Matteo Bevilacqua et le piano de Luciano Berio 

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Le pianiste Matteo Bevilacqua  consacre une intégrale discographique à la musique pour piano de Luciano Berio (Gran Piano). Cet enregistrement qui fait date en montrant qu'une nouvelle génération s'affirme dans cette musique, explore les facettes de l’art de ce compositeur aux inspirations multiples, parangon inspirant d’une modernité qui doit nous stimuler et nous inspirer. Crescendo-Magazine est heureux de s’entretenir avec ce brillant musicien.  

Qu'est-ce qui vous a poussé à enregistrer l'intégrale de la musique pour piano de Luciano Berio ?

L'envie d'entreprendre une aventure dans un genre musical et un répertoire dont je me sens particulièrement proche. Les enregistrements d'intégrales représentent un véritable défi pour les musiciens, car ils doivent englober différents styles et périodes de la vie du compositeur. Souvent, nous sommes confrontés à des œuvres qui ne nous conviennent pas parfaitement ou auxquelles nous ne sommes pas particulièrement attachés, mais nous devons tout de même nous les approprier, les faire mûrir et les enregistrer.

Que représente Luciano Berio pour vous ? Quelle est sa place dans l'histoire de la musique ?

Luciano Berio représente un voyage et un chapitre de ma vie. Malheureusement, pour des raisons historiques, je n'ai jamais eu le plaisir ou la chance de rencontrer le Maestro en personne. L'impression que j'ai de lui est purement basée sur l'idée personnelle que je me suis faite de lui, de sa musique, de ses interviews et de ses programmes télévisés, avec l'aide précieuse de personnes qui l'ont connu de près et qui ont vécu cette période historique particulière. Je suis reconnaissant à ceux qui m'ont aidé à plonger dans l'esprit du Maestro, comme le pianiste Andrea Lucchesini, avec qui j'ai eu la chance d'étudier au Centre d'études Luciano Berio de Radicondoli. En outre, j'ai eu le privilège de rencontrer plusieurs personnes étroitement liées à sa vie, comme sa première fille, Cristina, fille de Luciano et de la légendaire Cathy Berberian, sa troisième épouse, Talia Pecker Berio, et la conservatrice des fonds Berio et Berberian à la Paul Sacher Stiftung Angela Ida de Benedictis. Berio incarne pour moi la transgression, révolutionnant mon répertoire et me consacrant à sa musique. Il représente un défi permanent, me poussant chaque jour à affronter mes limites et à me confronter à la complexité de son langage. Si je ne suis pas celui qui déterminera sa place dans l'histoire de la musique, je suis convaincu que sa musique et sa personnalité ont influencé et continuent d'influencer les générations futures, en encourageant un esprit d'exploration et de curiosité permanentes.


Contrairement à la musique de ses contemporains et amis Boulez, Stockhausen et Pousseur, la musique de Luciano Berio est encore très présente dans les concerts. Qu'est-ce qui justifie, selon vous, cette présence par rapport aux autres compositeurs modernistes de son époque ?

D'après les témoignages que j'ai eu la chance d'entendre, les qualités personnelles de Berio étaient aussi prononcées et développées que ses qualités musicales. Il était curieux, attentif, sensible et amical, appréciant la diversité et le caractère unique des individus. Cela se reflète dans la diversité et la variété de ses œuvres, qui peuvent plaire à différents publics. Sa première épouse, Cathy Berberian, chanteuse multilingue au parcours multiculturel très large, qui se consacre à une exploration artistique et vocale constante, en est l'exemple. À mon avis, c'est la combinaison de ces qualités, tant dans sa personne que dans ses œuvres, qui assure à Berio une place dans le répertoire qui ne sera jamais oubliée. Contrairement à certains de ses contemporains, il s'est concentré sur l'exploration des aspects essentiels de la nature humaine plutôt que sur l'expérimentation purement abstraite, qui prévalait à l'époque.

Lorsqu'on pense à la musique de Berio, on n'associe pas naturellement son nom à la musique pour piano. Pourtant, les œuvres pour piano ont accompagné son développement créatif, depuis la petite suite de 1947 jusqu'à la sonate de 2001. Comment son écriture pour le piano a-t-elle évolué ?

En raison d'une blessure subie pendant la guerre, Berio a malheureusement dû renoncer à une carrière de pianiste de concert. Pourtant, sa détermination, sa résilience et son instinct inné l'ont amené à composer de la musique pour cet instrument. Ses œuvres pour piano font appel à un éventail impressionnant de techniques. Des divers styles revisités dans ses premières œuvres, comme la Petite Suite, à la poésie post-impressionniste des Six Encores et aux contrastes sériels des Cinque Variazioni, l'écriture pianistique de Berio témoigne d'une exploration et d'une expérimentation continues. La nature improvisée de la Sequenza IV et la concentration obsessionnelle sur une seule note dans la Sonate pour piano démontrent les vastes paysages sonores qu'il était capable de créer. Son parcours artistique me rappelle les recherches menées par des groupes de rock célèbres tels que Led Zeppelin, Genesis et King Crimson, qui ont tous repoussé les limites et fait évoluer leur style.

La Sonate composée en 2001 est une œuvre assez longue par rapport à d'autres partitions pour piano. Qu'est-ce qui rend cette sonate spéciale ?

La Sonate pour piano est l'une des dernières œuvres de Berio, achevée en 2001 pour le festival de Zurich, mais inspirée par sa précédente composition Interlinea, écrite pour Pierre Boulez. Cette composition synthétise les techniques employées par Berio dans sa musique pour piano et dans sa production artistique en général. Elle tourne obsessionnellement autour d'une note répétée, le si bémol, qui évolue à travers diverses décorations, attaques et nuances, créant un voyage sonore captivant et imprévisible. Malgré sa distance chronologique par rapport à la Sonate, la figuration nerveuse partage avec les œuvres ultérieures une obsession et une intensité de l'objectif narratif. La Sonate est spéciale pour moi parce qu'elle ressemble à un voyage spirituel, semblable à ceux que l'on trouve dans les films de Miyazaki, où le protagoniste grandit et revient « mûr » et prêt à affronter l'âge adulte. De plus, il est spécial parce qu'il est incroyablement difficile ; l'étudier demande une immense patience, et je suis certain que la frustration, voire la folie, pourrait facilement s'ensuivre sans lui.


Avez-vous déjà un autre projet d'enregistrement en cours ?

Oui, plusieurs. Pour l'instant, je ne peux que vous annoncer que j'ai l'intention d'enregistrer de la musique de Martucci. En outre, je consacre une grande partie de mon temps à Mozart, avec le rêve et l'espoir d'enregistrer un jour ses œuvres de manière excellente.

Le site de Matteo Bevilacqua : www.matteo-bevilacqua.it/

A écouter :

Luciano Berio (1925-2003) : Complete Piano Works. Matteo Bevilacqua, piano. Grand Piano. 0000903GP

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