Rencontres

Les rencontres, les interviews des acteurs de la vie musicale.

Francesca Dego, Mozart concertant avec Sir Roger Norrington 

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La violoniste Francesca Dego a enregistré, en compagnie du légendaire Sir Roger Norrington au pupitre du Royal Scottish National Orchestra, une intégrale des concertos pour violons de Mozart (Chandos). Alors que le second volume, avec les concertos n°1, n°2 & n°5,  paraît ce vendredi, Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec cette merveilleuse musicienne. 

Qu'est-ce qui vous a poussé à enregistrer l'intégrale des concertos pour violon de Mozart ? 

Si je n'avais pas rencontré Sir Roger et commencé à travailler avec lui, j'aurais peut-être attendu vingt ans de plus avant d'enregistrer les concertos pour violon de Mozart. Soudain, avec lui, tout avait un sens. Nous avons discuté du son, du phrasé, des archets, du vibrato, de l'ornementation et des tempi pendant des mois, prenant plaisir à travailler et découvrant de nouveaux détails. La façon dont il façonne chaque aspect des lignes orchestrales et des accompagnements me permet de chanter ces mélodies tout en goûtant littéralement le rythme harmonique. Dès que nous avons commencé à travailler ensemble sur ce répertoire, j'ai tout simplement su qu'il devait être enregistré et j'ai été ravie de découvrir qu'il pensait la même chose (et Chandos Records aussi, bien sûr !).

Comment s'est faite la rencontre avec Sir Roger Norrington ? Comment avez-vous décidé de travailler ensemble sur ces œuvres de Mozart ? 

J'ai rencontré Sir Roger pour la première fois en 2010 au Royal College of Music de Londres, où il m'a écouté interpréter le Concerto n°1 de Paganini avec l'orchestre du collège et une première graine d'intérêt pour une collaboration a été semée. Après des rencontres ultérieures à Paris et Salzbourg, il m'a invitée à interpréter avec lui le Concerto pour violon de Brahms à Cologne en 2017, avec l'Orchestre Gürzenich à la Philharmonie, un rêve devenu réalité ! C'est à ce moment-là que nous avons commencé à discuter de Mozart et que nous avons finalement interprété le Concerto n°4 ensemble avec le Royal Scottish National Orchestra en 2019, date à laquelle nous avions commencé à imaginer enregistrer les concerti ensemble. L'alchimie avec l'orchestre était juste parfaite, alors nous avons décidé que ça devait être avec eux !

N'était-ce pas intimidant de travailler avec une légende de la musique comme Roger Norrington ? Votre vision de ces œuvres de Mozart a-t-elle changé pendant la préparation des sessions d'enregistrement avec lui ? 

J'ai toujours été inspirée mais jamais intimidée, c'est quelqu'un que l'on adopterait instantanément comme grand-père ! En entendant Sir Roger parler de Mozart, de sa dévotion et de sa connaissance de cette musique, j'ai voulu que l'interprétation soit la sienne autant que la mienne, une chance de finaliser sa vision (il joue lui-même du violon, donc il sait aussi ce qui peut être fait sur le plan technique). Bien sûr, je suis arrivée avec un bagage, ayant déjà joué tous les concerti auparavant, les n°2 et n°3 à l'âge de 7 ans. Mais j'ai apprécié la possibilité d'aller de plus en plus loin, d'écouter et de digérer toutes les informations et le pur génie musical qui se présentaient à moi. J'ai été stupéfaite par sa capacité à transmettre et à raconter avec naturel sa connaissance encyclopédique de la pratique de l'interprétation classique et de l'histoire derrière et dans chaque note. Il résume tout cela par ce qu'il appelle les six "S" : Sources, Size, Seating, Speed, Sound, and Style (sources, échelle, placement, vitesse, son et style). Une fois que vous avez mis en place le contexte historique et les "règles", ce qui compte, c'est de garder vos oreilles et votre cœur ouverts et de rechercher ce qui est beau. Si vous lui demandez quel est son secret, comment il fait pour que tout sonne si frais et naturel, il haussera les épaules et vous dira que quiconque est incapable de s'asseoir par terre et de faire rire un enfant de joie ne peut pas interpréter Mozart, que la simplicité et l'instinct doivent toujours guider une interprétation.

