En public à Munich, une grandiose Sixième de Bruckner par Mariss Jansons

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Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 6. Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, direction Mariss Jansons. 2015. Notice en allemand et en anglais. 54.05. BR Klassik 900190.

La période de la gestation de la Symphonie n° 6 de Bruckner, les années 1879 à 1881, est non seulement l’occasion pour le compositeur de remanier de précédentes pages orchestrales, mais aussi de pouvoir diriger à Vienne sa Messe en ré mineur et d’écrire son Quintette en fa majeur, moment d’apaisement chambriste. C’est aussi le succès rencontré par la création de la Symphonie n° 4 par Hans Richter à la tête de la Philharmonie de Vienne. Mais la solitude l’accable toujours, il a des soucis de santé et sa situation financière n’est guère brillante. Entamée le 24 septembre 1879, la Sixième est achevée à Saint-Florian deux ans plus tard, presque jour pour jour, le 3 septembre. Cette symphonie ne sera jamais remaniée par Bruckner, mais il n’aura pas le bonheur de l’entendre intégralement de son vivant. Seuls, les mouvements centraux sont créés à Vienne en février 1883.  

Bruckner a attribué lui-même à sa Sixième un jeu de mots significatifs : Die Sechste, die keckste, que l’on traduit par « la plus effrontée » ou « la plus insolente ». D’autres qualificatifs : « espiègle », « audacieuse » ou « philosophique » lui ont été conférés. Si elle est moins portée aux nues, à tort selon nous, que les deux monuments qui l’entourent, cette Sixième n’en est pas moins d’une absolue beauté et procure à l’audition un sentiment de grande réussite orchestrale. Les chefs ne s’y sont pas trompés, les versions abondent, et les noms des références donnent le tournis, depuis celle de Wilhelm Furtwängler et du Philharmonique Berlin de novembre 1943, hélas amputée du premier mouvement, malencontreusement disparu, avec un Adagio d’une intensité bouleversante, jusqu’aux plus récentes, notamment celle de Christian Thielemann à Dresde, en passant par les légendaires interprètes que sont Otto Klemperer, Eugen Jochum, Günter Wand, Herbert von Karajan (qui exalte l’art de la splendeur sonore), Bernard Haitink, Herbert Blomstedt ou l’incontournable Sergiu Celibidache qui prolonge la durée jusqu’à 65 minutes, le terme « philosophique » prenant tout son sens dans sa vision. Sans oublier Wolfgang Sawallisch qui, à la tête du Bayerisches Staatsorchester en octobre 1981, en donne, à notre avis, la traduction la plus lumineuse et la plus esthétique, dans des tempi qui frôlent le miracle, notamment dans l’Adagio, qui respire la justesse et la profondeur expressive. Difficile d’écouter cela sans avoir le cœur serré…

La présente gravure de Mariss Jansons émane d’un concert public du Bayerisches Rundfunk donné les 22 et 23 janvier 2015. Il existe deux autres gravures par ce chef d’orchestre, en salle également, l’une avec le Royal Concertgebouw d’Amsterdam, couplée avec la Septième (RCO Live), l’autre avec le Philharmonique de Berlin dans une édition intégrale des symphonies de Bruckner, chacune de celles-ci étant jouée par un chef différent (BPO), la Sixième revenant à Jansons. Ces deux versions se situent à un niveau élevé, que rejoignent les Bavarois : le tempo est soutenu, sans déséquilibre ; tension et puissance sont au rendez-vous, le lyrisme est présent. Cette formation a une sonorité radieuse, que l’on pourrait aussi qualifier de soyeuse. Les cuivres sont majestueux, les cors présentent une large dynamique, les bois sont harmonieux. Dans le Maestoso initial, pris de façon alerte, les trois groupes thématiques sont mis en évidence, la part d’héroïsme est bien soulignée, les contrastes également, avec un timbalier dans une forme étincelante, dont la prestation impressionne. Le mouvement entier donne à l’orchestre l’occasion de briller jusqu’à la coda qui prend la juste mesure, du calme à la solennité graduelle, vers l’abrupte conclusion. L’Adagio subjugue par l’accent mis sur la mélancolie profonde que l’expressivité d’une pensée élevée installe dans une intimité que l’on souhaiterait encore plus recueillie. Esthétiquement, c’est très beau : l’orchestre respire et chante avec une émotion touchante. L’intervention du hautbois évoque une infinie tristesse : on y a vu parfois la possibilité du souvenir d’un amour déçu, mais des accents de deuil s’y dévoilent tout autant. Jansons n’atteint cependant pas tout à fait la dimension spirituelle et hiératique qu’un Sawallisch y ajoutait, au prix d’un supplément de méditation. 

Le Scherzo contient les éléments fantastiques requis, dosés avec cette touche de fantaisie qui justifie la caractéristique d’insolence exprimée par le compositeur. C’est surtout une belle démonstration de l’inspiration faustienne à la Berlioz que des commentateurs y ont décelée, avec elfes de la forêt et clair de lune. Jansons y est très à l’aise. Le Finale est enlevé avec une énergie dévastatrice. Les plans sont bien définis, le discours avance dans une articulation homogène. La facture rythmique ne se relâche pas, les violons et les cuivres sont transcendants, et l’apothéose conclusive est un vrai couronnement.

Cette version de concert, que l’on ne qualifiera pas de spectaculaire mais plutôt de grandiose, est restituée par une prise de son très présente. Elle est à classer au niveau des meilleures interprétations de cette magnifique partition orchestrale.

Son : 10    Notice : 9    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

          

 

  

 

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