Schubert, une Symphonie n°9 gouleyante, par Fabio Luisi à Zurich 

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Franz Schubert : Symphonie en ut majeur D. 944 (« La Grande »). Fabio Luisi, Philharmonia Zürich. Live Opernhaus de Zurich, février 2019. Livret en allemand, anglais, français. TT 58’43. Philharmonia Records PHR 0111.

Depuis les enregistrements de Nikolaus Harnoncourt (à Amsterdam chez Teldec), Frans Brüggen (Philips), Charles Mackerras (Virgin), Roger Norrington (Emi), Sandor Vegh (Capriccio), Jos van Immerseel (Sony), la Neuvième a connu diverses phases expérimentales nourries au « historiquement informé ». Qui n’empêchent pas d’en importer certains apports (sobriété du ton, cordes en effectif raisonné, agilité des voix médianes, précision du tissu) dans des lectures plus traditionnelles, comme c’est le cas ici avec l’orchestre zurichois que Fabio Luisi dirige depuis 2012. Dans un élégant packaging cartonné, couleur framboise et chocolat au lait, voici une contribution soignée, qui rejoint une discographie saturée où toute option a déjà été essayée, peu s’en faut. Quels sont les arguments de cette récente version ?

Dès l’Andante Allegro non troppo, on sent une volonté d’alléger la masse et fluidifier le propos. Restitué in extenso : on notera la reprise à 6’31. Les échanges fourmillent (contrechants à 6’17), les pupitres bavardent avec conviction, les détails s’agencent à un flux incessamment relancé, et intégré par un caractère primesautier. Voire un peu savonneux, si l’on souhaite davantage d’aspérité. Cette ingénuité ouateuse escamote le relief, lisse le discours, et estompe les gestes dramatiques. Les bois émoussent le croustillant, manquent de personnalité, les timbales d’impact. L’intervention des trombones (5’37) n’est pas solennisée. La coda (14’09) se précipite vers une conclusion qui se dispense de brio, quoique parachevée par un ralenti inaccoutumé, du meilleur effet. Bref une lecture propulsive, orientée mais antihéroïque et inoffensive, qui ignore les tourments entrevus par les légendaires aînés (Wilhelm Furtwängler, Hermann Abendroth). Et linéarise la vitalité triomphante qui émoustillait les glorieuses réussites de Joseph Krips à Londres (Decca), Istvan Kertesz à Vienne (Decca), Ataulfo Argenta et les Cento Soli (Club Français du Disque), Rudolf Kempe à Munich (CBS), pour rappeler quelques anciennes références toujours au sommet.

On retrouve pareille éthique pour l’Andante con moto, qui néglige de creuser la pulsation, au risque de la rendre nerveuse et superficielle, et la maintient sur un rail peu propice à la narration, quoique d’une remarquable régularité. Thomas Dausgaard avec l’Orchestre de Chambre de Suède (Bis, 2009) se montrait plus habité, et son balancement plus naturel. Le lyrisme se laisse désirer dans la section en fa majeur (3’01), -les violoncelles rechignent-ils à chanter ? Ni sentimentalisme ni pathos. Après des éclats de cuivre assurés avec panache (7’40, mm. 232 et s.), la déambulation élégiaque du passage en si bémol mineur (8’28) tend à s’assoupir plutôt qu’à se lamenter. Même si la suite se remobilise au gré d’un ton péremptoire qui évite l’enlisement, on n’a guère l’impression d’avoir été transporté au plus profond de cette bouleversante incursion dans l’âme romantique.

Le maestro italien canalise avec autorité le rebond du Scherzo, qu’il recentre par des énergies centripètes, et une impétueuse impulsion, mobilisée sur des basses non lourdes mais un peu huileuses. Agglomérées par une homophonie (trop ?) mécaniste. On peut aimer cette scansion couvrante, compacte, lustrée par les cordes à tension continue, ou regretter qu’elle ne s’accorde quelques respirations moins opacifiantes, et un brin de détente dans le Trio (6’13). Ce qui n’ôte rien à la finesse des archets et souffleurs helvètes, particulièrement appliqués et concentrés.

C’est dans la course du Finale que le style de l’interprétation se prête le mieux. Comme dans les premier et troisième mouvements, la reprise est pratiquée (3’55). Légèreté, insouciance, train serré, dynamique surveillée, l’Allegro vivace peut s’élancer sous contrôle, sans se taxer d’exubérance. Dans la coda (14’20), les trompettes restent discrètes. Et à l’instar des mouvements précédents, Fabio Luisi conclut par un trait attachant, ici un subtil decrescendo : inscrit sur la partition mais que peu de chefs respectent !, hier comme aujourd’hui (même des baguettes aussi avisées qu’Andrés Orozco-Estrada, cf son live à Francfort en décembre 2018).

Bilan : une vision peaufinée, unifiée, volontariste, souvent édulcorée, qui n’invente pas (ou peu) d’ingrédients nouveaux mais les organise avec cohérence, celle d’un classicisme franc et sans excès. Dont ampleur et grandeur ne sont pas les vertus. Bon teint et bon goût. Ce Schubert regarde encore vers le siècle de Mozart et Haydn : sa sensibilité, son tact, son animation de surface ne lui font jamais défaut. Mais sa rhétorique corsetée, son émotion congrue ne se hissent pas au niveau des réalisations les plus éloquentes. Les plus convaincantes de ces quinze dernières années restent celles de Harnoncourt (BPHR), Thomas Dausgaard (Bis), Antonello Manacorda (Sony). En attendant celle de Jan Willem de Vriend (Challenge Classics) ?

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 7

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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