George Lloyd, un néo-classique attachant, mais méconnu
George Lloyd (1913-1998) : Symphonies n° 7 à 12 ; Suite orchestrale ‘The Serf’. BBC Philharmonic Orchestra, Philharmonia Orchestra, Albany Symphony Orchestra, direction George Lloyd. 1984-2000. Notice en anglais. 292’ 10’’. Un coffret de 4 CD Lyrita SRCD.2418.
George Lloyd naît à St Ives, dans les Cornouailles, au sein d’une famille où la musique est très présente : le père joue de la flûte en amateur, et la mère du violon et de l’alto ; un petit studio aménagé dans les lieux permet de s’adonner à la musique de chambre. Dès ses six ans, le jeune George est l’élève d’Albert Sammons (1886-1957), qui sera à Londres premier violon pour Thomas Beecham et créera en 1919 le Concerto pour violon de Delius. Aux dires de Lloyd, Sammons aura une influence fondamentale sur sa créativité. Talentueux, il participe très vite à des événements musicaux locaux, ce qui lui vaut des éloges dans la presse dès son adolescence. Tenté très jeune par la composition, il se perfectionne à Londres, au Trinity College of Music, auprès de Harry Farjeon (1878-1948), pédagogue réputé et influent, et de William Lovelock (1899-1986). À vingt ans, il écrit un opéra, Iernin, d’après une légende cornouaillaise, qu’il dirige lui-même en 1934. Le critique musical du Times est élogieux ; Iernin sera joué trois semaines de suite à Londres (gravure dirigée par Lloyd, Albany, 2005). Un deuxième opéra, The Serf, sur un sujet historique se déroulant au XIIe siècle, voit le jour en 1938. Confié à la baguette d’Albert Coates (1882-1953), il connaît un succès public.
La guerre va bouleverser la destinée de George Lloyd. Incorporé en 1939 dans les Royal Marines comme musicien, il se retrouve trois ans plus tard opérateur radio dans les convois en route vers l’Arctique et Mourmansk. Son navire est torpillé ; il est sauvé de justesse de la noyade. L’expérience le traumatise physiquement et moralement ; le pronostic médical est pessimiste, prédisant qu’il ne se remettra jamais de ce qu’il a vécu. C’est compter sans Nancy, son épouse depuis 1937. Elle emmène son mari en Suisse, dont elle est originaire. À Château-d’Oex, dans le canton de Vaud, Lloyd se remet peu à peu. En 1946, il compose sa Symphonie n° 4, symboliquement appelée The Arctic. Rentré en Angleterre, il écrit un troisième opéra, John Socman, sur un nouveau thème historique, le retour d’un soldat de la bataille d’Azincourt, dont la création a lieu en 1951 (extraits dirigés par Lloyd, Albany, 1994).
Un nouveau traumatisme l’attend : le décès de son père, auteur du livret. Il s’exile alors volontairement avec son épouse dans un cottage du Dorset, où il mène une vie effacée et compose avec ardeur pendant une vingtaine d’années, avant de revenir à Londres en 1973. Il n’y a pas été oublié : certaines œuvres ont été parfois programmées par la BBC ou par l’une ou l’autre formation. Lloyd va trouver un ardent défenseur de sa musique en Edward Downes (1924-2009), qui va faire connaître sa production, notamment lors des Proms, en créer une partie, dont celle d’avant-guerre, et graver, entre 1979 et 1984, les Symphonies 4 à 8 (Lyrita, 2007 et 2017). Une popularité nouvelle pousse Lloyd à diriger lui-même. Ses deux dernières symphonies seront applaudies à Albany, capitale de l’État de New York. Trois semaines avant son décès, il achèvera un prémonitoire Requiem, qu’il dédiera à la mémoire de la princesse Diana (Albany, 2005).
Le compositeur, qui semblait destiné avant tout à l’opéra, finira par y renoncer. Il s’était aussi lancé, dès 1932, dans l’écriture de symphonies. Il en composera douze, ainsi que quatre concertos pour piano, deux pour le violon, un pour le violoncelle, huit pages orchestrales, des œuvres chorales, dont une grandiose Symphonic Mass (1992), et un petit nombre de pages de musique de chambre. Certaines symphonies (2, 4, 5) attendront plusieurs décennies avant d’être jouées en concert. Le précieux label Lyrita vient de réunir en deux coffrets, de quatre CD chacun, l’intégrale des douze, dirigées par le compositeur à la tête de plusieurs formations. Les disques ont été disponibles séparément chez Albany Records, avant la présente « Signature Edition ». Cet ensemble est à saluer pour sa qualité éditoriale (excellente notice très documentée, signée par Paul Conway, présence dans le premier coffret d’une « Life in Pictures », un ensemble de 25 photographies en couleurs et en noir et blanc) et pour la mise à disposition d’un corpus orchestral que l’on écoute avec un vif intérêt.