Il existe des dizaines d'enregistrements de référence de ces œuvres, certains réalisés par d'illustres interprètes d'hier et d'aujourd'hui. Certaines de ces interprétations sont-elles des modèles pour vous ?  

Je pense que l'école italienne est assez précise dans sa façon de dépeindre instinctivement la qualité légère et pétillante de la théâtralité de Mozart. Je viens de ce milieu et mon enregistrement préféré, ainsi que celui de Sir Roger (jusqu'à présent, bien sûr !) est sans aucun doute celui de Giuliano Carmignola sous la direction de Claudio Abbado (2007). Il y a un équilibre parfait entre clarté, respect, imagination et plaisir. J'aime aussi beaucoup l'enregistrement d'Isabelle Faust avec Il Giardino Armonico et Antonini (encore un élément italien !). Bien sûr, j'ai écouté de nombreuses approches différentes au fil des ans et je pense qu'il y a une réelle beauté dans la variété des interprétations, mais je dois dire que j'ai plus de mal maintenant lorsque j'écoute des versions plus anciennes et plus lourdes après ces années de travail avec Sir Roger. 

Jesper Nordin, compositeur immersif 

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Le compositeur Jesper Nordin fait l'événement avec la parution, chez BIS,  de l'enregistrement de sa partition Emerging from Currents and Waves avec rien moins que le clarinettiste  Martin Fröst (artiste de l’année ICMA 2022) et l’Orchestre de la Radio suédoise sous la direction de Esa-Pekka Salonen. Cette oeuvre utilise la technologie du Gestrument, mise au point par Jesper Nordin. Crescendo Magazine est ravi de s’entretenir avec un compositeur qui explore les frontières de tous les possibles.  

Comment est née l'idée de cette partition Emerging from Currents and Waves

Lorsque j'ai imaginé cette pièce, c'était comme un concerto pour clarinette (Emerging) qui naissait entre les deux mouvements extérieurs qui devaient presque être considérés comme des concertos pour le chef d'orchestre (Currents and Waves). L'idée était aussi que cette pièce serait modulaire, afin qu'il soit possible d'en jouer certaines parties sans l'orchestre complet et sans toutes les exigences techniques. C'est pourquoi deux des mouvements existent dans des versions plus petites -appelées Emerge et Wave. Cela a conduit à ce que certaines parties de la musique de la pièce soient interprétées par un certain nombre d'orchestres dans les différentes versions.

Emerging from Currents and Waves serait-il une oeuvre d’art totale (Gesamtkunstwerk)  2.0, au sens wagnérien du concept

Pas vraiment, mais je comprends la question. Tous les aspects de cette pièce sont nés des idées musicales sur lesquelles j'ai travaillé. Il s'agit donc plutôt de ma musique qui s'étend à la technologie et aux visuels que d'essayer de combiner différentes formes d'art. Les visuels, par exemple, peuvent presque être considérés comme une manifestation de la musique.

Cette partition semble être l'aboutissement artistique de votre approche Gestrument. Pensez-vous qu'à l'avenir, vous irez encore plus loin dans votre approche de la technologie ? 

Oui, certainement ! Ma technologie Gestrument est maintenant au cœur d'une entreprise appelée Reactional Music qui tente de révolutionner la façon dont la musique est composée et vécue dans le cadre d'expériences interactives telles que des jeux vidéo et des expositions à l’image de ces deux projets : Dream, projet mené en collaboration avec la Royal Shakespeare Company, le Philharmonia Orchestra et Epic Games (créateur de Fortnite) et Avicii Experience à Stockholm.  

