Et Satan conduit le brise glace

par

Franz Schubert (1797-1828) : Winterresise.Bo Skovhus, baryton ; Stefan Vladar, piano. 2017- DDD - 66:37- présentation, livret en anglais et allemand-chanté en allemand - Capriccio C 5291

Au-delà des néants voluptueux, renonçant à toute idée de « joli », cette version du Voyage d’hiver s’aventure dans ces régions glacées où semblent seules régner la brutalité, la violence, les hallucinations diaboliques. Désorientation qui fait peut-être l’intérêt majeur d’une énième version du chef d’œuvre de Schubert. Dès le premier Lied "Gute Nacht" il est clair que les interprètes ont pris le parti de jeter aux orties la tendresse résignée, le versant moëlleux un peu vague, intériorisé et ambigu, caractéristique du génie viennois. En ce sens, on est ici plus près du poète Wilhelm Müller traducteur du Faust de Marlowe que du velouté munichois d’un Fisher-Diskau ou des vertiges existentiels de versions ultérieures.

Le piano de Stefan Vladar canonne, carillonne, ricane ou gémit, animé d’une pulsion quasi infernale qui balaie tout sur son passage. Dès lors, achevant ici sa trilogie schubertienne (Die Schöne Mullerin et Schwanengesang avec le même partenaire -cycles commentés précédemment dans ces colonnes), il revient au baryton Bo Skovhus de s’engager dans une sorte de corps à corps avec sa propre fin. En ce grand Nord affectif, il n’est plus question de tergiverser. Alors, toujours musical, en très grand artiste, l’interprète transforme ce qui pourrait sembler des défauts en atouts expressifs. Il accentue le poids de certains phrasés créant une dynamique d’accablement aléatoire, compense la perte de texture en fouettant les consonnes et n’hésite pas à détimbrer (Wasserflut ou Frühlingstraum, Hoffnung Grab à la fin de Letzte Hoffnung ou Die Nebensonnen). Tandis que de certaines couleurs qui pourraient sembler épaissies, ternies ou feutrées, le musicien tire une sauvagerie révoltée tout à fait saisissante (Ruckblick des plus faustiens). S’il paraît retrouver un instant la veine populaire naïve, c’est pour mieux basculer dans le cauchemar (Frühlingstraum). La réminiscence délicate d’une valse (Taüschung) berce le « passage » (Der Wegweiser) dans un dénuement très simple non exempt de sursaut (Mut) faisant des derniers Lieder un chemin sans retour « d’un seul tenant » en une unique respiration vocale et pianistique.

Bénédicte Palaux Simonnet

Son : 8 – Livret : 5- Répertoire : 9- Interprétation : 8

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