Céline Moinet, hautboïste 

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Céline Moinet est hautboïste solo du légendaire Orchestre de la Staatskapelle de Dresde. Issue de l’école française de l’instrument, l’une des plus réputée au monde, elle fait paraître un nouvel album (Berlin Classics) consacré à des oeuvres avec orchestre de Jean-Sébastien Bach.

Après différents albums fort appréciés, dont un superbe disque dédié à Schumann (Berlin Classics), qu’est-ce qui vous a porté vers l’enregistrement d’oeuvres de Bach ? 

Ce sont des oeuvres qui ont bercé mon enfance. Elles ont insufflé mon amour pour cet instrument. Enfant, j’empruntais à la bibliothèque municipale du Vieux Lille une cassette audio avec le Concerto pour hautbois de Marcello. Le deuxième mouvement est bien connu du grand public et a été ornementé au clavecin par Jean-Sébastien Bach. J’ai beaucoup tenu à enregistrer cette pièce pour mon premier disque avec orchestre. 

Comment avez-vous conçu le programme de ce disque qui mêle les concertos pour hautbois et des sinfonias de cantates qui mettent l’accent sur le hautbois ? 

Le hautbois est très présent dans la musique de JS Bach, il tient un rôle très particulier dans ses cantates. J’ai choisi certaines sinfonias ainsi que les reconstructions de concertos qui se prêtaient le mieux à mon instrument. Le mouvement lent du Concerto en ré mineur est tiré directement de la Cantate “Ich steh mit einem fuß im grabe” BVW 156, bien connu du grand public.

Comment avez-vous rencontré l’orchestre L’Arte del Mondo qui vous accompagne sur ce disque ?

J’étais à la recherche d’un ensemble dédié à la musique baroque. Je connaissais par ses nombreux enregistrements le travail de Werner Ehrhardt avec le Concerto Köln. J’ai tout de suite aimé l’idée de travailler avec son nouvel ensemble, l’Arte del mondo.

Comment aborde-t-on ces oeuvres, en 2019, au regard de tout le travail sur les sources effectué par les interprètes du mouvement baroque ? 

Avec beaucoup d’enthousiasme, d’ouverture et d’amour pour cette musique ! Je souhaitais être au plus proche d’une “vérité” stylistique et sonore, du timbre et de la souplesse de jeu du hautbois baroque. Le travail avec Werner Ehrhardt, l’ensemble l’Arte del mondo et le claveciniste Massimiliano Toni a été très intense et enrichissant. Il s’agissait de faire oublier la “dureté” du hautbois moderne en s’appuyant sur une articulation adaptée et un langage réfléchi. 

Vous avez étudié, entre autre, avec Maurice Bourgue, l’un des grands maîtres français de l’instrument. Est-ce qu’il y a pour vous une tradition française du hautbois ? 

La formation française des instrumentistes à vent et des hautboïstes en particulier est excellente. Les étudiants sont formés très tôt et sur des bases solides. Il y a surtout dans l’école française une vraie compréhension de la physionomie de l’instrumentiste. Le jeu est souple et virtuose, en harmonie avec le corps du musicien. C’est pour chaque hautboïste un défi, car cet instrument est très physique et demande beaucoup d’endurance et de souplesse respiratoire. Je suis très heureuse que Maurice Bourgue ai accepté de venir à Dresde pour deux jours de masterclasses en Mars 2020. C’est important pour moi que mes élèves puissent le rencontrer. 

Vous êtes hautbois solo de la Staatskapelle de Dresde. Comment avez-vous intégré cet orchestre légendaire ? 

J’ai passé une audition en 2008. L’arrivée dans cette ville, l’opéra monumental, le déroulé très sobre de l’audition derrière paravent, cela reste un souvenir très marquant. C’était le début d’une nouvelle étape dans ma vie de musicienne.

La Staatskapelle de Dresde est un orchestre encore marqué par une identité sonore très caractéristique. Comment adapte-t-on sa sonorité à un tel orchestre ?

Fondée en 1548, la Staatskapelle de Dresde possède une histoire, une tradition et une sonorité exceptionnelles. Nous jouons encore les opéras de Richard Wagner et Richard Strauss (qui a composé neuf de ses opéras pour notre orchestre) sur les partitions de l’époque. J’ai eu la chance d’avoir un timbre qui correspondait à ce que l’orchestre recherchait. Ensuite mon évolution dans l’orchestre s’est faite sur la durée, à travers le répertoire, les chefs, et surtout grâce aux collègues autour de moi. Les musiciens transmettent leurs traditions à travers leur jeu.

Vous êtes également professeur à Dresde et dans différentes masterclasses à travers le monde, en quoi l’enseignement est-il important pour vous ? 

J’ai beaucoup de plaisir à enseigner. L’échange avec mes élèves est une vraie source de réflexion et d’inspiration. Cela m’aide à travailler plus strictement sur mon propre jeu. J’ai beaucoup d’affection pour ces jeunes hautboïstes en devenir et j’essaie d’être très présente et active à la Hochschule de Dresde. Chaque professeur a une vraie responsabilité envers son élève car c’est un métier exigeant, avec une très forte compétition. 

Vu de Bruxelles, certaines évolutions de la situation politique en Allemagne sont inquiétantes, en particulier dans les anciens Länder de la RDA. Comment vivez-vous cela en tant que musicienne française qui travaille en Allemagne ? 

Les mouvements “Pegida” et la montée du parti politique AFD ont malheureusement beaucoup terni l’image de la région de Saxe et de Dresde en particulier. Cela m’attriste beaucoup car la ville est magnifique et elle ne mérite pas cette mauvaise publicité. J’espère que les prochaines années apporteront plus d’ouverture et de fraternité en Europe. 

Vous enregistrez chez un label allemand, avec un orchestre allemand, vous jouez dans l’un des plus grands orchestres allemands. Est-ce que l’on aura une chance de vous entendre prochainement en Belgique ? 

La Staatskapelle de Dresde se produira avec Philippe Herreweghe le 31 octobre à Bruxelles et j’espère pouvoir participer à cette tournée. Il est vrai que ma vie personnelle et professionnelle est à présent plus tournée vers l’Allemagne. J’aimerais pouvoir jouer plus en Belgique, un pays qui m’est familier et que j’affectionne beaucoup.

À écouter : Jean-Sébastien Bach : Concertos pour hautbois. Céline Moinet, hautbois ; L'Arte del Mondo, Werner Ehrhardt. Berlin Classics. (Disponible dès le 13/9 en Belgique et le 3/10 en France).

 

 

Le site de Céline Moinet : http://celinemoinet.com/

Crédits photographiques : François Sechet

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

 

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