Jean-Frédéric Neuburger, pianiste et compositeur

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Le pianiste et compositeur Jean-Frédéric Neuburger fait l'événement avec la parution d’un nouvel enregistrement Des Canyons aux étoiles de Messiaen où il assure la redoutable partie de piano. Il donnera cette partition en concert aux festivals Berlioz et Ravel en compagnie des artisans de ce disque, l'Orchestre de chambre nouvelle Aquitaine sous la direction de Jean-François Heisser. Crescendo Magazine s’entretient avec ce musicien exceptionnel, l’un des plus importants pianistes de notre époque. 

Cette année 2022 marque les 30 ans de la disparition d’Olivier Messiaen. Avec désormais un certain recul du temps, qu’est-ce que l’on peut retenir, selon vous, de ce grand compositeur ? De sa place dans l’histoire de la musique du XXe siècle ?

Ce compositeur a marqué l’histoire de la musique de façon indéniable. Je retiens son sens de la grandeur -il n’a pas « peur d’en faire trop » »…-, son ouverture d’esprit -les chants d’oiseaux, les rythmes hindous et grecs, beaucoup de nouveaux matériaux ont été utilisés par Messiaen-, sa spontanéité mélodique… Sans oublier sa place marquante en tant que pédagogue !

Vous êtes également compositeur. Est-ce que Messiaen est une inspiration ou une influence pour vous ?

Oui, déjà à travers les aspects que je viens de dire. Mais il faut aussi savoir s’en éloigner : chose faite maintenant ! Là où son inspiration demeure, c’est précisément sur le sens de la grandeur, de ces émotions vives qu’il désirait vraisemblablement faire partager au public...

Que représente pour vous cette œuvre si particulière que sont ces Canyons aux étoiles ? Est-ce que l’interpréter est un défi particulier du fait de sa durée et des exigences techniques de la partie de piano ?

Cette pièce est un véritable OVNI ! Sa durée est un élément marquant (près d’une heure quarante minutes), mais elle fait vraiment « partie » de sa musique. Ramasser cette pièce en quarante-cinq minutes n’aurait aucun sens (tout comme l’opéra Saint-François d’Assise ou Parsifal de Wagner…). Ce n’est pas un défi particulier techniquement, c’est un voyage… au sens baudelairien du terme, celui que j’aime !

Vous aviez déjà interprété cette œuvre, en 2009, avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège sous la direction de Pascal Rophé. Est-ce que votre vision de la partition a évolué au fil du temps ?

J’ai adoré jouer cette pièce avec l’Orchestre Philharmonique de Liège et Pascal, j’étais très jeune (j’avais vingt-deux ans), et à l’époque j’acceptais absolument tout ce que l’on me proposait. Lorsque j’ai accepté, je ne connaissais pas la pièce, ni sa durée ! Et c’était ma première interprétation d’une partition de Messiaen avec orchestre. Inutile de vous dire donc que ma vision Des Canyons aux étoiles a bien changé ! J’ai depuis joué d’autres pièces de Messiaen, mais aussi lu le fameux Traité de rythme et d’ornithologie, tout cela m’a permis de me rapprocher de son monde… et du coup, de prendre du recul dans mon interprétation.

Est-ce que vous envisagez de vous attaquer aux autres grands cycles pour piano de Messiaen ?

Pas nécessairement car j’ai d’autres projets en vue -notamment un cycle Bach, un compositeur qui me tient très à cœur, et un projet de musique française (je n’en dis pas plus…). De plus, mon ami Bertrand Chamayou vient d’enregistrer les Vingt Regards sur l’enfant Jésus !

L’un de vos précédents albums était consacré à Stockhausen avec Mantra (également publié chez Mirare). Est-ce qu’il y a, malgré des esthétiques si différentes, des points communs entre ces deux géants ?

Bien sûr, ne serait-ce que parce que Stockhausen a été l’élève de Messiaen. Il est d’ailleurs à mon avis l'un de ceux chez qui son influence est restée la plus prégnante : je pense aux dimensions des oeuvres (je pense à certains passages de Momente, et bien sûr à Licht), au côté mystique assumé chez l’un comme chez l’autre, et à la prédilection pour les sonorités résonantes (cloches, crotales, tam-tams, gongs, etc.). Je pense à la réflexion que c’est peut-être pour cela que Messiaen n’a pas écrit de quatuor à cordes (je me suis souvent posé cette question, qui reste un vide quelque part pour les quatuors d’aujourd’hui…) : il n’y a pas d’instrument résonant. Avec le Quatuor pour la fin du temps, ce problème était réglé par la présence du piano, où l’on trouve quantité de passages qui évoquent les gongs, glockenspiel, etc.

Votre répertoire est très vaste et témoigne d’une grande amplitude, que ce soit dans le répertoire “classique” ou dans les œuvres proches de notre époque (Baraqué, Messiaen, Stockhausen…). D'où vous vient cette grande curiosité ?

En fait, c’est normal : il me semble vraiment invraisemblable de se cantonner à peu de répertoire alors que le piano en a un si vaste. Nous avons cette chance, il faut donc en profiter. Le piano est un instrument qui peut être utilisé de différentes manières : parfois il est poète (Debussy, Schumann), architecte (Beethoven, Manoury, Stockhausen, Messiaen), romancier (Liszt, Dusapin, Schmitt, Brahms), artisan (Ravel, Mozart, Sciarrino, Pesson)... Il me semble important d’essayer de comprendre le pourquoi d’une oeuvre, d’une démarche. Sans ça on ne peut pas l’aimer -en tout cas pas de façon aussi intime- donc l’interpréter…C’est notamment ça qui me pousse à aborder des répertoires si différents, et à garder un vif intérêt pour tout ce qui peut enrichir la compréhension de mon art.

  • Jean-Frédéric Neuburger au concert. 

Jean-Frédéric Neuburger interprètera Des Canyons au étoiles avec l’Orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine sous la direction de Jean-François Heisser au Festival Berlioz à la Côte-Saint-André le 23 août et au Festival Ravel à Bayonne le 3 septembre. On pourra également retrouver Jean-Frédéric Neuburger au festival Ravel pour des Masterclasses dans le cadre de l’Académie et pour une interprétation de Mantra de Stockhausen, le 10 septembre à l’espace Polyvalent de Ciboure.  

  • A écouter au disque : 

Olivier Messiaen (1908-1992) : Des Canyons aux étoiles. Jean-Frédéric Neuburger, piano ;  Takénori Némoto, cor ; Adélaïde Ferrière, Xylorimba ; Florent Jodelet, Glockenspiel ; Orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine, Jean-François Heisser. Mirare MIR 622.  (Parution 26/08). 

 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Carole Bellaiche

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