dans Alborada del gracioso, Alondra de la Parra fait jaillir toute la verve rythmique et la flamboyance hispanique de Ravel. Sa direction, nerveuse et d’une précision assurée, rend justice à cette pièce palpitante et redoutablement complexe.
Lorsqu’ils entendent le nom « Atelier lyrique de Tourcoing » les gens de ma génération, mais pas seulement, pensent évidemment à Jean Claude Malgoire, qui en fut, dès 1981 et pendant quatre décennies ou presque, le maître d’œuvre inspiré et inspirant ; hautboïste d’exception, fondateur dès 1966 de l’ensemble instrumental « La Grande écurie et le Chambre du Roy » avec lequel il donnera, sur instruments d’époque, plus de 5000 concerts de par le monde et à Tourcoing dans ce Nord de la France tout heureux d’ accueillir cet Avignonnais à l’accent chantant , habité par la musique qu’elle soit baroque ou contemporaine et grand découvreur de talents et de voix nouvelles ( Philippe Jaroussky, Véronique Gens, Sonya Yoncheva, Dominique Visse, Nicolas Rivenq…)
Bref, Jean Claude Malgoire fit les beaux jours de l’atelier lyrique et contribua au fil des ans à la formation d’un public fidèle et averti et l’on comprend que sa disparition en 2018 laissa un grand vide.
L’arrivée successive de François-Xavier Roth, comme nouveau Directeur avec son prestigieux orchestre « Les Siècles » en résidence puis celle d’Alexis Kossenko , flûtiste de renommée mondiale, à la tête d’un nouvel ensemble « Les Ambassadeurs- La Grande écurie » présageait du meilleur. La renommée internationale et l’excellence musicale des uns et des autres en témoignent
seulement patatras ! Il est apparu que les deux chefs, par un curieux mimétisme, se sont à peu d’intervalles de temps, « pris les pieds dans le tapis » si toutefois on peut utiliser cette expression imagée pour qualifier un comportement inapproprié. L’avenir dira ce qu’il en advient.
Fort heureusement l’esprit de responsabilité, la résilience et la capacité d’initiative des musiciens comme de la dynamique petite équipe permanente de l’Atelier lyrique ont permis de sortir par le haut d’une situation abracadabrantesque aussi imprévisible que malvenue. Une saison joyeusement éclectique sous le sigle élégant et rassembleur de l’Esperluette.
Trois invités prestigieux étaient réunis par le Théâtre des Champs-Élysées, dans un programme de musique russe (avec trois compositeurs, tous diplômés du Conservatoire de Saint-Pétersbourg) : le pianiste russe Evgeny Kissin, le violoniste américain Joshua Bell, et le violoncelliste britannique Steven Isserlis. Ils sont de ceux que l’on ne présente plus.
Le concert commençait par la Danse fantastique, une pièce rarement jouée du chantre et compositeur Salomon Rosowsky. Écrite en 1907, et largement influencée (comme la plupart de ses œuvres) par la musique traditionnelle juive, elle met en valeur la densité d’Evgeny Kissin, la chaleur de Joshua Bell, et la liberté de Steven Isserlis. À plusieurs moments, l’écriture impose que ce soit le violoncelle qui lance les événements, et le violon qui embraye : Steven Isserlis se lâche davantage, au risque de l’excès, tandis que Joshua Bell reste superbe d’équilibre.
Ce morceau a de beaux moments, mais il faut bien dire qu’il peine à maintenir l’attention pendant la dizaine de minutes de sa durée. Et si, par son caractère, il prépare très bien le Trio N° 2 de Dmitri Chostakovitch qui suit, nous avons peine à croire que celui-ci ne dure que deux fois et demie plus longtemps, tant sa richesse y est incomparable.