Le pouvoir émotionnel de Henryk Górecki 

par

Henryk Mykolaj Górecki (1933-2010) : Beatus vir, psaume pour baryton, chœur mixte et orchestre op. 38 ; Concerto-Cantata pour flûte et orchestre op. 65 ; Canticum graduum pour orchestre op. 27. Szymon Mechlinski, baryton ; Chœurs et Orchestre de la Philharmonie de Silésie, direction Miroslaw Jacek Blaszczyk (Beatus vir) et Yaroslav Shemet. 2020. Notice en polonais et en anglais. 70.15. Dux 1737.

Le label polonais Dux, qui a déjà publié plusieurs albums consacrés à l’œuvre de Górecki, en ajoute un nouveau à son catalogue. Le 23 juin 2020, nous avions présenté l’oratorio de vastes dimensions Sanctus Adalbertus (Wojciech en polonais) qui fait référence à un évêque de Prague, mort en martyr peu avant l’an mille et futur patron de la Bohème, de la Pologne et de la Prusse, ainsi que des chants sacrés et profanes, intenses et dépouillés. Cette fois, la proposition est variée et montre trois facettes de l’inspiration de ce créateur dont la Symphonie n° 3 « des chants douloureux » est devenue un best-seller des ventes dans les années 1990, suite à la version parue chez Nonesuch avec la soprano Dawn Upshaw et le London Sinfonietta sous la direction de David Zinman.

Après une période où il est tenté par l’avant-garde et le sérialisme, Górecki se tourne vers le minimalisme, et passe du modernisme à la simplicité mélodique. Profondément croyant, le compositeur est en froid avec les autorités communistes et soutient le mouvement Solidarnosc. En 1977, le futur Jean-Paul II, qui est encore Evêque de Cracovie, lui passe commande d’une partition pour célébrer le 900e anniversaire de la mort de saint Stanislas (Stanislas de Szczepanów), évêque de la cité au bord de la Vistule et martyr. Elu pape le 16 octobre 1978, Jean-Paul II effectue son premier voyage dans son pays natal quelques mois plus tard. A cette occasion, le Beatus vir est créé le 9 juin 1979 à Cracovie, en présence du pontife, par le baryton Jerzy Mechlinski, les Chœurs et l’Orchestre Philharmonique de Cracovie étant dirigés par le compositeur que le pape félicite publiquement. 

Cette page grandiose, d’une durée de trente minutes, est basée sur plusieurs psaumes, dont le n° 112, qui donne son titre à l’œuvre (« Heureux l’homme qui craint l’Éternel »). Elle fait appel, en plus des cordes, à un orchestre opulent au sein duquel des instruments sont distribués par quatre (flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors, trompettes, trombones, tubas), avec un piano à quatre mains, deux harpes et une importante percussion. Après une entrée marquée par des chants et un élan orchestral solennels, le tout scandé de façon lancinante avec ponctuation des cuivres, le baryton entre bientôt en scène pour entamer un long cheminement de plus en plus éloquent et rythmé qui entraîne une avancée dramatique, pleine d’émotion. Dans ce climat que Górecki manie avec un art consommé, l’intensité est sans cesse présente, grâce à l’utilisation de passages de psaumes dont les catholiques polonais sont familiers. La portée religieuse est à la fois incantatoire et dépouillée, sombre et digne, mais aussi à forte composante expansive et parfois jubilatoire, avec des déclenchements choraux et orchestraux, et une conclusion dans la sérénité retrouvée et le recueillement. Le baryton Szymon Mechlinski (°1992), voix chaude et profonde, s’investit totalement dans cette gradation exigeante. Les Chœurs et l’Orchestre de Silésie sont menés avec rigueur et précision par Miroslav Jacek Blaszczyk (° 1959). Ce Beatus vir a déjà été gravé pour Decca par John Nelson en 1993, avec les forces de la Philharmonie tchèque et la basse russe Nikita Storajev, ou pour Naxos par Antoni Wit en 2001, avec les chœurs et l’Orchestre de la Radio polonaise et le baryton Andrzej Dobber. Cette version d’il y a vingt ans paraît un peu plus aboutie, la prise de son du label Dux étant parfois confuse dans les parties chorales.

La suite du programme est confiée à un autre chef d’orchestre, Yaroslav Shemet (°1996), qui est le directeur artistique de la phalange silésienne. Le Concerto-Cantata pour flûte et orchestre date de 1992. Les deux premiers mouvements (Recitativo, confié en grande partie à la flûte seule, puis Arioso avec soutien fluctuant de l’orchestre) inscrivent la partition dans un registre lent et méditatif, au sein duquel l’instrument soliste (flûte alto pour le Recitativo) dessine des esquisses aux traits nostalgiques et mystérieux. Changement de climat avec un Concertino prestement enlevé, parfois déchaîné, avec des aspects sarcastiques, l’œuvre s’achevant dans la douceur par une nouvelle méditation dans un très bref Arioso e corale. Le flûtiste Lukas Duglosz (°1983), interprète soucieux de délicatesse et de fine sobriété, sait aussi se révéler vif et même survolté.

Le Canticum graduum pour orchestre de 1969, intense, tendu comme un arc, complète l’affiche, avec sa recherche de timbres contrastés et son évolution en agrégats émis par les cordes, annonçant la texture de la Symphonie n° 2 de 1972, écrite pour les 500 ans de la naissance de Nicolas Copernic. Le jeune chef Yaroslav Shemet est attentif à cerner les potentialités sonores du Concerto pour flûte et du Canticum graduum. Dans ces deux cas, la prise de son se révèle plus claire et plus aérée que dans le Beatus vir. Un apport intéressant à la discographie de Górecki.

Son : entre 7,5 (Beatus vir) et 8,5  Notice : 7,5  Répertoire : 8,5  Interprétation : 8

Jean Lacroix

 

 



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