Christian Poltéra, Haydn, Hindemith et perspectives 

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Le violoncelliste Christian Poltéra a construit une discographie considérable tout en réussissant à imposer ses interprétations comme des références autant dans des grands classiques que dans des œuvres plus rares. Il fait paraître un album Haydn/Hindemith en compagnie du Münchener Kammerorchester qui revisite les partitions. Crescendo-Magazine rencontre ce musicien qui ne cesse d’aller de l’avant. 

Votre enregistrement comprend les deux concertos pour violoncelle de Haydn, auxquels s'ajoute la Trauermusik de Paul Hindemith (enregistrée ici dans sa version pour violoncelle et orchestre). Qu'est-ce qui vous a poussé à combiner des œuvres de ces deux compositeurs très différents ?

Le répertoire pour violoncelle et orchestre de chambre n'est pas très vaste. La plupart des chefs-d'œuvre pour violoncelle datent du XXe siècle et ont été composés avec de grands orchestres symphoniques. La Trauermusik de Hindemith est une exception de génie, écrite pour cordes seulement. La combinaison contrastée de Haydn et Hindemith m'a souvent satisfait lors de concerts et j'ai donc voulu les associer sur ce CD. 

Vous dirigez également l'orchestre. Était-il nécessaire d'enregistrer ces œuvres avec vous au violoncelle et au pupitre ? 

Je n'ai pas dirigé l'orchestre en tant que tel, j'ai simplement été chargé de nombreuses décisions stylistiques et musicales, et ce, non seulement avec le violon solo du Münchener Kammerorchester, mais aussi en dialogue avec tous les membres de l'orchestre. À mon avis, ces concertos de Haydn fonctionnent le mieux lorsqu'ils sont traités comme de la grande musique de chambre. 

Comment s'est passée votre rencontre avec le Münchener Kammerorchester qui est votre partenaire orchestral sur cet album ? 

J'ai connu l'orchestre lors de précédentes collaborations avant de m'engager à enregistrer ces œuvres majeures avec lui. L'orchestre n'est pas seulement brillant, il suit aussi, à mon avis, une voie très naturelle qui consiste à être informé sur le plan historique tout en étant un groupe flexible de musiciens couvrant un large éventail de répertoires. 

Pascal Vigneron, à propos d’une intégrale collective de l’oeuvre pour orgue de Messiaen 

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L’organiste Pascal Vigneron est le maître d'œuvre d’une intégrale au disque des partitions pour orgue de Messiaen enregistrée à la Cathédrale de Toul. Ce projet est particulier car il fédère des étudiants d’institutions d’enseignement musical qui se sont partagées les différentes pièces. Ce projet est aussi unique que novateur et il a une déclinaison belge car des étudiants de la classe d’orgue de Benoît Mernier au Conservatoire y ont pris part (Charlène Bertholet, Salomé Gamot, Laurent Fobelets, Damien Leurquin et Maria Vekilova). Crescendo Magazine s’entretient avec Pascal Vigneron qui nous présente les axes et les enjeux de ce projet qui fera date  

Vous avez initié ce projet d’une intégrale de l’oeuvre d’orgue d’Olivier Messiaen partagée par des élèves des institutions d’enseignement musical : Conservatoires nationaux supérieurs de Musique de Paris et de Lyon,  Schola Cantorum de Paris, des Conservatoires de Nancy et Saint-Maur, Musikhochschule de Stuttgart et Conservatoire royal de Bruxelles. Pourquoi avoir choisi l'œuvre de Messiaen spécifiquement comme dénominateur de cette aventure ?  

