La réouverture de l'Académie Franz Liszt crée l'événement à Budapest

par

La date de l'événement n'avait pas été choisie au hasard : le 22 octobre, jour anniversaire de la naissance de Franz Liszt et veille de la commémoration du soulèvement de Budapest en 1956, jour de Fête Nationale en Hongrie.LisztBisC'est avec Franz Liszt, en 1875, que débute la belle histoire de l'Académie qui porte aujourd'hui son nom: membre fondateur de l'"Académie Royale Nationale Hongroise de Musique", il en est le premier président. Située rue Vörösmarty, il y enseigne jusqu'à sa mort en 1886 et vit au premier étage du bâtiment -devenu aujourd'hui le Musée Franz Liszt- lorsqu'il n'est pas à Rome ou Weimar. Les locaux de la Vörösmarty Utça deviennent rapidement trop étroits pour accueillir les futurs musiciens hongrois, et, en 1907, l'Académie rejoint les majestueux locaux de la Place Ferenc Liszt. L'histoire étant ce qu'elle est, les vocables "Royal" et "Académie" sont exclus du vocabulaire en 1918, et l'institution devient le "Collège National Hongrois de Musique" avant de prendre, à l'occasion du 50e anniversaire de sa fondation (1925), le nom de "Académie Franz Liszt" qui, depuis ce 22 octobre regroupe l'"Université de Musique" (c'est l'Académie qui dispense la formation et le diplôme de musicologie depuis Zoltan Kodaly) et "Concert Centrum", une des raisons de la rénovation de la salle de concert et de l'ensemble du bâtiment pour un coût de 14 millions d'euros financés pour 90% par l'Union Européenne.


FenêtreBisLe bâtiment est l'oeuvre des architectes Floris Korb et Kalman Giergi, très actifs à Budapest au tournant du siècle. Son imposante façade surmontée de l'impressionnante statue de bronze de son fondateur ouvre sur un florilège de détails et de motifs floraux « Art Nouveau » et son courant Secession, ses décors géométriques, ses ors et ses couleurs. La rénovation témoigne d'un soin extrême. Sa devise :"la patine et le progrès". Aussi la haute technologie qui préside aux aménagements qui font des salles de concert les lieux de tous les possibles se dérobe-t-elle sous les feux des ors et des décors inspirés par Dionysos et Apolon. La salle de musique de chambre a retrouvé sa structure originale avec sa fosse d'orchestre qui peut ainsi accueillir des opéras de chambre. Des moyens exceptionnels ont été réunis pour réaliser l'ambition de l'Académie : rejoindre les plus grandes salles européennes. Il faut dire que l'acoustique y est remarquable, la beauté des lieux exceptionnelle, et son écrin convivial. Le programme annoncé ne contredira pas cette ambition, mêlant musique classique, jazz et musique folklorique en compagnie de nombreux artistes et compositeurs hongrois, dans ce pays qui porte en son creuset tant de talents. L'Académie Franz Liszt est un lieu de légende et sa rénovation nous dit qu'elle tient à le rester. Outre Bela Bartok et Zoltan Kodaly cités par tout Hongrois, on ajoutera sans peine des noms : Geza Anda, Georges Cziffra, Ernö Dohnanyi, Antal Dorati, Janos Frencsik, Annie Fischer, György Kurtag, Andras Ligeti, Eugène Ormandy, Sylvia Sass, Joseph Szigeti, Tibor Varga, Tamas Vasary, Sandor Vegh, Leo Weiner, Georg Solti... j'en passe... quantités.

Statue1Revenons toutefois à Sir Georg Solti dont on inaugurait le même jour la statue sur la place, au pied de l'Académie, en présence de Lady Solti et du premier ministre, le très controversé Viktor Orban. Sans doute était-ce dû à sa présence : une cohorte de policiers cernait les alentours du lieu de célébration, clôturé de toiles sur les quatre côtés, et seul un public trié sur le volet passait l'imposant service de sécurité. C'est ici que, pour nous, la fête se ternit. Reprenant des techniques historiques, la culture semble récupérée par le politique. Et ce n'est pas la soirée privée de gala -retransmise en télévision- qui contredira le fait : le discours de Viktor Orban est accueilli avec force applaudissements, ponctués de vivaces « Bravo ». Récupérant ici Sir Georg Solti, seize ans après sa mort, Viktor Orban semble oublier que, ses études terminées auprès de Bartok, Kodaly, Donhanyi et Weiner, les lois antisémites incitèrent le musicien à quitter la Hongrie pour ne plus y revenir. Plus près de nous, deux des plus grands chefs actuels, Adam Fischer et Ivan Fischer affichaient leur inquiétude face à la situation politique dans leur pays, le premier allant jusqu'à quitter son poste de directeur à l'opéra pour cause d' « interventions répétées (ndlr.: du premier ministre) dans les affaires de l'institution musicale ». Pour sa part, Lady Solti, très émue, releva l'importance symbolique du geste hongrois aujourd'hui.


L'inauguration de la statue était suivie du concert de gala offrant des oeuvres de Sandor, Erkel, Brahms (Danse hongroise), des chants populaires, Bartok, Kodaly, Bach, Liszt, Dohnanyi et Beethoven (La fantaisie chorale à défaut de la 9e Symphonie ?) dont on retiendra le remarquable travail de Gabriela Thesz menant un choeur d'enfants dans des pièces de Bartok et de Kodaly ainsi que le pianiste Gabor Farkas, les solistes, l'orchestre symphonique et les choeurs de l'Académie Liszt dirigés par Zoltan Kocsis. Quelques Duos de Bartok furent assez pâles sous les doigts de Katalin Kokas et Barnabas Kelemen, -devenu la star du pays. Mais pourquoi donc ne mentionne-t-il pas son 3e magnifique prix au Concours Reine Elisabeth 2001? Est-ce pour mieux mettre en valeur son 1er Prix à Indianapolis et d'autres prix nationaux? Gergely Devich, un tout jeune violoncelliste présenté comme une gloire de demain possède un très beau son magnifié par la superbe acoustique de la salle mais il aurait quand même intérêt à revoir son Bach; quant au pianiste Gergely Boganyi aux prises avec les Réminiscences de Don Giovanni de Franz Liszt, il en fit un champs de bataille dont on revenait étourdi.  "Un concert de gala" diront certains.
GalaBis

Bernadette Beyne
Budapest, le 22 octobre 2013

Photos : Bernadette Beyne

Les commentaires sont clos.