Grégoire Gertsmans : la nouvelle simplicité, entre éveil et sommeil

par

Hypnagogie. Grégoire Gertsmans (1985-) ; Grégoire Gertsmans. 42’41" – 2024 – Livret : français, anglais. [PIAS]. PIASB949CD. 

Pour Julien, le père du père (fondateur de l’Académie de musique de Hannut), c’est le violon ; Eric, le père, travaille l’alto (avec l’Orchestre Philharmonique de Liège, William Sheller ou Robert Wyatt) ; Grégoire Gertsmans, lui, choisit la batterie (il étudie le solfège et les percussions) – avant de passer à la guitare électrique (avec laquelle il se frotte aux bluesmen, du Kansas au Missouri ; le déclic, c’est Smells Like Teen Spirit de Nirvana), puis de revenir au piano, l’instrument qui trône dans le bureau du grand-père, qui lui apprend les premiers accords à 7 ans.

Hypnagogie, cet état de transition entre l'éveil et le sommeil, où l’esprit s’apprête à lâcher la conscience pour le rêve, pendant lequel il n’est pas rare d’halluciner, de s’imaginer flotter ou chuter, de sentir tourbillonner nos pensées (une source de créativité pour ceux qui valorisent les états de conscience altérés -celui-ci l’est au moins de façon naturelle), est le titre du premier album du musicien belge, neuf pièces qu’il compose et joue, seul au piano- à l’exception de la voix féminine, étrangement mixée, dans La mer, qui termine le disque.

Qu’il trempe son inspiration dans la contemplation sonore de la forêt et de ce moment entre équilibre et prémices d’évanouissement quand, fermant les yeux debout à l’extérieur, on perd subrepticement nos repères (Paradoxes), dans les souvenirs des jouets d’enfant, réactivés par le mouvement d’une balançoire au parc juste délaissée (L’écorce du zèbre), dans l’introspection attentive des suites de notes qu’on a en soi (Aujourd’hui) ou dans la poussière en suspension révélée par le rai de soleil d’après-midi (Dust), Gertsmans écrit dans la veine hyper consonante des Max Richter ou Nils Frahm : la mélodie, la (nouvelle) simplicité, un tempo lent (remède à la frénésie du siècle), pas d’aspérité, rien qui dépasse -à la manière d’une brosse de GI ; même si, paradoxalement, l’enregistrement, sur le piano installé au grenier, se fait en une seule prise (mais avec plusieurs micros), sans fioritures ni overdubs (une écoute attentive laisse entendre la vie du plancher, le bruit de la nuit -seuls moments sans trafic).

La chose est à la fois intime (les thèmes, la sensibilité du non-virtuose, l’orientation contemplative, le nécessaire pyjama lors de l’endormissement) et exposée, peut-être indécente -le surf sur la vague néo-classique, l’embarquement opportun dans une simplicité qui flirte avec facilité : consonance et mélodie ont bien sûr leur place dans la musique d’aujourd’hui mais l’intérêt à en produire (parfois à la chaîne) n’échappe ni à l’industrie musicale ni aux stars du genre ; Max Richter, Nils Frahm ou Ludovico Einaudi se portant d’autant mieux que l’écoute de playlists algorithmées par les streamers favorise une musique qui, puisqu’on ne la choisit plus, se doit de passer partout.

Son : 7 – Livret : 7 – Répertoire : 5 – Interprétation : 6

Chronique réalisée sur base de l'édition CD.

Bernard Vincken

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