Un premier coffret a regroupé les six premières symphonies (Lyrita SCRD.2417), témoignages d’une création étalée entre 1932 et 1956. George Lloyd est considéré par maints critiques comme un compositeur typique du néoclassicisme moderne, une classification justifiée, mais qui ne doit pas être considérée comme nostalgique du passé, car Lloyd a une écriture personnelle originale, il orchestre avec habileté et clarté, sert le lyrisme ou la grandeur, et sait manier les mélodies avec un métier affirmé. Les trois premières symphonies (les 1 et 2 seront révisées en 1982) sont marquées par un romantisme tardif, proche de Havergal Brian ou d’Arnold Bax, avec une expressivité et des élans qui se nourrissent des leçons d’Elgar. La Symphonie n° 4, « Arctic » (1945-46), symbolique du séjour salvateur en Suisse après le traumatisme de la guerre, est définie par Lloyd lui-même comme un monde d’obscurité, de tempêtes, de couleurs étranges et de retour à une paix antérieure. Elle offre de vastes étendues de paysages (Lento tranquillo), mais aussi des aspects dansés et des climax servis par une abondante percussion. La Cinquième de 1947, écrite elle aussi en Suisse, au bord du lac de Neuchâtel, prolonge l’apaisement par son côté pastoral et son émotion palpable. Lloyd n’écrira la concise Sixième que dix ans plus tard, avec un effectif orchestral plus modeste et dans un climat d’élégance néo-classique.
La vaste Septième de 1957-59, fortement cuivrée et avec une percussion nourrie, ne sera créée qu’en 1979 par Downes. Son sous-titre « Proserpine » indique une inspiration mythologique. Le superbe Lento illustre les somptueux vers du Jardin de Proserpine, publiés en 1866, d’Algernon Swinburne (1837-1909), les bois, la harpe et le célesta soulignant une sorte d’apesanteur, avant un Agitato final, vingt minutes de contrastes dynamiques et d’amplitude à la manière de Richard Strauss. Cette Septième, peut-être bien le sommet de cette intégrale, précède une Huitième de 1961, à l’effectif renforcé, avec des couleurs très contrastées, aidées par une abondante percussion. Ici aussi, on savoure un Largo poignant, avec des cordes intériorisées et de troublants effleurements de harpe. Une Neuvième, dont la fine palette est délicate, surprend par des dissonances qui apparaissent dans le Largo, alors que l’originale Dixième, reflet d’impressions après la visite de plusieurs cathédrales, est destinée à un ensemble limité de cuivres. La Onzième de 1985, une commande de l’Albany Symphony Orchestra, lui ouvre les portes de la reconnaissance américaine en octobre 1986 lors d’un concert public qu’il dirige lui-même ; Lloyd y fait la démonstration d’une inspiration enthousiaste. Traversée par les violences, voire l’agressivité d’un orchestre pléthorique, elle abonde aussi en plages sereines. On la placera au même niveau qualitatif que la Septième, son ampleur et ses mélodies chaleureuses conférant à l’ensemble une dynamique exaltante. Lloyd écrit encore pour Albany sa Symphonie n° 12 en 1989. Jouée en un mouvement, tel un retour aux sources vers la première de la série, elle présente des motifs plus apaisés, avec une superbe intervention du violoncelle dans l’Adagio. Tout en fin de vie, le compositeur propose un arrangement en deux suites de son opéra The Serf, écrit près de soixante ans auparavant ; la première est ici insérée. Lloyd n’avait pas oublié qu’il avait rêvé très jeune de se consacrer avant tout à la scène. Le destin en aura décidé autrement.
Présentée dans un son qui rend justice à une orchestration inventive et souvent foisonnante, l’intégrale des symphonies de George Lloyd ne pouvait trouver meilleur défenseur de sa propre créativité que lui-même. Attentif aux détails, sensible aux élans et aux climax comme aux plages plus sereines, il trouve dans le BBC Philharmonic, le Philharmonia ou l’Albany Symphony, des formations motivées qui, sous sa conduite, mettent en valeur un corpus riche et varié. Les mélomanes curieux de terres musicales moins fréquentées éprouveront un vif plaisir à (re)découvrir un digne représentant néoclassique de la musique anglaise du XXe siècle.
Signalons qu’en plus de l’intégrale des symphonies, Lyrita a aussi édité un album (SRCD.2419) qui regroupe A Symphonic Mass (1992) pour chœur et orchestre, et A Litany (1995) pour soprano, baryton, chœur et orchestre, deux partitions de fin de vie, dirigées elles aussi par George Lloyd. A Litany, dramatique et fortement émotionnelle, requiert un effectif considérable et met en évidence des poèmes de John Donne (1572-1631), prédicateur du temps de Jacques Ier. Des pages qui méritent d’être visitées quand on est déjà conquis par les belles symphonies de George Lloyd.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 8,5 Interprétation : 10
Jean Lacroix