Isaac Karabtchevsky à propos de Villa-Lobos et Guarnieri 

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Le label Naxos a la bonne idée de proposer en coffret l’intégrale des symphonies de Villa-Lobos enregistrées entre 2011 et 2017 par Isaac Karabtchevsky au pupitre de l’excellent Orchestre Symphonique de São Paulo (OSEP). Cette parution est une occasion de parler de ce corpus magistral avec le grand chef brésilien qui fait également l’actualité avec un album consacré à des partitions de Camargo Guarnieri, un contemporain de Villa-Lobos. 

Qu’est-ce qui fait la particularité des symphonies de Villa-Lobos ? 

Pour comprendre l'œuvre de Villa-Lobos, il faut se replonger dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale. Rio était une ville pleine de chaleur et de culture, et tous les compositeurs étaient sous l’influence de Debussy, spécialement Villa-Lobos. On peut dire que Debussy est la clef pour comprendre sa production. Ses partitions sont également les enfants de la Belle Epoque, une période de nouvelles tendances harmoniques, une réaction anti-wagnérienne, à la recherche de formules musicales novatrices. Les symphonies de Villa-Lobos étaient une tentative de trouver une voie personnelle. 

Est-ce que, dans ses symphonies, Villa-Lobos vous apparaît comme foncièrement brésilien ? 

Oui ! Malgré le fait qu’il se fond dans des formes musicales classiques comme celle de la sonate, il associe à cette base une dimension folklorique. Le folklore brésilien est toujours présent dans ses partitions et on ne peut pas le dissocier de son oeuvre. 

Dans ce corpus, je relève la Symphonie n°10 “Améríndia” qui convoque un grand orchestre, un chœur et deux solistes vocaux. Cette partition n’est-elle pas beethovenienne dans ses vastes dimensions et son inspiration fédérative ? 

Non, je ne le pense pas. Cette Symphonie n°10 est indubitablement une très grande œuvre. Cette parution narre la fondation de la ville de São Paulo, elle s'avère très narrative et illustrative, et elle me paraît éloignée de la  Symphonie n°9 de Beethoven. L’enregistrement a constitué un énorme défi car je voulais faire entendre les moindres détails de l’orchestration (y compris la présence d’un orgue) et des éléments vocaux. 

Deux des symphonies de Villa-Lobos (n°3 et n°4) sont liées à la Première Guerre mondiale. Est-ce que les événements de l’Histoire contemporaine étaient une source d’inspiration pour le compositeur ? 

Absolument ! Ces deux symphonies composaient même un triptyque commémoratif avec la Symphonie n°5 “A Paz” (La Paix) dont le manuscrit a été perdu. Le Brésil a modestement participé au conflit, mais les valeurs pour lesquelles le pays se battait ont diffusé un idéal de liberté et de fraternité que l’on retrouve dans ces deux partitions. Et le Roi des Belges Albert 1er était présent lors de leur première audition en 1920 au Theatro Municipal de Rio. 

Pour cet enregistrement, vous dirigez l’Orchestre Symphonique de São Paulo. La présence d’un orchestre brésilien est-elle indispensable pour rendre les facettes de cette musique ? 

Je pense que c’est foncièrement indispensable ! Pour préparer ces enregistrements, j’ai écouté toutes les versions disponibles sur le marché. J’en suis arrivé à la conclusion qu’un orchestre brésilien est essentiel pour rendre les aspects issus de la musique populaire. Nous connaissons cette musique, on l’entend chanter dans les rues des villes, en particulier le choro si cher au compositeur. Dans les Symphonies n°2 et n°7 qui y font référence, il faut avoir l’instinct pour phraser les mélodies. L’interprète ne peut pas se limiter aux notes, il faut trouver ce qui est caché dans cette écriture foisonnante. 

La musique de Villa-Lobos, et en particulier ses symphonies, est connue des mélomanes amoureux du XXe siècle, mais ces œuvres restent encore à la marge du répertoire. Est-ce que vous pensez que votre enregistrement va permettre de les diffuser et d'influencer les artistes et les programmateurs ? 

Ces enregistrements ont été un travail de longue haleine. Le projet est né d’une visite que m’avait rendue Arthur Nestrovski, le directeur artistique de l’orchestre. Il m’avait proposé de mener sur 7 ans un travail éditorial de révision et d’optimisation des matériels d’orchestre. Avant l’ouverture des saisons, nous travaillons pendant un mois à réviser les partitions selon les critères éditoriaux les plus élevés. Tout ce travail a été mené à partir des sources, sous la houlette du Centre de Documentation et d'Édition de l’OSEP et de son directeur Antonio Carlo Neves Pinto. Car les partitions ne présentaient pas le degré de qualité attendu et on y trouvait de nombreuses scories. Avec l’autorisation de Max Eschig, l’éditeur de Villa-Lobos, le Centre a pu constituer une remarquable banque des matériels d’orchestre des symphonies. Ce travail a servi de base à nos enregistrements et nous avons pu proposer au disque l’une des plus belles facettes du compositeur. Alors pour vous répondre, j’espère vivement que ce coffret Naxos va profiter au monde entier et faire connaître ces merveilleuses partitions. 

 Dans le même temps, vous faites paraître, au pupitre de l’orchestre pauliste, un autre album qui est consacré à des partitions de Camargo Guarnieri. Que pouvez-vous nous dire de ce compositeur ? 

Villa-Lobos et Guarnieri étaient contemporains, mais le travail de Guarnieri est plus conceptuel. Il est dans la démarche d’un Bartók ou de l’école balkanique. La construction de ses œuvres est fondée sur une vision plus analytique et plus marquée sur les éléments constructifs. Le folklore, comme les choros présentés sur ce disque, est une toile de fond au service de la forme. 

J’ai lu dans le booklet de ce disque qu’il s’agit du premier volet d’une intégrale de ses Choros ? 

En effet, mais je ne peux malheureusement pas diriger l’enregistrement du deuxième volume car je suis actuellement en quarantaine. Et, comme je fais partie des publics fragiles, je suis contraint d’attendre l’arrivée du vaccin que j’espère très prochaine. 

  • A écouter :

H.Villa-Lobos : intégrale des symphonies, Uirapuru,  Mandu-çarará. Orchestre symphoniques de São Paulo (OSEP), I.Karabtchevsky. 1 coffret de 6 CD Naxos 8.506039. 

 

 

C.Guarnieri : Seresta pour piano et orchestre, Choro pour basson et orchestre de chambre, Choro pour flûte et orchestre de chambre, Choro pour violon et orchestre. O.Kopylova, piano ; A.Silvério, basson ; Claudia Nascimento, flûte, Davi Graton, violon. Orchestre symphoniques de São Paulo (OSEP), I.Karabtchevsky. Naxos. 8.574197

Le site d'Isaac Karabtchevsky : www.karabtchevsky.com.br

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : DR/  Isaac Karabtchevsky.com

 

 

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