John Dowland par Mariana Flores et Hopkinson Smith

par

John DOWLAND (1563-1626) : ‘Whose heavenly touch’, 17 airs pour voix et luth. Mariana Flores, soprano et Hopkinson Smith. 2019. Livret en français et en anglais. Textes en anglais, traduits en français. 56.44. Naïve E 8941.

Il y a des disques qui, longtemps après que leur écoute soit terminée, laissent au fond de l’âme comme une fêlure qui ressemble à celle que l’enchantement ou la magie peuvent provoquer quand on se laisse porter par la poésie. Une fêlure qui est aussi celle de l’émerveillement. C’est le cas pour ce CD Dowland émouvant auquel on ne peut attribuer que le qualificatif de superbe. Son titre même ‘Whose heavenly touch’ est déjà une saveur. Il provient d’un poème de Richard Barnfield (1574-1620), un contemporain de Dowland, un texte au coeur duquel ces trois mots sont ciselés. Le livret nous donne la traduction (en gras ci-après) :

Si Musique et douce Poésie s’accordent

Comme elles le doivent, en sœurs qu’elles sont,

Alors un grand amour doit nous unir vous et moi.

Puisque vous aimez l’une et moi l’autre,

Vous chérissez Dowland, dont le divin toucher

Sur le luth sait ravir les sens. (…)

Heavenly, céleste… Pourrait-on mieux définir un univers sonore aussi profond, aussi racé, aussi délicat et aussi mélodieux ? Mariana Flores et Hopkinson Smith en donnent une vision d’une absolue beauté, qui a mis quatre ans (quatre ans !) à nous parvenir, puisqu’il a été enregistré en octobre 2015 dans l’Auditorium de la MC2 de Grenoble dont l’acoustique donne la sensation d’être en communion avec les musiciens tant l’équilibre du son, qui n’est ni sec ni capiteux, paraît idéal. Savourons donc sans réserve ce bijou.

Les Ayres de Dowland peuvent être considérés comme la quintessence de l’art vocal de la période élisabéthaine. Ils sont l’expression subtile du caractère mélancolique qui domine une grande partie des « Livres » du compositeur qui datent des confins des XVIe et XVIIe siècles. Les larmes et les soupirs des dames, les maux de l’amour, la trahison, l’absence, le sommeil, image de la mort, le chagrin sont présents au fil des pages, mais il règne aussi de temps à autre une ambiance qui peut se révéler plus légère et qui laisse la porte ouverte à la solitude accueillante des bois charmants, aux colifichets de demoiselles avec « tout l’attirail qui sied à une foire » ou à l’amour qui revient et redonne de la joie. Le programme alterne ainsi avec intelligence entre nostalgie, langueur et accablement ou ironie élégante et douce délicatesse, lui assurant un intérêt constant, avec un élan continu aussi bien dans l’équilibre du langage poétique que dans l’inspiration mélodique. 

Pour évoquer cela, un long travail a été accompli. L’épouse du chef d’orchestre Leonardo Garcia Alarcon, la soprano argentine Mariana Flores, interprète accomplie du répertoire baroque, et Hopkinson Smith, maintes fois acclamé par la critique, forment un duo séduisant et complice. La notice du livret propose un entretien avec les deux partenaires qui travaillent et jouent ensemble fréquemment. Smith souligne leur approche intime et profonde de la musique pour luth et voix. Mariana Flores précise : Nous ne voulions pas présenter un récital de chanteuse accompagnée d’un luthiste. Nous voulions dégager de nouvelles émotions dans la communion parfaite du luth et du chant. Nous montrons ici tout un kaléidoscope d’émotions complexes et différentes perspectives -différentes couleurs, différentes sonorité- et surtout une palette de nuances très détaillée dans le registre piano. Nous avons créé une atmosphère très intimiste.La soprano a trouvé le terme qui convient à ce précieux récital : c’est bien un kaléidoscope que l’auditeur découvre, avec une sélection d’airs des plus heureuses. On y retrouve des splendeurs comme Flow, my tears, O sweet woods ou Fine knacks for ladies, mais tout l’ensemble est délectable. Pour peaufiner le discours raffiné, Mariana Flores a accompli un travail sur la langue anglaise avec un coach ; elle a approfondi la prononciation afin que les couleurs des mots soient mises en valeur et respectées. On reconnaîtra que l’exercice est réussi et qu’elle a su trouver l’ajustement idéal dans l’expressivité. Avec Hopkinson Smith, elle a aussi établi une dynamique qui met la voix et le luth à égalité. Smith a raison de dire que « le luth embrasse non seulement la voix mais aussi les consonnes, les voyelles et les appuis du texte, qui sont si importants chez Dowland. La voix et le luth sont parfaitement fusionnels ». On lira avec intérêt dans cet excellent livret les explications fournies par Smith quand il évoque le rôle de l’instrument et les libertés prises parfois dans certaines transpositions et on appréciera, au-delà, l’hommage explicite à Dowland qui « ploie et tord les mains de l’interprète pour extraire l’insoutenable essence du texte ». 

Ce CD est un miracle de virtuosité vocale et instrumentale, un ravissement qui apporte un vrai bonheur d’écoute. Aucun mélomane ne voudra s’en priver.

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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