Karlowicz et ses poèmes symphoniques

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Myeczyslaw KARLOWICZ (1876-1909) : Poèmes symphoniques : Stanislas et Anna Oswiecim, op. 12 ; Une triste légende (« Préludes à l’éternité »), op. 13 ; Un épisode pendant une mascarade, op. 14 ; Frédéric CHOPIN (1810-1849) : Allegro de concert op. 46, instrumentation par Konrad Binienda. Konrad Binienda, piano ; Royal Philharmonic Orchestra, direction : Grzegorz Nowak. 2019. Livret en polonais et en anglais. 66.45. Dux 1621.

Le label polonais Dux poursuit l’exploration de l’œuvre de Mieczyslaw Karlowicz, né à Wiszniewo en 1876, et mort dans les montagnes des Tatras, à l’âge de 33 ans, victime d’une avalanche. Ce passionné d’alpinisme, qui avait passé son enfance à Dresde où sa famille s’était installée, se perfectionna à Varsovie. Plus tard, il suivit des cours de direction d’orchestre avec Arthur Nikisch et publia des lettres inédites de Chopin. Son œuvre pour piano, qui a fait l’objet du CD Dux 1579, date de la période 1893 à 1898. Il se consacra ensuite à la musique orchestrale : un concerto pour violon, une symphonie et six poèmes symphoniques, dont trois sont proposés dans le présent enregistrement. Ils datent des années 1907-1909. 

L’opus 12, Stanislas et Anna d’Oswiecim, raconte une troublante histoire d’amour incestueux entre un noble polonais du XVIIe siècle, Stanislas Oswiecim, et sa sœur, retrouvée à l’âge adulte après une séparation au cours de l’enfance. Ils succombent à leur passion. Stanislas tente d’obtenir le pardon du pape en espérant pouvoir obtenir l’accord d’un mariage, ce qu’il finit par obtenir. Mais à son retour, sa sœur est morte et Stanislas ne lui survit pas. Une chapelle accueille leurs dépouilles, les unissant ainsi dans l’au-delà. Ce sujet tragique, inspiré par un tableau du peintre Stanislas Bergman, contient une forte charge émotionnelle et une tension permanente que Karlowicz a traduites dans une orchestration impressionnante et luxuriante : bois par quatre, six cors, trois trompettes, trois trombones, tuba, deux harpes, trois timbales, grosse caisse, cymbales, triangle, tam-tam et cordes. Dans un esprit postromantique, les thèmes de Stanislas et d’Anna se superposent peu à peu jusqu’à s’élever dans une narration extatique à tendance expressionniste. Le compositeur exprime avec une grande force suggestive le poids du destin qui pèse sur ces deux figures pathétiques, comme s’il avait la prémonition de l’accident qui allait mettre fin à sa propre existence à bref délai. 

Dans Une triste légende, c’est un sujet littéraire qui inspire le compositeur : un homme face à une tentative de suicide. La partition se déploie ici avec lenteur, dans une matière sonore où la morbidité domine, lourdement, à travers des épisodes chromatiques accompagnés de dissonances, qui ressemblent à des cris de douleur. On ressent l’état de dépression qui semble être un trait de la personnalité du compositeur. La troisième partition à l’affiche, Un épisode pendant une mascarade, est demeuré à l’état d’ébauche suite au décès de Karlowicz. Elle a été complétée et orchestrée en 1913 par Grzegorz Fitelberg (1879-1953) ; ce dernier s’est penché sur le manuscrit qui incluait des bribes d’un poème inachevé où il est question de non-retour. Cette page à l’introduction fortement rythmée qui fait penser à un bal masqué est écrite dans un schéma de forme sonate, avec des oppositions de thèmes, mais on sent que la magie sonore de Karlowicz n’y est pas vraiment présente et que, par rapport aux deux précédentes, cette partition n’est sans doute qu’un calque de ce que son créateur trop tôt disparu aurait pu en faire. Dans ces poèmes symphoniques qui apparaissent souvent comme le reflet d’un conflit intérieur du compositeur, le Royal Philharmonic Orchestra, dirigé par Grzegorz Nowak, restitue avec justesse le climat passionnel qui les envahit. 

Le CD est complété par l’instrumentation de l’Allegro de concert op. 46 de Chopin, compositeur dont la place trouve une justification dans un programme Karlowicz, qui, rappelons-le, a édité des lettres de son grand prédécesseur. Des commentateurs ont vu dans cette page de 1841 le potentiel Allegro d’un troisième concerto de Chopin, ce qui est une hypothèse plausible en raison de son souffle lyrique et de son panache vigoureux. Le pianiste Konrad Binienda, qui en est aussi l’interprète, en propose une instrumentation claire et énergique, et il adopte en même temps une souplesse et une virtuosité dans les traits pianistiques qui font la part belle et prioritaire au clavier. Une agréable proposition, rendue ici dans un esprit respectueux d’un immense génie qu’elle sert avec conviction.

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

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