Le Trio Accanto à la Philharmonie de Luxembourg

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Voilà une configuration bien plus courante dans un répertoire jazz que contemporain : le Suisse Marcus Weiss trimbale son saxophone d’un monde, d’une époque et d’une cause à l’autre, militant sans discontinuer pour promouvoir ce (jeune) instrument au sein du catalogue classique ; l’Anglais Nicolas Hodges travaille le piano, du romantisme au contemporain, collaborant, en Amérique comme en Europe, avec grands orchestres ou ensembles de chambre ; l’Allemand Christian Dierstein met son art des percussions au service de musiques, nouvelles autant que non européennes, sur partition ou librement improvisées. Rien d’étonnant donc à ce que les œuvres au programme soient écrites sur mesure pour le Trio Accanto, dont les deux premières, commandes de la Philharmonie Luxembourg (conjointement avec la Ernst von Siemens Musikstiftung), donnent lieu à un « Artist talk » avec Misato Mochizuki (°1969) et Evan Johnson (°1980) mené, en anglais, par Lydia Rilling, la Chief Dramaturg du lieu.

Cette dernière suggère au public de rester éparpillé dans la salle, afin de mieux percevoir les dynamiques, ténues, efflanquées parfois, de son Plan and section of the same reservoir où le déroulé musical oscille plus souvent entre quasi audible et silence -même les interventions du percussionniste (limitées à la deuxième partie de la pièce) se révèlent difficilement perceptibles.

Dans les notes de programme, Philippe Lalitte (Sorbonne Université) développe le thème de la texture, « manière dont les parties individuelles ou les voix sont assemblées », notion approfondie depuis le XXe siècle par l’intérêt porté, notamment, aux interactions ou interférences entre ces parties et qui élargit encore son champ exploratoire en y intégrant « la matière sonore et les effets perceptifs ». La texture devient ainsi une toile, un tissage, un grain.

Il décrit celles de Johnson comme « extrêmes en termes de densité, de retenue et de parcimonie » et pointe du doigt le « jeu […] entre figure et fond » de Mochizuki, qui s’attache à combiner des sonorités aux morphologies si distinctes. La compositrice japonaise se nourrit des cultures asiatique et occidentale, des sciences du vivant ou, pour Satellites, de la cosmologie : chaque instrument vit sa vie de son côté, trouvant « l’équilibre par attractions et répulsion successives », telles des planètes et des lunes.

On connaît Christian Wolff (°1934) pour sa filiation avec la légendaire école de New York (avec Morton Feldman, John Cage ou Earle Brown), responsable d’apports innovants qui explorent d’autres directions que celles privilégiées par les compositeurs européens –comme l’indétermination. Sa série Exercises favorise la créativité des musiciens, par exemple en ce qui concerne le choix des instruments ou leur nombre. Ainsi, la partition des numéros 37 & 38, dont le Trio s’est emparé, indique « deux joueurs ou plus, tous les instruments imaginables » : les interprètes sont libres de se répartir la musique entre eux, la texture finale résultant de leur interaction.

Dès les premières notes de Blumenwiese 1-3, Hodges épate par la fluidité de son geste (ils sont si fourmillants que mieux vaut les concevoir au singulier, comme une entité en soi). La tension et l’exigence ont monté au fur et à mesure de la soirée et Georg Friedrich Haas (°1953) oppose, dans cette pièce offerte au Trio Accanto, tempérament égal et microtonalité -il l’a beaucoup travaillée, mais pas que, surfant sur des contrastes saisissants entre « textures lisse et rugueuse ». Le moment est épatant, mêlant en vagues instables marimba, piano et saxophone, avant qu’interviennent les percussions métalliques, que s’emballe le saxophone, que le silence trace de petits espaces entre des événements plus hétéroclites.

Luxembourg, Salle de Musique de Chambre de la Philharmonie Luxembourg, le 11 février 2020

Bernard Vincken

Philharmonie Luxembourg - Trio Accanto - photo: Doradzillo

 

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