La Voix Humaine – théâtre ou musique ?
Francis Poulenc (1899-1963), La Voix Humaine. Caroline Casadesus, soprano ; Jean-Christophe Rigaud, piano ; Juliette Mailhé, mise en scène, François Manceaux, réalisation. 1 DVD Paquita Romson Production.
De tout le répertoire pour soprano, La Voix Humaine est sans doute l’une des œuvres qui met le plus à nu la voix de son interprète. Composé il y a 60 ans par Francis Poulenc sur un texte de Jean Cocteau, ce monologue musical de trois quarts d’heure requiert autant de talents d’actrice que de musicienne, et surtout beaucoup de courage. Pas une once de pudeur pour Caroline Casadesus qui trouve pleinement sa place dans ce monument de l’histoire de la musique.
Sur ce DVD, ce n’est pas la version avec orchestre que vous trouverez mais bien avec piano (Jean-Christophe Rigaud). Ce choix peut sembler étrange au premier abord, la version pour piano ayant été longtemps considérée comme une simple réduction pour les répétitions. Mais Caroline Casadesus défend ce choix dans le livret : « Poulenc et Denise Duval [la créatrice du rôle] ont eux-mêmes donné l’œuvre dans sa version chant-piano. Pourquoi dès lors se priver de le faire aujourd’hui ? » L’ayant déjà interprété avec un orchestre, elle explique que l’orchestration « un peu lourde » la couvre parfois. Ici, elle se permet de se rapprocher encore plus du théâtre parlé, de quasiment chuchoter par moments…
Sa diction aux airs bourgeois et maniérés peut par moments agacer mais elle pourrait coller au contexte social présumé du personnage (quelques recherches supplémentaires montrent cependant que c’est ainsi qu’elle chante le français en toutes circonstances). Son intonation est assez juste, même dans les aigus quelque peu poussés. Par contre, son timbre risque de ne pas plaire à tous -un timbre que l’on qualifierait de « sur-fabriqué » dans le milieu du chant lyrique. Par la façon dont elle positionne la langue et le palais mou, beaucoup de ses voyelles résonnent soit trop dans le nez, soit sont trop « engorgés », rappelant presque les caricatures dont on s’amuse quand on joue à la Castafiore. Mais ici, n’est-ce pas aussi une force d’oser renoncer au « beau chant » bien propre au profit d’une théâtralité plus puissante et d’un personnage plus défini?
Pour celui qui n’est pas friand des longs monologues en huis clos, la réalisation vidéo de François Manceaux renforce l’intensité du jeu. Gros plans, changements de plans rythmés,… l’approche est vraiment cinématographique ! Quant à la mise en scène de Juliette Mahié, elle laisse délibérément la place au doute. La limite entre réalité et illusion s’estompe au point de ne plus savoir s’il y a quelqu’un à l’autre bout du fil. Moments de folie assurés avec, en bonus, une interprétation de la courte pièce La Dame de Monte-Carlo de Poulenc, tout aussi suicidaire, mais sur un ton bien plus humoristique.
Aline Giaux, Reporter de l’IMEP