La musique symphonique flamboyante de Steve Elcock
Steve ELCOCK (1957) : Musique orchestrale, volume 2 : Incubus, op. 28 ; Haven, Fantaisie sur un thème de J.S. Bach, op. 4 ; Symphonie n° 5 op. 21. Orchestre Symphonique de Sibérie, direction Dmitry Vasiliev. 2020. Livret en anglais. 77.20. Toccata TOCC 0445.
Le label Toccata est toujours à l’affût d’oeuvres peu courantes ou peu fréquentées, qu’il s’agisse de partitions de notre temps ou plus anciennes. Son catalogue est riche en trouvailles et (re)découvertes. En 2013, cette maison londonienne a proposé un premier volume de la musique orchestrale de Steve Elcock, à savoir sa Symphonie n° 3, une Ouverture festive et Choses renversées par le temps ou la destruction, partition dans laquelle intervient un clavecin. L’enregistrement en a été confié à l’Orchestre Philharmonique de Liverpool dirigé par Paul Mann. Toccata a également inscrit à son catalogue un premier volume dédié à la musique de chambre de Steve Elcock. Ce compositeur autodidacte, né à Chesterfield dans le Derbyshire en 1957, s’est installé en France en 1981, où il vit depuis lors. Pendant longtemps, ce créateur anglo-français, dont la production compte une trentaine d’opus, a pensé que sa musique ne pouvait intéresser personne. Jusqu’à sa rencontre avec le producteur de Toccata, Martin Anderson, auquel il envoya des fichiers audio et des enregistrements effectués par ses soins, sur le conseil de son ami compositeur Robin Walker, né en 1953, dont Toccata a publié des pièces orchestrales. Le présent CD est le troisième consacré à la musique de Steve Elcock dont l’originalité et la capacité imaginative méritent une vraie mise en valeur. Une copieuse notice de Francis Pott, professeur de composition à Londres, accompagne ce disque.
On y découvre qu’Elcock éprouve de l’enthousiasme pour l’héritage symphonique du Suédois Allan Pettersson, qu’il affiche sa parenté avec l’œuvre du Danois Vagn Holmboe et de ses élèves Ib Norholm et Per Norgard. On peut y ajouter, sur le plan de l’énergie rythmique qui est l’une de ses caractéristiques, le nom de Peter Mennin, et celui de Viktor Kalabis pour l’impact dramatique. Cette énumération place Steve Elcock dans la ligne d’un langage musical personnalisé qui, comme le démontrent les intitulés de plusieurs de ses partitions, se nourrit « de l’expérience humaine et du comportement, de l’inhumanité de l’homme pour l’homme, et d’une anarchie qui est essentiellement terrestre », comme le précise Francis Pott. Cette musique aurait donc en plus une double fonction, morale et philosophique.
Trois œuvres sont ici présentées. La plus ancienne, Haven, l’opus 4 date de 1995, juste avant sa Symphonie n° 1 ; elle a fait l’objet de révisions mineures entre 2011 et 2017. Il s’agit d’une fantaisie sur la Sarabande de la Partita n° 1 de Bach, dont elle explique, combine et développe différents motifs. Cette vaste pièce lyrique de près de vingt-cinq minutes se déploie à travers une masse orchestrale haute en couleurs avant de reproduire dans sa phase finale l’apaisement poignant du solo de violon (joué par Andrey Lopatin avec ferveur) comme Bach l’a écrit, mais dans une sorte de confrontation voilée avec l’orchestre pour se perdre dans le silence. Elcock considère que dans cette page « le choc du neuf avec l’ancien est délibéré » et qu’il lui suggère « une poignée de mains à travers les siècles ». Avant Haven, on trouve une courte pièce dramatique, Incubus opus 28 (2017), adaptation orchestrale de la section finale de son quatuor à cordes Night after Night, inspiré par un quatrain des Songs of Travel de Robert Louis Stevenson qui débute par ces mots : Nuit après nuit dans mon chagrin/Les étoiles se tenaient au-dessus de la mer ». L’atmosphère fantastique évoque un cauchemar qui se terminerait brusquement. Quant à la Symphonie n° 5 de 2014, il s’agit d’une vaste aventure tourmentée, souvent violente et aux aspérités rythmiques, qui peuvent devenir obsessionnelles comme dans l’impressionnant second mouvement Ostinato (Allegro). La partition s’ouvre par un violent appel de trompette et des éructations orchestrales qui se prolongent dans une phase aux accents tristes. Bientôt, au fil d’un discours contrasté, les ombres et les lumières alterneront, à l’aide des bois, de la harpe, du violoncelle ou du cor anglais, mais aussi d’une percussion très présente. Rythmes, scansions, pulsations traduisent l’âme d’un compositeur qui n’hésite pas à tenter le grandiose, notamment lorsqu’il évoque de façon furtive mais évidente ce qui pourrait être une autre « poignée de mains » à travers les siècles, sa propre Cinquième symphonie se souvenant de celle de Beethoven. C’est l’Orchestre Symphonique de Sibérie, fondé en 1966, qui officie cette fois. Avec à sa tête Dmitry Vasiliev, qui a dirigé des premières mondiales d’œuvres de Gubaidulina, Karamanov, Weinberg, Stanford, Tubin et quelques autres. Ici aussi, il s’agit bien sûr de premières discographiques, défendues avec fougue et conviction. Toccata a eu raison de mettre ce créateur en évidence.
Pour mieux connaître Steve Elcock, il suffit de se rendre sur le site qui porte son nom (http://steveelcock.fr). Le compositeur y donne quelques détails sur lui-même, puis propose une présentation de ses travaux, avec des commentaires circonstanciés et des exemples musicaux. Il est ainsi possible d’avoir une vision globale de son univers artistique ; chaque page consacrée à une partition est rehaussée par une image, une photographie ou une peinture. Pour Incubus, on peut voir un tableau de 1797 de Johann Heinrich Füssli, peintre britannique d’origine suisse, attiré par les sujets fantastiques. L’impression de cauchemar est très forte sur cette toile. Pour Haven, on découvre la photographie d’une étendue maritime et des rochers. La Symphonie n°5 est annoncée par un volcan en fusion. Tout y est d’un rouge incandescent et représente bien la lave torrentielle qui coule à travers la partition.
Son : 9 Répertoire : 9 Livret : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix