Cathédrale de Séville en portrait Renaissance, par un envoûtant consort de flûtes à bec

par

The Orange Tree Courtyard. Pedro de Escobar (c1465-1535), Francisco Guerrero (1528-1599), Cristobal de Morales (c.1500-1553), Juan Vasquez (c.1500-c1560), Miguel de Fuenllana (fl.1553-1578), Francisco Peraza (1564-1598), Alonso de Mudarra (c.1510-1580), Alonso Lobo (1555-1617), Francisco de Peñalosa (1470-1528) et al. The Royal Wind Music. Verena Barié, Francesca Clements, Kristy van Dijk, Hester Groenleer, Marco Magalhaes, Maria Martinez Ayerza, Juho Myllylä, Filipa Margarida Pereira, Daniel Scott, Irene Sorazabal Moreno, Anna Stegmann, flûtes à bec. Août 2022. Livret en anglais, allemand. TT 60’38. Pan Classics PC 10448

Par synecdoque, le titre de l’album fait référence à la Cathédrale de Séville dont le disque propose une sorte de visite guidée en musique, au gré d’un répertoire puisé à la Renaissance ibérique. Explicité dans le livret, le programme s’articule ainsi autour d’œuvres associées à divers trésors de ce sanctuaire, érigé au XVe siècle, et qui dès 1403 ambitionnait la démesure. Un édifice « si grand que les générations futures nous considérerons fous », selon son premier architecte. Il demeure un des plus vastes de la catholicité, et fut construit sur l’emplacement d’une ancienne mosquée de l’ère almohade.

Les deux premières pièces constituent à cet égard un couple significatif : une grisante improvisation sur le mode Raml-al-Maya, rappelant la domination musulmane, puis attacca le fougueux Propiñan de Melyor qui pourrait symboliser le mouvement politico-religieux de la « Reconquista », dont l’historiographie date la fin dans les décennies précédant l’achèvement de la Catedral de Santa María de la Sede. Le parcours s’achève toutefois sur un autre istikhbar, quand la plage 22 nous ramène dans cette cour des orangers, vestige de la mosquée, où la visite avait débuté. 

Au sein de cette boucle programmatique, la déambulation fait d’abord étape dans la Capilla Mayor qui abrite le plus grand retable du monde chrétien et qui nécessita presque un siècle de patient artisanat pour en sculpter la cinquantaine de tableaux et panneaux en haut- et bas-reliefs. Au centre du soubassement siège une statue de la Vierge, justifiant le choix de trois pages mariales (hymne, motet, antienne) empruntées à des compositeurs nés ou actifs à Séville (Virgen bendita sin par de Pedro de Escobar, Virgo prudentissima de Francisco Guerrero, Regina caeli, laetare de Cristobal de Morales). L’auditeur n’aura pas à gravir les degrés qui cent mètres plus haut se hissent au sommet de La Giralda (représentée en couverture), –ce campanile qui se substitua au minaret et d’où l’on peut contempler la capitale andalouse et son tumulte citadin. Le décentrement qu’offre ce panorama est prétexte à une sélection musicale plus urbaine, dérivée de partitions vocales (trois chansons profanes de Juan Vasquez) et instrumentales : du vihuéliste Miguel de Fuenllana, une Fantasia, elle-aussi sur un air populaire, mais aussi un Tiento.

Retour au sol, on s’achemine vers une des quelque trente chapelles latérales, celle dédiée à la Virgen de antiqua qui préserve la tombe de deux musiciens : Francisco Guerrero, dont nous entendons le Hei mihi, Domine, et l’organiste Francisco Peraza disparu à l’âge de 34 ans et qui s’expose ici par une transcription de son Medio registro alto de primer tono, conservé dans les archives de L’Escurial. À quelques pas de là se situe une autre sépulture, celle de l’érudit et bibliophile second fils de Christophe Colomb, enseveli près de ses collections. Un des ouvrages compilés sous l’obédience des très pieux Ferdinand et Isabelle reste bien connu des mélomanes antiquisants : ce Cancionero de la Colombina auquel Jordi Savall et Hespérion XX avaient consacré un mémorable CD (Astrée, 1991) prêtant ici le fringant villancico Niña y viña qu’y pimentait la voix adamantine de Montserrat Figueras.

La visite poursuit ensuite ses pas vers la salle capitulaire, représentée par un de ses dignitaires, et vihuéliste de renom : Alonso de Mudarra dont ce récital nous propose quelques extraits de Tres Libros de musica en cifras, emblématique recueil pour cordes pincées. Ultime escale au cœur de la nef, la plus longue d’Espagne : ce florilège ne pouvait ignorer le chœur, pourvu de deux orgues monumentaux, et où pouvaient résonner la poitrine des fidèles et les cuivres des ministriles. Deux pages liturgiques trouvent une place logique à ce stade, d’autant qu’elles émanent de deux compositeurs qui terminèrent leurs jours à Séville : Vivo ego, dicit Dominus d’Alonso Lobo, et l’Agnus Dei de la Missa Ave Maria Peregrina de Francisco de Peñalosa qui cite à la fois le Salve Regina et le fertile De tous bien playne d’Hayne van Ghizeghem. Tribut à l’expertise des chantres franco-flamands et double-hommage à la Vierge, qui patronne le lieu dont cet album a exploré quelques trésors.

Comme dans le disque Gratia Plena inspiré de l’Annonciation de Hans Memling, l’ensemble The Royal Wind Music exploite un complet arsenal de douze flûtes à bec, déployé sur tout l’ambitus (du sopranino jusqu’à la contrebasse et sous-contrebasse !), dont les interventions sont détaillées dans un tableau en page 7. Maria Martinez Ayerza a signé tous les arrangements que nous admirons dans cette anthologie. Remarquable et intelligent concept topologique, qui allie un temple et un fonds musical, dans une passionnante interaction de métaphores. Un vivant musée où s’expriment des doigts et des souffles experts, restitués par une sonorité panoramique : un fascinant diorama où, de danse en prière, l’onctuosité du vent, sans appoint, sans jamais lasser, se fait le plus averti et suggestif des ciceroni.

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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