Le talent remarquable de Benjamin Britten

par

Peter Grimes © Jean-Pierre Maurin

C’est devenu une habitude, l’Opéra de Lyon présente au printemps un festival qui propose trois opéras liés par une thématique commune ou dédiés à un compositeur. Cette année, Benjamin Britten -dont 2013 marquait le 100e anniversaire de la naissance (22 novembre)- était à l’honneur avec Peter Grimes, The Turn of the Screw et Curlew River. Les trois opéras, respectivement créés en 1945,1954 et 1964 illustrent, comme le souligne Serge Dorny, l’évolution musicale et esthétique de Britten, passant du grand effectif orchestral et choral de Peter Grimes à la richesse subtile des timbres de l’ensemble de treize instruments du The turn of the screw, puis au couleurs encore plus rares et parfois discrètement orientales, qu’il confie aux sept instrumentistes de Curlew River. Et ces trois opéras s’inscrivent dans la dramaturgie thématique qui sous-tend la saison : «Vérités qui dérangent».
Kazushi Ono, le chef permanent de l’Opéra de Lyon, dirigeait Peter Grimes et The Turn of the screw et réussit, avec l’Orchestre de l’Opéra en grande forme (Peter Grimes) et l’effectif réduit (Turn of the Screw) à mettre en valeur la richesse, l’invention harmonique et la force dramatique des partitions de Britten grâce à la beauté des timbres et des couleurs, aux subtiles nuances, à la force rythmique et à l’élan irrésistible. Les contrastes et les transitions des interludes de Peter Grimes étaient remarquables tout comme l’évocation du monde hanté du Turn of the Screw et sa montée d’angoisse.
Les réalisations scéniques sont moins convaincantes. L’image la plus forte de la mise en scène de Peter Grimes par Yoshi Oida -dans un décor de Tom Schenk, des costumes de Richard Hudson et des lumières de Lutz Deppe- est celle qui ouvre le spectacle : un plateau ouvert avec, au centre, la barque de Grimes. Pendant un prologue muet, les trois personnages principaux  (Grimes, Ellen et Balstrode) annoncent déjà le dénouement. Puis l’opéra débute vraiment avec l’audience judiciaire pour laquelle les choeurs ont pris place parmi le public sur les balcons. Le décor des scènes suivantes est fait de containers et d'escaliers rouillés manipulés par des machinistes vêtus en pêcheurs. Ni le procédé ni le cadre ne s’accordent avec les costumes d’époque. Ils n'arrivent pas à établir une atmosphère et gommenbt toute vraisemblance et toute intimité à la scène à l’intérieur du « Sanglier ». Les personnages ont généralement un profil intéressant et s’intégrent sans peine dans une action scénique parfois trop active et les chœurs sont très engagés, homogènes et précis. Alan Okes campe un Peter Grimes au ténor souple et expressif, personnage amer et sensible, violent et perdu. Michaela Kaune confère une féminité noble et pleine de compassion à Ellen qu’elle chante d’une voix lumineuse aux aigus parfois durs. Le Balstrode de Andrew Foster-Williams a de la bonhomie, beaucoup d’humanité et un baryton de belle couleur. Kathleen Wilkinson est une Tantine avec autorité et un grand cœur, Rosalind Plowright une Mrs Sedley pittoresque et insidieuse, Karoly Szemerédy un Swallow sonore, Colin Judson un Bob Boles très présent et Benedict Nelson un Ned Keene vocalement trop faible. Tous les autres rôles sont honorablementbien tenus et l’ensemble est très convaincant.
Pour The Turn of the Screw, cet opéra de chambre intimiste, Valentina Carrasco a cru devoir employer les gros moyens et noie l’action dans des effets scéniques : gigantesque toile d’araignée qui se tisse autour des meubles suspendus, apparitions, images vidéo, plateau en mouvement, etc.. Cela donne quelques belles images comme ce jardin aux lianes de fleurs (décors : Carles Berga, costumes : Nidia Tusal, lumières : Peter Van Praet) ou l’apparition de Miss Jessel émergeant comme une noyée, mais n’aide pas à établir le climat ambigu de l’œuvre ou à vraiment donner une tension dramatique à l’action. Dommage. Les personnages se perdent un peu dans cette abondance visuelle et ne dessinent pas un profil clair. C'est surtout le cas pour la Gouvernante de Heather Newhouse, pleine de bonne volonté et chantée d’un soprano clair et la Mrs. Grose de Katharine Goeldner, vocalement assez pâle. Andrew Tortoise, par contre, est envoûtant dans le double rôle du Narrateur et de Peter Quint qu’il défend d'un ténor souple au timbre lumineux, une interprétation subtile, à la fois séduisante et insidieuse. Giselle Allen donne une forte présence vocale et scénique à Miss Jessel et les enfants Flora et Miles sont bien défendus par Loleh Pottier et Remo Ragonese -de la Maîtrise de L’Opéra de Lyon. Mais pourquoi doivent-ils se ressembler physiquement ?
Pour Curlew River, l’effectif instrumental est placé sur la scène et prend part, avec les chanteurs, à la représentation de ce mystère médiéval dans lequel Britten a transposé une pièce de Nô japonais. Sous la direction d’Alan Woodbridge, le chef de chœurs de l’Opéra de Lyon, ils interprètent «ce mélange de psalmodie, de parole et de chant» qui avait impressionné Britten pendant un voyage en Orient et qu’il a voulu reconstituer. La mise en scène d’Olivier Py, dans le décor et les costumes de Pierre-André Weitz, est construite autour d’un grand escalier mobile (une fois de plus !) que descendent l’Abbé et les moines qui vont représenter un mystère pour «montrer comment s’est manifestée, au cœur d’un triste malheur, la grâce divine». Les hommes sont vêtus de noir et prennent place sur les marches tandis que les moines qui vont interpréter les personnages du Voyageur et de la Folle enfilent leurs costumes derrière la table de maquillage où la Folle se transforme en figure du théâtre Nô (visage rouge, long cheveux noirs). Pendant la représentation du mystère, les différents moments du récit sont accentués par des mouvements de décor et des musiciens ambulants. A la fin, les interprètes du mystère redeviennent des membres de la communauté, guidés par l’Abbé à la voix noble et sonore de Lukas Jakobski. William Dazeley est remarquable en Passeur qui raconte l’histoire de la tombe miraculeuse qui attire les pèlerins : grande présence, voix ferme et excellent projection du texte. Michaël Slattery s’investit complètement dans le rôle de la Folle qu’il chante d’une voix de ténor claire et expressive. Ivan Ludlow campe un Voyageur convaincant et Cléobule Perrot de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon est émouvant en Esprit du Garçon. Belle prestation aussi des huit artistes de Chœur en pèlerins.
Erna Metdepenninghen
Lyon, Opéra, les 21,22 et 23 avril 2014

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