Les affinités électives de Giuseppe Tartini et Antonio Vandini
Giuseppe Tartini (1692-1770) : Sonate pour viole de gambe et basse continue en sol mineur ; Sonate pour viole de gambe et basse continue en si bémol majeur ; Sonata a quattro en ré majeur pour cordes GT 5.001 ; Concerto pour violoncelle, cordes et basse continue GT 1.A28 ; Concerto pour violoncelle, orchestre et basse continue GT 1.D34. Antonio Vandini (c. 1690-1778) : Concerto en ré majeur pour violoncelle, cordes et basse continue. Giulio Menegini (1741-1824) : Concertone Terzo en do majeur pour cordes et basse continue. Mario Brunello, violoncelle piccolo à quatre cordes, Accademia dell’Annunciata, direction Riccardo Doni. 2019. Livret en anglais, en français et en italien. 84.02. Arcana A478.
C’est sans doute à l’occasion de sa nomination comme premier violoncelle de l’orchestre de la Basilique Saint-Antoine de Padoue en 1721 qu’Antonio Vandini, Bolonais de naissance, a fait la connaissance de l’Istrien Giuseppe Tartini, engagé peu auparavant en qualité de premier violon et violon-chef d’orchestre en la Chapelle Musicale du même lieu. Les deux musiciens vont se lier d’amitié, leur carrière se déroulera de façon parallèle et ils effectueront ensemble des déplacements européens. Lorsque Tartini, âgé, deviendra veuf, Vandini s’occupera de lui, comme le précise un extrait de lettre que l’on peut lire en exergue de la notice signée par l’historienne de la musique au Conservatoire G. Tartini de Trieste, Margherita Canale : Monsieur Antonio [Vandini], qui nous révère humblement et de tout son cœur, et qui se trouve présentement habiter et vivre chez moi, depuis la mort de ma femme : fruit de cinquante années de vraie et saine amitié. La cohabitation ne durera qu’une année : Tartini décède en 1770. Vandini lui survivra huit ans.
La même notice explique que les concertos pour violoncelle de Tartini furent probablement écrits pour Vandini et tous deux nous sont parvenus sous forme de partitions autographes. Pour le présent enregistrement, Mario Brunello joue sur un violoncelle piccolo à quatre cordes, très apprécié au XVIIIe siècle, que l’interprète a déjà utilisé dans sa gravure récente des Sonates et Partitas de Bach pour le même label. Pour les concertos de Tartini et les sonates qui les accompagnent, Brunello signe lui aussi un texte dans lequel il met l’accent sur la « nature » dans la musique du compositeur, le terme étant à considérer dans sa dimension de tradition populaire. Le compositeur était en effet attiré par les chants et les danses, mais aussi par les humbles joueurs de rue auxquels il remettait de petites sommes d’argent pour les gratifier, ou par les praticiens de la gusla à cordes frottées qu’il avait entendue dans sa région natale d’Istrie et qui était courante dans les Balkans. Mais Tartini retrouvait aussi à travers ses compositions le souvenir des moments de sa formation musicale dans des lieux de spiritualité, notamment chez les franciscains d’Assise, avec les échos de prières et de chants.
Cet ensemble d’influences explique la riche ornementation qui parcourt les œuvres, tout particulièrement dans les mouvements rapides gorgés d’un mouvement aérien et d’une fructueuse harmonie, alors que les mouvements lents relèvent plutôt d’une essence mélodique conçue avec une charge affective très marquée. Cela crée une ambiance que Marco Brunello n’hésite pas à rapprocher, en raison de la tradition populaire dont elle se nourrit, d’une ethnomusicologie dont Tartini aurait été l’un des premiers traducteurs dans la composition musicale. Laissons ce débat qui nous entraînerait trop loin pour savourer l’infinie souplesse d’un style varié et engagé qui propose de ces partitions une lecture aux inflexions rythmées et aux lignes expressives très proches de la sensation physique, que l’on partage de bout en bout avec le soliste, grâce aussi à la précision aiguisée de Riccardo Doni, à la tête de l’Accademia dell’Annunciata, que nous avons récemment admirée dans un autre CD Arcana, intitulé « Sonar in ottava », où Brunello faisait merveille avec Giuliano Carmignola.
Le programme de ce CD s’ouvre par un hommage au collègue et ami Vandini dont peu d’œuvres existent encore. La beauté de Son Concerto pour violoncelle au cours duquel des échos vivaldiens apparaissent et dont l’Andantino central est un pur bijou esthétique, se présente comme un portique idéal pour le parcours Tartini qui suit. A l’autre bout de cette gravure réalisée avec une belle clarté en novembre 2019 en l’église San Bernardino d’Abbiategrasso, près de Milan, on trouve encore un délectable concerto pour cordes, transcription d’une sonate pour violon et basse continue que l’on doit à un élève de Tartini, Guilio Meneghini, qui succéda à son maître à la Basilique Saint-Antoine de Padoue. Cette page est une belle conclusion pour ce superbe CD, dans la mesure où il lui confère un complément d’acuité et d’emphase solennelle.
Son : 10 Livret : 10 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Jean Lacroix