Le Cuarteto Casals dans un Mozart radical, supérieurement maîtrisé

par

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quatuors à cordes Nᵒˢ̊ 15 (en ré mineur, K. 421), 17 (en si bémol majeur, K. 458, « La Chasse ») et 19 (en la majeur, K. 464). Cuarteto Casals. 2019 et 2021. 83’50. Livret en français, en anglais et en allemand. 1 CD Harmonia mundi HMM 902654.

Le Cuarteto Casals (à ne pas confondre avec le Quatuor Casal -ou plutôt casalQuartett, pour être tout à fait exact, basé à Zurich), dont deux des musiciens sont frères et originaires de Barcelone, a été fondé en 1997. Ses quatre membres fondateurs n’ont pas changé depuis. Ils ont bien entendu choisi ce nom en hommage au grand violoncelliste Pablo Casals (même si leurs approches de la musique de Mozart n’ont que peu de points communs).

Assez vite, en 2005, le Cuarteto Casals avait déjà enregistré un coffret de 3 CD avec l’ensemble des œuvres pour quatuors à cordes que Mozart avait composées jusqu'à l’âge de dix-sept ans. Puis, huit ans plus tard, en 2013, c’était le tour de ceux qui suivaient dans la chronologie des œuvres de Mozart (qui, lui, avait laissé passer neuf années avant de se remettre à écrire pour cette formation), avec trois des six célèbres Quatuors que l’on a coutume d’appeler « dédiés à Haydn », tant cette dédicace est parlante, et nous dit tout ce que le compositeur pas encore trentenaire devait à son aîné, lequel avait quelques années plus tôt publié un cycle extraordinaire de Six Quatuors à cordes (l’Opus 33). Voilà que maintenant le Cuarteto Casals nous propose les trois autres de ces Quatuors dédiés à Haydn.

Le premier CD avait laissé une impression assez mitigée, entre réalisation technique extrêmement aboutie et choix interprétatifs exacerbés. Les équilibres étaient parfois surprenants. Dans certains passages, nous perdions la ligne mélodique au profit de l’harmonie. Dans les phrases jouées à l’octave entre deux instruments, la voix grave était tellement privilégiée que l’aigu en devenait à la limite de l’audible. Les contrastes étaient tellement accusés que nous passions d’une grâce certaine à une certaine lourdeur. C’était un album qui ne pouvait certes pas plaire à tous les mélomanes, mais qui ne manquait pas d’attrait.

Tout naturellement, nous retrouvons les mêmes caractéristiques dans ce second CD, enregistré (en deux fois) six et huit ans après. Mais le propos trop explicite a mûri, le côté démonstratif a gagné en naturel et, sans renoncer à la radicalité, le Cuarteto Casals montre ici qu’il est en passe de réussir la synthèse entre approche « historiquement informée », qu’il a incontestablement approfondie, et jeu sur instruments modernes, dont les musiciens se servent bel et bien, même si, par exemple, les attaques sont particulièrement incisives et le vibrato toujours extrêmement régulé, faisant en cela penser au jeu « à l’ancienne ».

Sous les archets du Cuarteto Casals, l’Allegro moderato du Quatuor en ré mineur commence avec un sentiment d’attente fiévreuse assez saisissant ; puis le mouvement prend son essor, sans que la fièvre ne retombe réellement. L’Andante est plus calme, mais il reste quelque chose de convalescent, assez éloigné de la sérénité que cette page dégage souvent. Le Menuet est dans un élan conquérant, presque guerrier, que ne vient guère adoucir un Trio à la sonorité soyeuse, qui conserve néanmoins une certaine nervosité. Nous trouvons enfin de l’apaisement avec l’Allegretto ma non troppo, même si les contrastes dynamiques, sans être poussés, viennent empêcher notre quiétude d’être tout à fait comblée.

L’insouciance est pour la suite, avec le Quatuor en si bémol majeur, dit « La Chasse », précisément à cause de son Allegro vivace assai et de ses rythmes caractéristiques ; le Cuarteto Casals joue le jeu, sans forcer, et nous ménage de charmants moments d’attente entre deux sonneries rappelant les cors de chasse. Leur Menuetto est à la fois élégant et altier, avec un Trio frémissant et rebondissant ; irrésistible ! Ils ménagent le suspens, sans que la tension ne retombe, pendant les sept minutes de l’Adagio et ses silences. L’Allegro assai, virtuose à souhait, conclut fièrement cette œuvre, parmi les plus populaires de Mozart.

Le Quatuor en la majeur est plus austère. Le Cuarteto Casals a de l’Allegro une lecture équilibrée, toujours juste en-deçà de forcer le trait. Il n’accentue pas le côté rustique du Menuet, et ce serait plutôt le Trio qui, pour une fois, serait plus actif. Leur parti pris, qui pourrait parfois sembler à la limite d’être une fin en soi, de souligner la variété de l’écriture de Mozart, convient tout spécialement aux presque onze minutes de variations de l’Andante, palpitant de bout en bout. Et enfin, ce jeu d’une clarté absolue, d’une lisibilité parfaite, fait également merveille dans l’Allegro non troppo, avec son écriture en imitations.

La suite, et la fin des Quatuors de Mozart, ce sont les trois sublimes chefs-d’œuvre dits Prussiens (K. 575, 589 et 590), qui devaient faire partie, à nouveau, d’une série de six. Malheureusement Mozart est mort sans avoir pu mener ce projet à terme. Si le Cuarteto Casals continue de suivre le rythme de Mozart, il devrait nous les donner d’ici quelques années. C’est à espérer !

Son : 8 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Pierre Carrive

 

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