Nicholas Angelich et Kazuki Yamada aux sommets

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La principauté de Monaco se démarque de manière radicale face à presque tous les pays du monde. La volonté est affirmée : il faut maintenir la culture ! Grâce aux mesures sanitaires très strictes, respectées scrupuleusement par tous les artistes et toutes les équipes, le défi est relevé haut la main et Monaco est l’un des derniers états ou l’on peut actuellement assister à des concerts avec du public. Certes, la jauge des salles de concerts et théâtres est diminuée de moitié, un fauteuil sépare chaque spectateur, pas d'entracte, pas de boissons. Le public est masqué, les mains sont passées au gel hydroalcoolique.  Les musiciens sont régulièrement testés.  Dans le désert actuel où toute collaboration artistique est devenue terriblement complexe, maintenir une saison artistique est un exploit. La culture est une nourriture essentielle pour l'esprit. Winston Churchill n'a-t-il pas répondu aux députés qui lui demandaient de couper dans le budget de la culture pour financer l’effort de guerre : Pourquoi nous battons-nous, si ce n’est pour la culture ?

Le concert de dimanche avec l'Orchestre Philharmonique de Monte Carlo (OPMC), Kazuki Yamada et Nicholas Angelich était très généreux avec trois partitions d’envergure. 

Victor De Sabata est considéré comme l'un des plus grands chefs d'orchestre du siècle passé, spécialiste de l'opéra italien ce dont témoignent nombre de ses enregistrements comme Tosca avec Maria Callas ou le Requiem de Verdi. Il considérait la composition comme plus importante que la direction d'orchestre, et pourtant c'est comme chef qu'il a été reconnu alors que ses poeuvres sont tombées dans l'oubli le plus injuste. Ses liens avec Monaco sont importants car il a été le Chef titulaire de l'Opéra de Monte-Carlo de 1918 à 1929 et il y a créé, entre autres, l'Enfant et les sortilèges (Ravel). Curiosité du destin, son père Amadeo y était alors chef des choeurs. 

Kazuki Yamada a remis ses oeuvres au programme des concerts de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo afin de perpétuer l'héritage musical de Victor De Sabata en Principauté. La saison passée, on a entendu le poème symphonique Juventus à l'occasion du centenaire de l'orchestre. Dimanche c'était le poème symphonique Gethsemani composé en 1925 qui était programmé.  Une première locale, car la partition n'a jamais été exécutée à Monte-Carlo, probablement à cause de sa nomenclature très chargée. Gethshemani est une invitation à l'introspection, à une réflexion qui trouve bien sa place dans la situation difficile que le monde connaît depuis de longs mois. C'est une méditation douce et mélancolique aux couleurs impressionnistes, aux textures luxuriantes dans une orchestration lumineuse, avec des mélodies exquises soutenues par des harmonies chaudes. On est quelque part entre la finesse de Ravel et l‘opulence de Respighi. La performance sous la direction de Kazuki Yamada est superbe avec un orchestre qui sonne toujours magnifiquement dans ce type de musique. 

Le Concerto n°1 de Rachmaninov est le moins joué au concert des quatre. C'est son opus 1, une œuvre de jeunesse, mais on y trouve déjà toute la richesse des mélodies et la puissance de l’orchestration qui caractérisent son art. Nicholas Angelich affronte pour la première fois ce concerto au concert. Le pianiste est à la fois un soliste remarquable avec un son puissant et majestueux, et un merveilleux chambriste. Son dialogue avec l'orchestre coule de source. C'est un jeu tout en émotion, un moment magique. 

La Symphonie en si bémol majeur de Chausson qui clôt ce concert est un sommet du répertoire français mais hélas, elle est devenue une rareté au programme des orchestres. On se délecte de sa sensibilité mélodique et harmonique très délicate, modulée au sens strict de la forme exprimée à travers une belle orchestration. Kazuki Yamada, qui a construit sa réputation principalement sur sa maîtrise de ce répertoire symphonique français, est parfaitement à son affaire. L’OPMC fait preuve de très belles couleurs et d’une sonorité d’ensemble riche mais jamais opulente qui sert si bien cette esthétique. Un grand concert, et vécu en "vrai"..

Monte Carlo, Auditorium Rainier III, 29 novembre 2020.

Crédits photographiques :  Jean-Louis Neveu

Carlo Screiber

 

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