Olivier Messiaen fut captif à Toul en 1940. C'est là qu'il commença l'écriture du Quatuor pour la fin du Temps. Il me semblait qu'il n'y avait pas meilleur lien pour fêter les 800 ans de la cathédrale de Toul. C'est un événement majeur qui restera gravé pour  les temps à venir. Si la pierre marque notre empreinte sur notre planète, la musique reste présente dans nos âmes et dans nos cœurs. L'œuvre est essentiellement chrétienne, et catholique. A une période ou nombre de nos congénères sont perdus, ou troublés, il est toujours important de ressaisir nos racines, de les cultiver et de les faire perdurer. C'est dans cet esprit que l'enregistrement à été réalisé, grâce à la compréhension de la Ville et de son Maire.

Est-ce que les partitions pour orgue de Messiaen présentent des qualités pédagogiques particulières pour de jeunes instrumentistes ? 

Toute somme musicale ou artistique porte en elle même une pédagogie. Encore faut-il être ouvert aux messages inclus dans l'œuvre artistique. Dans l'écriture de Messiaen, les modes, les thèmes, les ambiances, les couleurs, le langage des oiseaux, les formes rythmiques, les évocations, sont tous des points de pédagogie. Il faut juste extraire ce que l'on veut apprendre et faire apprendre. Pour le langage des oiseaux, il est bon de se référer à des livres d'ornithologie, pour comprendre ce que veut dire l'oiseau, et ensuite le transposer dans son jeu. Ce n'est qu'avec une telle méthode que le mot pédagogie prend tout son sens. Mais les exemples sont multiples, et cette dite pédagogie s'adresse aussi bien à l'interprète qu'à l'auditeur. De plus, il y a des pièces qui s'adressent à tous les niveaux, ce qui est un plus pour former un jeune musicien.

Comment avez-vous fédéré toutes ces institutions musicales autour de ce projet ? Comment avez-vous “partagé” la répartition des œuvres en fonction des institutions et des étudiants ? 

La répartition s'est faite avec et grâce au concours des professeurs. Ils ont été tous sans exception enthousiastes d'un tel projet. Ensuite une fois ce partage établit, le contact n'en n'a été que plus facile avec chacun des jeunes organistes. La difficulté des pièces, les heures de travail ont été ainsi réparties pour que chaque individu puisse donner le meilleur de lui-même.

Jean-Frédéric Neuburger, pianiste et compositeur

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Le pianiste et compositeur Jean-Frédéric Neuburger fait l'événement avec la parution d’un nouvel enregistrement Des Canyons aux étoiles de Messiaen où il assure la redoutable partie de piano. Il donnera cette partition en concert aux festivals Berlioz et Ravel en compagnie des artisans de ce disque, l'Orchestre de chambre nouvelle Aquitaine sous la direction de Jean-François Heisser. Crescendo Magazine s’entretient avec ce musicien exceptionnel, l’un des plus importants pianistes de notre époque. 

Cette année 2022 marque les 30 ans de la disparition d’Olivier Messiaen. Avec désormais un certain recul du temps, qu’est-ce que l’on peut retenir, selon vous, de ce grand compositeur ? De sa place dans l’histoire de la musique du XXe siècle ?

Ce compositeur a marqué l’histoire de la musique de façon indéniable. Je retiens son sens de la grandeur -il n’a pas « peur d’en faire trop » »…-, son ouverture d’esprit -les chants d’oiseaux, les rythmes hindous et grecs, beaucoup de nouveaux matériaux ont été utilisés par Messiaen-, sa spontanéité mélodique… Sans oublier sa place marquante en tant que pédagogue !

Vous êtes également compositeur. Est-ce que Messiaen est une inspiration ou une influence pour vous ?

Oui, déjà à travers les aspects que je viens de dire. Mais il faut aussi savoir s’en éloigner : chose faite maintenant ! Là où son inspiration demeure, c’est précisément sur le sens de la grandeur, de ces émotions vives qu’il désirait vraisemblablement faire partager au public...

Que représente pour vous cette œuvre si particulière que sont ces Canyons aux étoiles ? Est-ce que l’interpréter est un défi particulier du fait de sa durée et des exigences techniques de la partie de piano ?

