Sébastien Hurtaud, violoncelliste 

par

Le violoncelliste Sébastien Hurtaud narre l’Histoire au présent avec son nouvel album qui associe le célèbre Concerto d’Elgar au Chemin des dames, nouvelle œuvre pour violoncelle et orchestre du compositeur néo-zélandais Gareth Farr. Trait d’union entre les peuples et les périodes, cet enregistrement mérite une grande attention pour la vision qu’il présente de l’Histoire et de la Musique. Rencontre avec un musicien apprécié par-delà les hémisphères et qui nous raconte la vie musicale néo-zélandaise.  

Vous interprétez le concerto pour violoncelle Chemin des Dames du compositeur néo-zélandais Gareth Farr. Que représente pour vous cette nouvelle partition ?

Pour moi, cette oeuvre symbolise de nombreux aspects ! Ce concerto rend hommage aux combattants de la première Guerre Mondiale du monde entier. Il est très rare dans le répertoire du violoncelle de jouer de telles oeuvres qui honorent la mémoire des hommes et des femmes qui ont pris part à ce terrible conflit. La famille de Gareth Farr a perdu ses trois arrières-grands-oncles lors des batailles de la Somme dans le Nord de La France. Ce concerto Chemin des Dames sacralise des drames personnels qui sont devenus l'expression musicale d’une l’histoire universelle. Pour moi, avoir donné la première mondiale de ce concerto est un devoir de mémoire ! Pour autant, je me suis efforcé dans mon interprétation à ne jamais perdre de tête qu’il faut toujours espérer. Cette énergie particulière m’a permis de donner une conduite à mon jeu de la première à la dernière note du concerto. Le compositeur néo-zélandais a aussi voulu donner un double sens à ce titre, il était bien informé du rôle prépondérant des femmes pendant ce conflit qui a représenté pour leur cause une véritable émancipation. Ce concerto pour violoncelle Chemin des Dames est une nouvelle pièce majeure dans le répertoire du violoncelle concertant et je suis fier qu’il me soit dédié. 

Le Chemin des Dames est l’un des lieux majeurs des batailles de la Première Guerre mondiale. En quoi cet endroit est-il cher à la mémoire des Néo-Zélandais ?

Gareth Farr, qui est basé à Wellington en Nouvelle-Zélande, a pris la merveilleuse décision de voyager en France au printemps 2016 pour venir visiter les lieux emblématiques de la Première Guerre mondiale avant de composer. Il souhaitait aussi retrouver la trace de ses trois arrières-grands oncles morts lors des batailles de la Somme. Il était prévu que la première européenne du concerto se déroule au festival International de Laon, avec l’Orchestre National de Metz, en 2017. Non loin de cette ville, juste à côté de cette ligne de front connue sous le nom de Chemin des Dames (situé entre Laon et Reims), se trouve la fameuse Caverne du Dragon qui, à l’époque, servait de refuge aux armées alliés et ennemies. Même s’il n’y a pas eu de combattants néo-zélandais lors de la bataille du Chemin des Dames. Gareth Farr n’a pas voulu faire une description d’une bataille en particulier, sinon le concerto se serait appelé « Arras » ou « Le Quesnoy », mais c’est bien cette visite de la Caverne du Dragon sur le Chemin des Dames qui a été déterminante pour son travail et ensuite dans mon interprétation. Nous avons hésité à donner à sa pièce le titre de “Requiem”, plus générique, mais nous avons finalement préféré garder juste l’appellation Chemin des Dames.

J’ai lu que vous êtes à l’origine de cette partition. Est-ce que pour vous, Français, cela a un sens particulier de jouer une musique liée à un tel événement de la Première Guerre mondiale ?

J’ai été élevé en partie par mon arrière-grand-mère qui était née en 1902. Elle me racontait souvent les anecdotes de son adolescence et notamment du visage des hommes qui revenaient du front brisés par l’horreur la guerre. Dès mon plus jeune âge donc, cette Première Guerre mondiale, au-delà de l’apprentissage historique à l'école, sonnait comme un épisode récent. J’ai été particulièrement fier de représenter sur scène l’espace d’un instant la mémoire des hommes et des femmes du monde entier avec tout d’abord le New Zealand Symphony Orchestra à Wellington et Auckland pour fêter l’Anzac Day, puis pour honorer la mémoire des combattants de la bataille du Chemin des Dames au festival de Laon avec l’Orchestre National de Metz en 2017, et enfin célébrer l’Armistice de la Grande Guerre accompagné par l’Orchestre de La Garde Républicaine à la Cathédrale des Invalides en Novembre 2018.

Vous complétez le programme avec le Concerto d’Elgar, composé en 1919 et au ton mélancolique. Ce complément était-il une évidence pour vous ?

