L’artiste du XXIe siècle peut-il être hors connexion ?
Les réseaux sociaux ont pris dans le monde de la musique classique une part non négligeable pour soutenir une visibilité et entretenir une notoriété. Mais un cas particulier est intéressant car complètement à rebours des pratiques en vogue : Kirill Petrenko, directeur musical désigné de l’Orchestre Philharmonique de Berlin. En effet, le chef russe est arrivé au pupitre de la philharmonie par des chemins détournés. Loin des Karajan ou Abbado, rois des marchés du disque et stars mondiales de la musique classique ou d’un Simon Rattle parangon des projets communautaires et pédagogiques, Petrenko a fait une carrière prestigieuse à l’ancienne mais sans les attributs de la star de la musique classique. Il a gravi pas à pas les marches du métier en se concentrant sur l’opéra, parvenant jusqu’à la direction de l’Opéra de Bavière à Munich. Son legs discographique officiel (on trouve sur Youtube une belle quantité d’enregistrements de concerts piratés sans vergogne !) se limite à un coffret d’oeuvres de Josef Suk enregistrées lors de son passage au pupitre de l’Orchestre du Komische Oper Berlin pour le valeureux mais modeste label allemand CPO. De plus, il fuit toutes les interviews et il est volontairement absent des réseaux sociaux !
Si les mélomanes émérites suivent ce chef lors de ses apparitions à travers le monde, force est de constater qu’il ne compte pas parmi les rois ou reines de la musique classique, identifiés au-delà des cercles des amateurs comme peuvent l’être Gustavo Dudamel, Daniel Barenboïm, Lang Lang, Hélène Grimaud, Cecilia Bartoli ou Renaud Capuçon... D’un côté, il est des plus plaisants qu’un musicien puisse arriver aux sommets (car la direction musicale de la Philharmonie de Berlin, c’est un peu le fauteuil papal !) à la simple force de son talent musical sans considérer l’appui des grandes agences artistiques londoniennes (Petrenko collabore avec une agence artistique autrichienne réputée pour son sérieux mais qui ne compte pas au rang des majors du milieu). Tout en faisant abstraction du business qu’il peut amener via des contrats de diffusion juteux ou les perspectives de développements sur des marchés émergents d’Asie. Après tout, les affaires dans le monde de la musique classique ont terriblement changé : le marché du disque s’est ensablé dans une crise et le Philharmonique de Berlin est, depuis les années Simon Rattle, son propre diffuseur via son Digital Concert Hall et son propre label, contribuant à faire de la phalange une marque haut de gamme qui vit par elle-même.
Pourtant, des constantes sont toujours présentes : le public aime en savoir plus sur les artistes et écouter des enregistrements (même si désormais c’est de plus en plus aux formats numériques) ou attendre pour une dédicace après un concert. Dès lors, alors que le chef vient de présenter sa première saison au pupitre la phalange allemande, l’équipe de communication s’active : le site de l’orchestre a publié une simili-interview, exception aux refus systématiques de Kirill Petrenko, ce que notre confrère Norman Lebrecht n’a pas manqué de constater. Dans le même temps, le site des Berlinois annonce la parution d’un premier enregistrement #PetrenkoLive avec une Symphonie Pathétique de Tchaïkovski dont la promotion se fait sur les réseaux sociaux... honnis par le maestro ; tandis que le Digital Concert Hall propose de découvrir gratuitement certains concerts du chef et de l’orchestre.
Dès lors, ménager la chèvre et le choux semble la constante. Si le talent phénoménal de Petrenko est une assurance pour l’orchestre, construire une notoriété mondiale sera un travail de longue haleine où les moyens de communication modernes devront être mobilisés !
Créditsphotographiques : Monika Rittershaus