Cette pièce est un véritable OVNI ! Sa durée est un élément marquant (près d’une heure quarante minutes), mais elle fait vraiment « partie » de sa musique. Ramasser cette pièce en quarante-cinq minutes n’aurait aucun sens (tout comme l’opéra Saint-François d’Assise ou Parsifal de Wagner…). Ce n’est pas un défi particulier techniquement, c’est un voyage… au sens baudelairien du terme, celui que j’aime !

Vous aviez déjà interprété cette œuvre, en 2009, avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège sous la direction de Pascal Rophé. Est-ce que votre vision de la partition a évolué au fil du temps ?

J’ai adoré jouer cette pièce avec l’Orchestre Philharmonique de Liège et Pascal, j’étais très jeune (j’avais vingt-deux ans), et à l’époque j’acceptais absolument tout ce que l’on me proposait. Lorsque j’ai accepté, je ne connaissais pas la pièce, ni sa durée ! Et c’était ma première interprétation d’une partition de Messiaen avec orchestre. Inutile de vous dire donc que ma vision Des Canyons aux étoiles a bien changé ! J’ai depuis joué d’autres pièces de Messiaen, mais aussi lu le fameux Traité de rythme et d’ornithologie, tout cela m’a permis de me rapprocher de son monde… et du coup, de prendre du recul dans mon interprétation.

Pierre Fontenelle à propos des Concerts des Dames.

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C’est dans le cadre enchanteur de l’Abbaye Notre-Dame Du Vivier de Marche-Les-Dames que j’ai rencontré Pierre Fontenelle. Membre de la rédaction de Crescendo Magazine, lauréat de nombreux concours, Namurois de l’année 2020, professeur à l’IMEP et maintenant directeur artistique des Concerts des Dames, le jeune violoncelliste de 24 ans est devenu un incontournable dans le paysage culturel wallon. 

Votre festival prend place dans un lieu atypique, pouvez-vous m’en dire plus sur son histoire ?

Nous sommes à l'Abbaye Notre-Dame du Vivier, à Marche-Les-Dames. C'est une Abbaye cistercienne du douzième/treizième siècle fondée par des sœurs qui y ont mené une vie monastique durant plusieurs années. Ensuite, l'Abbaye a vécu énormément de péripéties que ce soit avec les guerres mondiales, les révolutions napoléoniennes, la Révolution française, etc. Elle a donc un passé considérable. 

Au fil des excavations archéologiques, on y découvre de plus en plus de choses. Par exemple, on sait maintenant que le bois de la charpente vient de la même forêt et de la même époque que celui de la charpente de Notre-Dame de Paris. L’abbaye n’est pas encore très connue mais petit à petit, elle se fait connaître et c’est un véritable plaisir de suivre et accompagner sa transformation en véritable pôle culturel.

Quelles ont été vos motivations pour créer ces Concerts des Dames ?

J’ai toujours voulu programmer des concerts ou un festival. Je pense qu’une dimension  artistique d'un musicien est dans la manière de programmer ses concerts : concevoir une histoire avec les œuvres jouées. En tant que programmateur, nous devons aussi pouvoir pointer du doigt ce qui vaut la peine d’être écouté, découvert ou redécouvert. Cela est très enrichissant. 

Ensuite, d'un point de vue plus particulier, j’avais aussi la volonté de créer un espace pour les jeunes. Un espace où on pourrait faire un festival de musique de chambre avec des jeunes étudiants du conservatoire, ou déjà professionnels, et leur donner l'occasion de se faire un public à Namur. L'Abbay nous laissons carte blanche, nous pouvons programmer ce que nous voulons, et faire revenir plusieurs fois de jeunes musiciens qui auront plu au public. Cela permet de créer des liens entre les auditeurs et les jeunes de la région, et de tout le pays en général.