J’irai même plus loin ! Le Concerto pour violoncelle d’Elgar était le seul choix possible tant les deux concertos ont des liens très forts historiquement, géographiquement, et pour honorer la mémoire des êtres aimés. Lorsque Gareth a composé sa pièce, il ne savait pas que 3 ans plus tard nous allions l’enregistrer avec le concerto d’Elgar. Quelle surprise d’avoir découvert que les deux concertos s’articule comme des rituels avec, pour chacun, le même thème à l’introduction et à la fin de chaque œuvre. Il existe également dans les deux partitions une forme cyclique très caractéristique.

J’ai appris, à ma plus grande surprise, lors de mon concert à Auckland en 2017, par le directeur du New Zealand Symphony Orchestra, que le concerto d’Elgar était inspiré par une histoire néo-zélandaise ! Le jeune compositeur Elgar, avant d'être marié, avait été fiancé à la jeune Helen Weaver. Elle avait rompu leurs fiançailles et déménagé de Worcester en Nouvelle-Zélande, où elle épousa un banquier. Son fils, Kenneth Munro, a été tué alors qu’il combattait avec les Anzac près d’Armentières en avril 1916. Il semble qu’Elgar ait connu une grave dépression après avoir remarqué le nom de Munro dans la liste des victimes du Daily Telegraph. Il s’est très certainement souvenu de son histoire avec la fiancée tant aimée lors de la composition du Concerto pour violoncelle. C’est en tout cas une thèse qu’a défendue le musicologue Brian Trowell de l’université d’Oxford. Cela m’a beaucoup aidé dans mon interprétation afin de me réapproprier ce concerto d’Elgar.

Pour cet enregistrement vous êtes accompagné par l’Orchestre Symphonique de Nouvelle-Zélande (NZSO) et Benjamin Northey. Comment s’est passée cette collaboration ? 

Je connais bien l’Orchestre Symphonique de Nouvelle-Zélande qui est l’Orchestre National du pays. J’avais déjà effectué une tournée avec eux, puis c’est avec les musiciens du NZSO que j’ai créé le concerto de Gareth Farr en 2017. C’est donc tout naturellement que j’ai enregistré avec eux ce disque pour le Label « Rubicon Classics » en avril 2019. La collaboration avec Benjamin Northey a été un miracle. Nous ne nous sommes rencontrés que trois jours avant le début de l’enregistrement, à Wellington, et c’était comme si nous avions fait de la musique depuis toujours ! Quel grand chef ! Je n’attends que le prochain concert sous sa direction. D’ailleurs s’il n’y avait pas eu la pandémie mondiale, j’aurais dû jouer le concerto Chemin des Dames avec Ben Northey et le Christchurch Symphony Orchestra en 2021.

Vous êtes très actif dans ce pays depuis votre victoire au Concours de l’ « Adam International Cello Festival and Competition de Christchurch » en 2009. Que pouvez-vous nous dire sur la vie musicale des Antipodes ? 

Je ne la considère pas comme aux Antipodes car la carte mondiale de la musique classique ne ressemble pas à la carte géographique. Pour moi, les musiciens néo-zélandais mais aussi tous les musiciens du bassin indo/pacifique sont fantastiquement actifs et au fond très proches de nous. Les structures néo-zélandaise sont toutefois conscientes de l’éloignement de leur pays et font tout pour soutenir les échanges internationaux. C’est véritablement cette énergie néo-zélandaise qui m’a lancé comme soliste et qui a donné un ton particulier à ma carrière.

En tant que Français, est-ce que les néo-zélandais ne vous chambrent pas trop sur le rugby et les défaites de l’équipe de France face aux redoutables All Blacks ?

Jusque maintenant non, mais peut-être ont-ils été indulgent en apprenant que je suis originaire de La Rochelle, une ville qui respire la mer et le rugby, deux qualités néo-zélandaises également ! Métaphoriquement, l’équipe des All Blacks est à l’image des musiciens et producteurs musicaux néo-zélandais. Je préfère les avoir comme partenaires que comme rivaux ! Ils sont tellement efficaces dans leur travail et c’est un plaisir de collaborer avec eux. D’ailleurs, la coproduction de ce disque avec le compositeur néo-zélandais Gareth Farr a été en quelque sorte une union entre les Bleus et les All Blacks !

Le site de Sébastien Hurtaud  : www.sebastienhurtaud.com

  • A écouter : 

Gareth Farr :  Concerto pour violoncelle  "Chemin des Dames": Edward Elgar : Concerto pour violoncelle. Sébastien Hurtaud, violoncelle ; New Zealand Symphony Orchestra, Benjamin Northey. 1 CD Rubicon

 

 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : DR

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.