Ouverture de la 26e édition du Festival de Pâques de Deauville

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La 26e édition du Festival de Pâques de Deauville a commencé le 16 avril dernier à la salle de vente hippique Elie de Brigac-Arqana qui se transforme en une salle de concert le temps du festival. L’année dernière, l’épidémie a obligé les musiciens à jouer devant la caméra pour les retransmissions en streaming. Cette année, les concerts sur internet ont disparu, pour une bonne raison : le public est de retour !

Un quart de siècle après sa création, le Festival de Pâques de Deauville est toujours fidèle à sa ligne directrice : l’excellence de la musique de chambre par des jeunes musiciens en vue. À quoi s’ajoute, pour ce premier week-end, la diversité du répertoire, car les trois concerts proposés couvrent 5 siècles de l’histoire de la musique occidentale, du baroque italien et français du XVIIe siècle jusqu’à une œuvre écrite en 2005.

L’ensemble Jupiter, sous la direction artistique de Thomas Dunford, ouvre le bal le samedi 16 avril avec le programme « Amazone », dont le disque récemment publié chez Erato est abondamment salué. Le thème d'Amazone a fasciné de nombreux compositeurs baroques, mais Yannis François, concepteur du programme, et la mezzo soprano Lea Desandre, ont mis particulièrement en valeur les femmes qui se battent pour la Nature. Si la rareté des pièces choisies nous régale pour le plaisir de la découverte -puisque la plupart des pièces (outre Vivaldi) n’ont jamais été données depuis plus de trois siècles-, ce soir, la voix de la mezzo est hélas souvent couverte par l’ensemble de huit musiciens. L’acoustique sèche de la salle (pourtant considérablement améliorée grâce à la pose d’un parquet épais de 5 cm en guise de scène) ne permet pas pour autant l’audibilité, en grande partie à cause également de la place que nous occupions. Seuls les aigus, sonores, percent avec clarté. Malgré tout, on sent son admirable engagement à incarner les sentiments exprimés par le texte. Les instrumentistes jouent en harmonie entre eux, avec toujours une touche de spontanéité, surtout de la part de Thomas Dunford. La soirée est imprégnée d’atmosphère amicale, comme dans un cercle d’intimes, ce qui fait d’ailleurs la marque de fabrique de l’ensemble.

Le concert du dimanche 17 avril nous transporte au début du XIXe siècle, avec deux œuvres-phare de Schubert : le Trio n° 2 D 929 et le Quintette avec deux violoncelles D. 956. Les violonistes Mi-Sa Yang et le Trio Arnold (Shiochi Okada, violon ; Manuel Vioque-Judde, alto ; et Bunjun Kim, violoncelle) accueillent deux nouveaux artistes au Festival, la violoncelliste Stéphanie Huang (Révélation classique de l’ADAMI en 2021 et actuellement en résidence à La Chapelle Musicale Reine Elisabeth) et le pianiste Jorge Gonzalez Buajasan qui remplace au pied levé Adam Laloum souffrant. Bien qu’ils jouent pour la première fois en concert, l’entente est heureuse, comme s’ils connaissaient musicalement depuis longtemps. C’est particulièrement le cas pour le pianiste d’origine cubaine, membre du Trio Zeliha, et lauréat, avec la violoniste Manon Galy (également membre du même Trio), du premier prix ainsi que tous les quatre prix spéciaux à la dernière édition du Concours International de Musique de Chambre de de Lyon. On imagine donc que le Trio en mi bémol majeur était déjà dans son répertoire, mais réaliser un dialogue aussi abouti avec les deux autres musiciens requiert un vrai métier, ce qu’il a montré de manière absolument convaincante. Dans le Quintette en ut majeur, ils dégagent le caractère initiatique et spirituel de voyage schubertien. Les notes finales du deuxième mouvement, notamment, sont remarquablement riches en timbre et résument le parcours intérieur qu’on vient de vivre ; ce fut un moment rare de beauté et de sérénité.

Le lundi 18 à 15 heures, changement radical de registre. Six musiciens de l’Ensemble à vents La Fresque et le pianiste Jonas Vitaud proposent Kurtag, Enesco, Lutoslawski, Flosman, Ligeti et Escaich. Le programme est construit de miniatures, avec une variété infinie de couleurs et de sonorités. Ainsi, le cor anglais et le hautbois d’amour confèrent plus de caractère aux Dix pièces pour quintette à vent de Ligeti, tandis que dans le Quintette à vent de Kurtag, les influences lyriques de Webern se font sentir. Les pièces pour piano solo sont merveilleusement interprétées par Jonas Vitaud. Dans le Bukoliki de Lutoslawski, le pianiste met l’accent sur les contrechants dissonants sans aucune lourdeur, enrichissant les plans sonores comme une polyphonie. Dans l’Etude « Automne à Varsovie » de Ligeti, son jeu solide et fascinant, doublé d’une efficacité redoutable, évoque un sentiment d’urgence de course-poursuite permanente. Vitaud a par ailleurs rendu hommage à George Crumb récemment disparu, en proposant un extrait du premier cahier de Makrokosmos, dans lequel la citation de Chopin sonne comme un rêve nostalgique. Deux pièces pour vents et piano, la Sonate du compositeur tchèque Oldrich Flosman (1925-1998) et la Mecanic Song d’Escaich constituent une excellente occasion d'admirer l’art des musiciens dans un équilibre parfait entre le piano et les vents. L’œuvre de Flosman, donnée très probablement en création française, est poignante à la manière de Chostakovitch et son quatrième mouvement, écrit en fugue, est une véritable bâtisse. Cet aspect de construction se trouve dans la Mecanic Song où la « mécanique » d’exécution se serre progressivement pour atteindre une cacophonie parfaitement ordonnée. Dans l’un et l’autre, les musiciens font montre de leur musicalité exceptionnelle dans une virtuosité vertigineuse.

Le Festival de Pâques de Deauville se poursuit jusqu’au 7 mai.

Crédit photos © Claude Doaré

Victoria Okada

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