En Belgique, on a globalement un manque de confiance envers les jeunes. On a parfois peur de leur donner des occasions de se lancer, de penser par eux-mêmes et de créer quelque chose. Ici, nous mettons vraiment l’accent là-dessus. Jusqu'à présent, le public a répondu présent. Et les artistes ont vraiment fait de très beaux concerts. 

Christian Chamorel, Mozart et Reichel 

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Le pianiste Christian Chamorel fait paraître un album consacré à deux concerti de Mozart mis en relief avec le rare Concertino du compositeur suisse Bernard Reichel, une œuvre rare mais à redécouvrir. Crescendo Magazine a souhaité en savoir plus et vous propose une rencontre avec ce musicien.  

A la lecture du programme de cet album, la première chose qui frappe c’est le Concertino de Bernard Reichel à  côté de deux concertos de Mozart ? Pourquoi ce choix ? Pourquoi ce choix éditorial ? 

C’est Guillaume Berney, le chef titulaire de l’Orchestre Nexus, qui a attiré mon attention sur cette œuvre il y a quelques années déjà. En Suisse, Reichel ne jouit pas de la même popularité que son contemporain Frank Martin par exemple, sans doute parce que son style est moins immédiatement identifiable. Mais j’ai tout de suite été séduit par cette œuvre, et le rapprochement avec Mozart s’est imposé comme une évidence. En effet, outre l’effectif à peu près similaire, il nous est apparu évident que ce Concertino était tributaire d’une conception mozartienne du genre, à l’opposé des romantiques tels que Chopin, Liszt ou Rachmaninov.

Pouvez-vous nous parler de cette œuvre qui est très peu connue ? Quelles sont ses qualités ? 

Le Concertino de Reichel a été créé en 1949 par la pianiste Christiane Montandon et l’Orchestre de la Suisse Romande. C’est une pièce subtile, fluide et équilibrée, qui refuse toute forme de pathos et qui soigne beaucoup le dialogue piano/orchestre. Tantôt un jeu de questions/réponses s'installe entre les deux, tantôt le piano n’est qu’une couleur parmi d’autres dans la composition générale. Pour le soliste, il s’agit donc de toujours savoir « où est sa place », et de ne surtout pas forcer le trait alors que l’œuvre exige au contraire souplesse et retenue…

Alexandra Lescure : extase baroque 

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La pianiste Alexandra Lescure fait paraître chez Calliope un album qui confronte des œuvres de Scarlatti et Royer. Cette proposition éditoriale est aussi originale qu’inattendue. Crescendo Magazine a eu envie d’en savoir plus et vous propose une interview avec cette pianiste. 

Votre album se nomme “Extase baroque”, il fait suite à un précédent disque intitulé “Immersion”. La présence d’un titre est-elle importante pour vous ?  

Effectivement, j’aime à nommer mon travail discographique afin qu’il s’en dégage une dimension poétique, philosophique ou spirituelle au-delà des propositions de pièces interprétées. Je crois aussi que cela me guide vers ce qui me paraît être l’essence d’une proposition au plus proche de mes aspirations de vie du moment. J’ai toujours aimé associer la musique aux mots, notamment dans divers projets dans lesquels je tourne autour du théâtre avec Chopin ou de la poésie avec Char.

Mon premier disque « Immersion » articulé autour de Scarlatti, Haydn et Mozart invoquait l’introspection qui a été nécessaire à la procréation d’un premier disque. La genèse d’un projet artistique m'apparaît comme vitale.

Le titre Extase baroque fut une évidence. Tout d’abord parce qu’à ce stade de mon cheminement artistique, je ressens mon accomplissement musical tel un travail énergétique et vibratoire en lien avec le son et le geste instrumental. D’autre part, chacune des douze pièces de cet album évoque l’état d’extase soit par l'émanation dépouillée menant à l’abandon, soit par l’exaltation d’un jeu trépidant, soit par la transe d’harmonies  âpres aux répétitions obsessionnelles telles des danses sauvages aux rituels ancestraux.

