Clarinette et orchestre autour de Manfred Trojahn
‘Belle époque’. Oeuvre de Claude Debussy (1862-1918), Manfred Trojahn (1949), Gabriel Pierné (1863-1937), Johannes Brahms (1833-1897), Charles-Marie Widor (1844-1937). Annelien Van Wauwe, clarinette ; Orchestre National de Lille, direction : Alexandre Bloch. 2019. Llivret en anglais. 59’50, Pentatone, PTC 5187
La Rhapsodie pour clarinette et orchestre de Manfred Trojahn fut créée il y a un peu plus de vingt ans (2002). Elle est ici enregistrée en première mondiale. Destinée à la présente formation, c’est à dire clarinette solo et orchestre, elle appartient au vaste catalogue d’un musicien saxon aussi prolifique qu’éclectique puisqu’il s’est illustré dans l’opéra comme la musique de scène et à peu près toutes les configurations instrumentales symphoniques et chambristes. Il puise son inspiration chez des poètes et dramaturges tels Pirandello, Shakespeare ou Heine sans négliger un impressionnant répertoire spirituel. Un tel champ d’expression témoigne d’une culture et d’une ouverture d’esprit exceptionnelles. Qualités qui confèrent à cette Rhapsodie pour clarinette et orchestre une souplesse et un charme immédiatement sensibles. La fantaisie associée à l’idée de rhapsodie y ajoute une pointe de séduction qui n’exclut ni la profondeur et ni le jeu des perspectives.
La Rêverie (I) d’humeur capricante se fond ainsi dans un tissu orchestral scandé de percussions sourdes -sonorités de commencement du monde sans logique organique apparente. L’intermède avec valse à musette (sic) (II) fait écho au titre du récital « la Belle Epoque » claudiquant avec humour avant de se dissoudre, indécise, dans le lointain. Le Caprice (III) enfin s’anime, rend hommage à Ravel pour se perdre à nouveau.
Flûtiste, le compositeur met particulièrement bien en valeur l’instrument soliste à vent, ici la clarinette radieuse d’Annelien Van Wauwe. Rutilante, agile, elle sait se faire également chant ou poésie aux lisières du silence. L’Orchestre National de Lille se prête à toutes les métamorphoses sous la direction pleine de tact du chef Alexandre Bloch.
Ce n’est pas une surprise : le répertoire pour clarinette solo et orchestre se révèle insuffisant pour composer un récital entier. Par conséquent, ce sont des pièces de concours et d’autres, arrangées, qui complètent le programme. Leur indiscutable qualité d’exécution orchestrale et soliste pourrait convaincre s’il ne s’agissait, exception faite pour Debussy, de musiques qui n’ont pas été « voulues » par le compositeur « pour » l’orchestre.
C’est le cas de la Sonate de Brahms qui prend des proportions hollywoodiennes. L’Allegro appasionato d’une orchestration chargée évoque plus l’Allemagne du Nord que la capitale des Habsbourg où l’auteur avait élu domicile depuis 1862. L’Andante offre quelques beaux moments de recueillement et une légèreté plus conforme aux amitiés viennoise dont celle de Johann Strauss II.
Par ailleurs, la première Rhapsodie de Claude Debussy dont l’enchanteresse beauté dépasse le cadre étroit d’une épreuve de conservatoire met particulièrement bien en relief le jeu de l’interprète. Enfin, l’Introduction et Rondo op.72 de Charles-Marie Widor conclut avec agilité ce qui ressemble à une invitation à la danse.
La pièce de Johannes Brahms date de 1894, celle de Charles-Marie Widor de 1898, l’exquise Canzonetta de Gabriel Pierné de 1907, la Première Rhapsodie de Debussy de 1910 et celle de Manfred Trojahn de 2002. Si la composition de quatre sur cinq des œuvres présentées se situe bien dans l’intervalle 1890-1914, leur esthétique disparate renvoie une image assez confuse de la « Belle Epoque » - temps indécis où les promesses font encore illusion.
Son 10 – Livret 5 – Répertoire 9 – Interprétation 10
Bénédicte Palaux Simonnet