L’album propose des œuvres de Domenico Scarlatti mais également de Joseph-Nicolas-Pancrae Royer ? Qu’est-ce qui vous a attiré vers l'œuvre de Royer ?

J’ai découvert Royer une nuit de confinement en 2020 avec le magnifique album de Jean Rondeau Vertigo. Je crois l’avoir écouté des heures durant, j’étais subjuguée par cette musique si belle et parfois si étrange pour son époque. Le lendemain,  je proposais d’associer Royer à Scarlatti à ma maison de disque Calliope. Le coup de cœur fut partagé. Le disque devait initialement être entièrement consacré à Scarlatti. 

Les pièces pour clavecin de Royer sont des transcriptions d’opéras-ballets du compositeur dans le Paris des années 1740 tels que La Zaïde, Reine de Grenade ou Le Pouvoir de l’Amour. La musique de Royer m’a tout d’abord captivée par la simplicité et la beauté de ses pièces lentes et chantées (La Zaïde,  Les tendres sentiments ou l’Aimable) que j’envisageais au piano dans une expression à la fois pure, contenue et irrésistiblement touchante. D’autre part, les pièces flamboyantes telles que le Vertigo ou La Marche des Scythes représentaient un véritable défi d’interprétation face à une écriture à la fois visionnaire mais viscéralement clavecinistique. Dans ces pages, les modes de jeux sont d’une rapidité extrême avec des gammes fusées, des tremblements foisonnants d’accords brisés, des attaques parfois pincées avec une articulation d’une précision inouïe mais aussi l’exploitation d’un matériau plus percussif dans le refrain. Cette musique est d’une grande singularité pour l’époque car elle cultive aussi des grappes d’accords très graves voire stridents afin de créer une dimension poignante et théâtrale. J'aime le style impétueux et hypnotique que l’on retrouve toujours dans cette Marche des Scythes au thème lancinant telle une danse archaïque.

Ralph van Raat de John Adams à Tan Dun 

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Le pianiste Ralph van Raat était à Bruxelles pour enregistrer les concertos pour piano de John Adams avec le Belgian National Orchestra. Dans le même temps, il fait paraître un album qui présente des œuvres pour piano solo du compositeur Tan Dun.  Crescendo-Magazine rencontre à nouveau ce formidable musicien. 

Vous venez d'enregistrer les concertos pour piano de John Adams avec l'Orchestre National de Belgique dans le cadre d'un projet consacré à la musique pour piano du compositeur américain. Qu'est-ce qui vous a attiré vers la musique de John Adams ?

John Adams a toujours été l'un de mes premiers héros compositeurs, depuis la fin de mon adolescence. J'ai toujours aimé son approche rythmique et minimaliste initiale, mais l'ajout de nombreuses couches nouvelles et complexes à cette base rend sa musique beaucoup plus intéressante et crée une expérience incroyablement riche à l'écoute. Par exemple, Phrygian Gates ; il y utilise une sorte de pianisme très virtuose et tout à fait nouveau (encore une fois, basé sur des techniques minimalistes mais en les transférant à un tout autre niveau), dans lequel des couches complexes de sons et de vitesses émergent par la vitesse pure, différentes variétés d'attaque et même de pédalage (comme des indications telles que 1/2 pédale, 1/4 pédale, pleine pédale etc). De plus, j'ai toujours été attiré par le sentiment de liberté stylistique de sa musique qui, surtout dans les deux dernières décennies de sa composition, embrasse les lignes dramatiques et mélodiques dans la tradition de Bruckner, mais aussi du jazz, de la musique pop et d'autres styles, ce qui donne des textures tonales et atonales inattendues, transcendant tout style ou langage tonal, un peu comme Ligeti par exemple. 

Vous aviez déjà consacré un album aux œuvres pour piano de John Adams. En quoi cet album sera-t-il différent ?

Cet album sera l'un des deux nouveaux CD consacrés aux œuvres de John Adams, contenant toute sa musique impliquant un rôle majeur pour le piano. Depuis mon précédent enregistrement d'Adams (mon tout premier pour Naxos !), Adams a non seulement écrit une autre pièce solo, mais aussi d'autres pièces pour deux pianos et des œuvres de musique de chambre telles que Road Movies pour violon et piano. Un CD sera donc consacré à ces œuvres de chambre pour piano, que je n'ai jamais enregistrées auparavant, et l'autre CD contiendra les trois concertos pour piano qu'il a écrits jusqu'à présent. L'autre CD contiendra les trois concertos pour piano qu'il a écrits jusqu'à présent. Les trois CD comprendront l'ensemble des œuvres pour et avec le piano. 

Richard Brasier, à propos de l'orgue de César Franck

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C'est l'un des évènements de l'année Franck 2022, une nouvelle édition critique de l'oeuvre d'orgue du grand compositeur. Ce nouveau travail éditorial, publié par les éditions Lyrebird Music, est mené par l'organiste Richard Brasier. Crescendo-Magazine est heureux d'échanger avec ce musicien, pour évoquer cette parution qui fait déjà date. 

Quelle est l'importance de l'œuvre d'orgue de César Franck dans le répertoire d'orgue ? 

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles la musique d'orgue de Franck peut être considérée comme importante, mais je pense que la meilleure façon de le mettre en évidence est sa plus longue œuvre pour orgue, la Grande Pièce Symphonique (Op. 17). Les seules autres œuvres de grande envergure qui lui sont antérieures sont les Six Sonates pour orgue de Felix Mendelssohn-Bartholdy (1845), Fantasie und Fuge über den Choral "Ad nos, ad salutarem undam" de Franz Liszt (1850), et l'Orgelsonate "Der 94ste Psalm" de Julius Reubke (1857). Selon Norbert Dufourcq, c'est la Grande Pièce Symphonique qui constitue le lien entre la sonate classique et la symphonie pour orgue. Elle est sans doute le principal précurseur des symphonies pour orgue de Charles-Marie Widor, dont la Symphonie I (op. 13, no 1) a été composée quatre ans seulement après la publication des Six Pièces d'Orgue en 1868. Grâce à cette seule pièce, nous pouvons constater que Franck et Cavaillé-Coll étaient destinés l'un à l'autre. Sans eux, qui sait comment se serait déroulé le développement du répertoire d'orgue français ? 

Quelles sont les caractéristiques stylistiques de l'œuvre d'orgue de César Franck ? Quelles sont ses particularités par rapport à celles de ses contemporains ? 

Bien qu'il ait intégré la classe d'orgue de François Benoist en 1840, le père de Franck était déterminé à voir son fils rejoindre une illustre liste de pianistes concertistes du XIXe siècle. Ce n'est qu'en 1846, après s'être brouillé avec son père à cause de ses fiançailles avec Eugénie-Félicité-Caroline Saillot-Desmousseaux, que Franck a décidé de consacrer sa vie à l'orgue et à la composition. Bien qu'il soit enfin libre de laisser derrière lui sa carrière troublée de pianiste, les techniques qu'il a maîtrisées en tant qu'étudiant font toujours partie de lui. Cela se voit dans ses œuvres pour orgue, où l'on trouve une combinaison merveilleusement sensible de techniques qui conviennent à la fois au piano et à l'orgue. La formation de Franck en tant que pianiste et organiste lui a donné les outils nécessaires pour exprimer les qualités expressives et ardentes des orgues de Cavaillé-Coll d'une manière qu'aucun de ses contemporains ne pouvait égaler. Ce n'est là qu'une des nombreuses raisons pour lesquelles sa musique est si particulière.